[CLOS] [Elijah/Angie] En visite à l'hôpital...

Quand elle se leva pour monter les marches, il la regarda faire du coin de l’oeil, la tête toujours basculée en arrière. Il l’entendit monter les marches et la perdit de vue, il était curieux… curieux de voir ce qu’il pouvait faire plus que de ce qu’elle faisait, il ferma donc complètement les yeux et se concentra, laissant s’étendre son pouvoir comme il l’avait fait dans l’Underground avec Maddie, une boule de perception qui partait de lui pour embrasser la pièce, puis les marches et finalement la chambre. Les yeux fermés, il visualisait parfaitement ce qu’il ressentait, il savait où elle se trouvait dans la pièce, s’en était perturbant. Il eu un frisson et quand elle redescendit, le papier à la main, il rouvrit les yeux et la regarda revenir, prenant les paroles qu’elle lui tendit.

Il connaissait l’artiste, mais ne connaissait pas ses oeuvres sur le bout des doigts. Ses yeux passèrent d’une ligne à l’autre tandis qu’il lisait les couplets et un sourire s’étendit de plus en plus au fur et a mesure qu’il avançait dans sa lecture.
Il laissa la feuille pencher vers le sol tandis qu’il relevait les yeux vers elle et haussa les épaules. Cherchant ses mots.

- L’Atmosphère… ? Comment vous dire. Imaginez ma ville si vous pouvez. Le quartier Français, ses lumières et les gens qui s’y trouvent. Ils sont tellement nombreux qu’il est difficile de suivre un chemin défini, alors vous avancez, les odeurs, la musique qui attrape l’oreille, les rires et là, vous voyez une personne qui vous plait, le coup de coeur et il s’avère que les gens vous trainent vers lui, vous forçant à profiter ensemble de tout ça, de ces odeurs, de ces chants, de ces danses, vos yeux s’accrochent, le véritable coup de foudre sans un mot, mais avant que vous ne réussissiez à lui dire ne serait-ce qu’un mot, vous le perdez dans la mer de gens de ces rues aussi rapidement que vous l’avez trouvée. Voila l’évolution du morceau. Le départ, la solitude, le plaisir, la découverte, la joie et de nouveau la solitude… est-ce que ça vous aide ? Ou alors préféreriez vous quelque chose de plus précis ?

Il posa la feuille sur la table basse entre eux, les yeux lever vers elle, cherchant dans ses yeux la réponse à sa question. Pendant un instant il y lu autre chose, il ne sut pas dire quoi, mais il y avait lu autre chose, il en était certain.

Je levai les yeux vers le plafond tandis que j’écoutai Elijah m’expliquer la chanson. M’imaginer la Nouvelle Orléans ne me fut pas très aisé. Je ne connaissais la ville que par les images qu’on en voyait quelque fois à la télé et aussi par ce que j’en avais appris à l’école. Une ville remplie de musique, de fête, de gens. L’image était assez floue dans ma tête, mais les détails que me donnait Elijah m’aidaient à mieux visualiser la scène. En revanche, la suite me fut beaucoup plus facile à imaginer : une fille, qui se retrouve nez à nez avec un garçon, qui en tombe amoureuse rien qu’en le regardant et qui finit par le perdre dans la foule, comme si celle-ci le lui avait arraché. Quand il eut fini de parler, je baissai les yeux sur lui et hochai la tête.

- C’est amplement suffisant. Merci. C’est une très belle histoire.

J’esquissai un sourire.

- Mais plutôt triste aussi.

D’une certaine façon, cette chanson me faisait un peu penser à ma propre histoire. J’étais un peu comme cet homme, qui inspire de l’amour à une femme et qui finit par disparaitre avant qu’il ne se passe quelque chose. A la différence que dans la chanson, cette disparition était involontaire, alors que moi, je décidai toujours de disparaitre avant de laisser aux gens le temps de s’attacher.

- Bon, maintenant que j’en ai compris le sens, il va falloir que je travaille la prononciation. Mais j’ai remarqué qu’Edith Piaf avait une sorte d’accent quand elle chante. Ca ne va pas me faciliter la tâche.

En fait, elle roulait les « r », mais ça, j’aurais été bien incapable de le dire. Ce que je savais en revanche, c’est qu’elle ne prononçait pas ses mots de la même façon que les autres chanteurs français dont j’avais appris les chansons.

Je récupérai la feuille et tentait d’en lire quelques mots. C’était du chinois pour moi. Heureusement que j’avais une assez bonne oreille pour être à peu près capable d’en repérer la prononciation et, surtout, de l’imiter. Et maintenant, grâce à Elijah, je savais comment l’interpréter.

- Mais, dites, vous semblez avoir un bien meilleur niveau de français que vous ne le laissiez entendre tout à l’heure. Petit cachotier !

Je lui adressai un clin d’œil avant de me mettre à rire.

La réaction d’Angela le fit sourire. En lisant les paroles, il s’était fait exactement la même remarque. Mais le fait est qu’il pensait sincèrement que la chanson avait été pensée comme ça. Il haussa les épaules et pencha la tête sur le coté.

- Apres tout, je pense que l’idée était de se rapprocher un maximum d’une histoire de coeur ou de tout type de relation a vrai dire. Surprise, découverte, joie, séparation. Qu’on le veuille ou non, c’est toujours dans cet ordre là que ça fini, peut importe le temps qui s’écoulera entre les différentes étapes, non ?

Quand elle fit sa remarque sur la prononciation de la chanteuse, Elijah se pencha en avant, les coudes sur les genoux pour fixer Angela, une ombre de sourire aux lèvre.

- Mais la question est… est-ce une interprétation, ou une imitation ? Je pense que vous ne devriez pas essayer de vous rapprocher de ce qu’elle chante, gardez juste votre style, un semblant de rythme bien entendu, mais n’imitez pas, appropriez vous le morceau.

Il lui sourit franchement après avoir donné son avis et se laissa retomber sur le canapé, les bras de nouveau sur le dossier. Angela en vint à lui parler de son niveau de Francais et il reçu la remarque avec circonspection, il était facilement mit mal à l’aise. Sur beaucoup de sujets a vrai dire. Il n’aimait pas toutes les formes de compliment parcequ’il ne savait pas comment les recevoir. Alors pour le coup, il se contenta de soupirer et de secouer la tête.

- Je n’ai aucun mérite, j’ai étudié pour ça, mais je connaissais bien des gens à l’époque qui le parlait et le comprenait bien mieux que moi.

Sa tournure pouvait paraitre étrange après réflexion, mais il pensait ce qu’il venait de dire. Il était certain que même le vieux Phil qu’il avait rencontré une fois dans la ville haute parlait bien mieux le Français que lui.

Je penchai la tête sur le côté. Il avait une drôle de façon de voir les choses, mais finalement, c’était ça, à bien y réfléchir. Je secouai la tête lorsqu’il parla de l’interprétation.

- Si ça avait été une chanson en anglais, ou même en espagnol, ça aurait été de la pure interprétation. Le souci, c’est que je ne maitrise pas du tout le français. Je peux juste essayer de m’approcher au maximum de la prononciation « normale ». Même si bon, de toute façon, je n’arriverai jamais à gommer mon accent pourri. L’idée, c’est pas de copier sa prononciation à elle, mais plus de faire en sorte que les français qui seront présents au mariage comprennent ce que je chante en français. Et c’est plus facile d’apprendre à prononcer correctement une langue quand la personne qui vous l’apprend prononce elle-même les mots correctement.

Je souris un instant et continuai.

- Une fois que j’aurais bien acquis la prononciation, alors là, je pourrais m’éclater et interpréter le morceau à ma sauce.

Je lui adressai un clin d’œil et sentis mon téléphone vibrer dans ma poche. C’était David

- Excusez-moi.

Je me levai et me dirigeai vers le balcon, histoire de pouvoir parler un peu plus tranquillement.

- Salut !... Tu veux grimper ce soir ? Mais tu devais pas aller au resto avec des potes ?... Ah, je vois… David… Non ok, je dis rien, mais tu sais très bien ce que j’en pense… Non ce soir je suis pas dispo… J’apprends à faire la cuisine !

J’adressai un clin d’œil à Elijah, je m’étais éloignée, mais il était fort probable que ma voix aille jusqu’à ses oreilles.

- Euh non, je pense pas… Ouais c’est ça, à demain !

Je raccrochai mon téléphone, revins vers le canapé et me laissai tomber dessus.

- Désolée. C’était David. Il voulait qu’on aille faire de l’escalade ce soir. Mais… ça risque d’être difficile !

Je souris à nouveau et reniflai (discrêtement) en direction de la cuisine. Ca sentait de plus en plus bon.

- Ca fait trente minutes ?

Réplique culte d’une petite fille impatiente.

Elijah tourna son index vers son visage, le sourcil haut et son sourire toujours accroché aux lèvres.

- Croyez moi, mon professeur n’avait rien d’un Français pure souche, c’était un de ces cajuns à l’accent si prononcé qu’on ne comprenait pas ce qu’il disait, qu’il parle Anglais ou Français…

En se souvenant de la scène, il éclata de rire. Il revoyait son visage, sa barbe et le ruban qu’il avait toujours autour du cou comme un foulard malgré la température improbable qui pouvait frapper la ville en été, il avait toujours eu cet accessoire, Elijah était certain qu’il avait été enterré avec d’ailleurs.

Quand elle s’éloigna, le téléphone à la main, il lui fit signe de la main et prit l’un des livres sur lequel il avait reposé ses pieds et feuilleta quelques pages. Il commençait toujours un tonne de livre sans jamais les finir. Celui-ci avait été arrêté en plein milieu d’un page d’ailleurs, qu’avait t-il eu comme idée farfelue pour s’arrêter comme ça au milieu ?
Il se posait encore la question quand Angela retourna vers lui, s’excusant de son coup de fil et enchainant presque instantanément avec l’odeur.
Il secoua la tête et se redressa en râlant dans sa barbe, montrant la casserole de l’index.

- Soyez rapide si vous voulez que ce soit bon…

Il se planta devant le four et tendit la main sans le toucher. Il utilisa son pouvoir pour ouvrir la porte vitrée et indiqua la casserole d’un geste de la tête.

- Quand je l’aurais posé sur le bar, versez le contenu sur le plat, la sauce grillera légèrement comme ça et se liera plus facilement au poulet. Prête ?

Question rhétorique, il n’attendit pas sa réponse, fermant les yeux et activant son pouvoir. La plaque s’éleva seule du four jusqu’au bar, le bruit de vibration que produisait le pouvoir d’Elijah emplissant l’air de la cuisine aussi surement que la sauce en ébullition dans la casserole.
Il posa le plat lentement sur le bar et fit signe à Angela de prendre les commandes pour la suite.

Lorsqu’il se mit à râler, je le regardai, un peu étonnée. Etait-ce mon impatience qui le faisait réagir de la sorte ? Ou venait-il de se rendre compte qu’il avait dépassé le temps de cuisson ? Je ne pouvais pas vérifier la deuxième hypothèse, je n’avais pas de montre, pas la moindre notion du temps non plus et ça me jouait souvent des tours.

Je le suivis dans la cuisine sans un mot. Ne me doutant pas vraiment que ce serait à nouveau à moi de jouer les commis. Je le regardai ouvrir le four et sortir les plats en utilisant ses pouvoirs et ne put m’empêcher de sourire.

- Hey, pas folle la guêpe ! Au moins, vous êtes sûr de pas vous brûler avec cette technique !

Je m’étais appuyée contre le bar, les mains dans les poches quand Elijah me fit comprendre que c’était à moi d’agir cette fois. J’attrapai donc la casserole de sauce dès qu’il eut posé la plaque sur le bar et m’activai à la verser sur le poulet.

- Dites, je me demandais… puisque vous aimez cuisiner pour d’autres, vous n’avez jamais eu l’idée d’ouvrir un resto ou une table d’hôtes ou un truc dans le genre ?

C’était juste histoire de faire la conversation, et aussi un peu de curiosité.

- Vous vous débrouilleriez sûrement très bien. En plus, la nourriture cajun, c’est pas ce qu’on trouve le plus par ici.

J’avais fini de vider la casserole. Je la reposai sur la plaque de cuisson et relevai les yeux sur Elijah.

- Et maintenant ?

Je voulu changer d’appui et grimaçai.

- Hum… je crois qu’il va falloir renégocier l’occupation du canapé. Je ne suis pas sûre d’être encore capable de monter l’escalier plus tard…

Il rit après sa remarque sur la plaque. Il secoua la tête et haussa les épaules.

- Depuis que je me suis forcé à utiliser mes pouvoirs aux quotidien, je dois avouer que ce genre d’idées me viennent toutes seules, je ne vais pas m’en plaindre honnêtement. Je n’ai pas peur des brulures, mais c’est toujours un plaisir de voir qu’on peut avoir une utilités même pratique à ses capacités.

Il supervisa les gestes d’Angie sans rien dire. Ce n’était pas bien difficile à faire, mais on était jamais trop prudent, ces étapes étaient aussi importantes que celle d’un soufflet. Quand elle lui posa la question sur le restaurant, il y réfléchit une seconde sérieusement, puis rit vraiment fort. Il venait de s’imaginer avec une toque sur la tête et il en était ressorti une image complètement ridicule.

- Je ne suis pas fais pour ça, j’ai déjà travaillé dans un restaurant une fois, mais il y a une différence entre faire la cuisine pour vous et faire la cuisine toute la journée pour des dizaines de personne. Le plaisir et les raisons de le faire ne sont pas les mêmes.

Il lui indiqua les portes au dessus de la plaque de cuisson quand elle demanda ce qu’allait être l’étape suivante. A l’interieur, il y avait des assiettes creuses, lui, il prit le temps de se retourner pour utiliser son pouvoir une seconde fois pour sortir les pommes de terre du four et il referma la porte avant de même de poser la plaque sur le bar, ça commençait vraiment à lui venir.
Ces dernières étaient parfaitement comme il l’avait prévu, dorée sur le dessus et grillée sur le dessous.

Il prit les couvertes dans le tiroir sous le bar et fit le tour du bar pour les poser dessus, il attendait qu’Angela vienne avec les deux assiettes creuse et il servirait à ce moment là, il en profita pour répondre à sa dernière remarque.

- Il est hors de question que je vous laisse dormir là dessus, je vous l’ai dis, pas de négociation possible, vous n’aurez jamais assez d’argument pour me faire changer d’avis là dessus. Quand bien même il faudrait que je traine cette jolie frimousse dans mes bras jusqu’a la chambre là-haut, il est hors de question que je laisse le canapé. Et puis, la salle de bain est là haut, donc c’est mieux pour vous a tout les niveaux.

Je hochai la tête tout en ouvrant le placard dans lequel se trouvaient les assiettes.

- Oui, je comprends.

Je pris deux assiettes, refermai le placard et m’appuyai contre le plan de travail.

- Et c’est un univers particulier, la restauration. Pour avoir bossé essentiellement en tant que serveuse, ce n’était déjà pas de tout repos alors en tant que cuistot, je n’imagine même pas.

Je le regardai sortir les pommes de terre et refermer le four en même temps, uniquement avec son pouvoir avec un petit sourire. Quand on s’était vu, au concert, il commençait à travailler son pouvoir, il n’était pas sûr de lui et semblait même avoir un peu peur de l’utiliser, peur de perdre le contrôle. Manifestement, il avait fait beaucoup de progrès. Rien qu’aujourd’hui, il l’avait utilisé plusieurs fois. Et cela lui semblait naturel. A le voir en tous cas. Il m’avait certainement vue, avec mon sourire en coin, sans raisons particulières. Je décidai de l’éclairer.

- J’étais en train de me dire que vous semblez beaucoup plus à l’aise avec vos pouvoirs.

Je me décollai du plan de travail et posai les assiettes sur le comptoir. Je relevai les yeux vers lui et penchai la tête sur le côté en fronçant les sourcils.

- Vous ne changerez pas d’avis hein ?

Je secouai la tête.

- C’est dommage parce que moi non plus. Nous verrons donc lequel de nous cédera le premier !

Je lui décochai un sourire et enfonçai mes mains dans les poches.

- Mais vous savez, ça me gène un peu. Vous m’accueillez chez vous, vous me faites la cuisine, je ne vais pas en plus vous piquer votre lit !

Je haussai les épaules.

Il écouta attentivement ce qu’elle lui disait sur la restauration. Angela lui avait déjà avoué avoir travaillé en tant que serveuse, mais en savoir plus sur son expérience était toujours bon à prendre. Le genre d’information vécu de l’intérieur, elles étaient toujours les meilleurs.
Quand elle lui parla de son pouvoir cependant, il se rembruni légèrement. Une seconde, l’espace d’une seconde, le temps de tourner ça de façon positive et de se mettre à rire. Il lui fit un clin d’oeil et pencha la tête de coté a son tour.

- C’est faux. Le fait que je rende mon pouvoir usuel ne change rien au fait qu’il me terrifie. J’ai… j’ai grandi dans un cadre particulier qui m’a apprit a avoir peur de ça, que ce soit à cause de moi-même ou a cause des autres.

Il ne parlait pas de sa famille bien entendu, sa famille avait toujours été aimante et a ses cotés, mais ça, il ne le dit pas à Angie.
Il préféra saisir l’occasion d’un sujet plus léger.

- Je vous l’ai déjà dis, que je doive utiliser mes bras ou mon pouvoir, vous finirez dans ce lit.

Il marqua une pause et éclata littéralement de rire, écarquillant les yeux et se posant une main sur le torse comme si il jouait dans une pièce de théâtre.

- Je ne me serais jamais imaginer dire ce genre de phrase… c’est que ça me donnerait presque un style de Don Juan Imbuvable.

Il se mit à préparer les assiettes. Tout d’abord, les pommes de terre. Il les détacha les unes après les autres et les coucha dans le fond des assiettes. Il ne releva pas les yeux vers Angela et continua avec le poulet et la sauce qui baignait le plat et dégageait une odeur qui donnait même faim au positif.

- On m’a élevé comme ça. C’est moi qui vous ai invité, c’est que ça me fait plaisir que vous soyez là avec moi, il est normal que je traite mes invités convenablement. Si vous voulez, demain au lieu d’un Gombo, on pourra toujours se commander des pizzas et boire des bières, si ça peut vous mettre plus à l’aise, ce n’est pas un problème pour moi.

Il fini sa préparation et gonfla le torse. Oh ça pour être fier de lui, il l’était, si le plat était moitié aussi bon qu’il était bien servi, ils allaient se régaler. Il posa tout les accessoires dans l’évier, fit couler de l’eau sur le tout et posa une main sur le dos d’Angela pour la pousser doucement hors de la cuisine en direction d’un tabouret. Rien de violent, il savait pour la jambe, il ne voulait pas accentuer la douleur.

- Allez, allez. A table.

J’ouvris des yeux ronds avant de me mettre à rire moi aussi.

- Je ne dirai pas imbuvable. Je dirai plutôt, un peu trop sûr de lui.

Je m’arrêtai de rire et me passai la main dans les cheveux tout en conservant mon sourire.

- Heureusement que je connais le contexte parce que sinon, vous pouviez être sûr que j’aurai récupéré mon sac et mis les voiles sans plus attendre !

Je repris mon air sérieux et pointai mon doigt sur lui.

- Mais je vous préviens, ne vous avisez pas d’utiliser votre pouvoir sur moi. C’est de la triche, je n’ai aucun moyen de me défendre contre ça.

Je haussai les épaules et croisai mes bras sur ma poitrine, l’air déterminé.

- Je veux un combat à peu près équitable !

Je le regardai servir les assiettes sans bouger.

- Si on doit manger des pizzas demain, je vous les ferai. C’est la seule chose que je sais bien cuisiner alors si je peux essayer de vous épater, je ne vais pas m’en priver !

Ce n’est que lorsque je sentis une légère poussée dans mon dos que je me déplaçai.

- Ah, ça c’est une déclaration que j’aime entendre !

Je me juchai sur un tabouret. Le même que celui sur lequel je m’étais installée pendant qu’il commençait à préparer le poulet.

- J’espère que c’est aussi bon que c’est beau à regarder !

Eli s’installa sur son propre tabouret avant d’envisager de répondre à la jeune femme. Il prit sa fourchette et joua avec un instant la faisant tourner entre ses doigts, les yeux fixé sur les dents qui frottaient contre son index.

- Un joueur de poker m’a dit un jour que tant qu’on gagne, tricher légèrement, ce n’est jamais mauvais à prendre… qui sait, je pourrais me mettre à penser comme lui.

Il leva les yeux vers elle et lui fit un clin d’oeil avant de pointer son plat du bout de la fourchette.

- Mangez, vous me direz bien ce que vous en pensez à un moment ou un autre…

Il suivit son propre conseil, saisissant le couteau pour découper un morceau de poulet. La sauce noyait le tout au fond de l’assiette, pomme de terre et poulet pouvait se confondre, mais pour le coup, il savait dans quoi il piquait rien qu’en le découpant du bout du couteau. Il leva sa bouchée et allait la porter à sa bouche avant de suspendre son geste à mi-chemin. Il fixa son regard sur Angie et reposa sa fourchette dans la sauce épaisse, attendant sagement qu’elle mange la première.

- Il n’y a pas de raison que je me prive moi-même de la découverte de votre réaction quand à notre plat… a vous les honneurs.

Il croisa les doigts au dessus de son plat, profitant tout de mêmes des odeurs, les yeux passant de l’assiette d’Angela à son visage. Il savait que c’était perturbant et il allait arrêté si tôt qu’elle aurait saisi la taquinerie et qu’il aurait vu sa réaction, mais pour le coup, taquin comme il était, il profitait du moment.

Je lui lançai un regard que je voulais meurtrier. Comment ça il n’aurait aucun scrupule à tricher ? Qu’il essaie un peu, et il verrait. Parce que si lui était du genre à laisser tomber quand il reconnaissait un combat perdu d’avance, moi pas. Un combat n’était jamais perdu d’avance. Surtout quand on s’appelle Angela Foster ! J’avais une volonté à toute épreuve.

- Même pas en rêve…

Je m’arrêtai subitement, fronçai les sourcils et levai les yeux au plafond.

- … Euh, en fait, je voulais vous appeler par votre nom de famille mais je viens de me rendre compte que je ne le connais pas…

Pour l’effet terrifiant, je n’aurai plus qu’à repasser. J’attrapai mes couverts et allai m’attaquer à mon propre plat lorsque je vis Elijah suspendre son geste. Du coup, je m’arrêtai moi aussi l’interrogeant du regard. La suite de ses paroles me fit secouer la tête.

- A part ça, vous me mettez à peine la pression !

Je levai ma fourchette, l’arrêtai à quelques centimètres de ma bouche et plongeai son regard dans le mien.

- Vous savez qu’observer les gens comme ça, ça peut les mettre franchement mal à l’aise ? Certains diraient même que ce n’est pas poli. A moins qu’ils ne parlent du fait de fixer les gens, ce qui se différentie de l’observation, il est vrai mais est tout aussi gênant.

Et je fis parcourir à ma fourchette le chemin qu’il lui restait à faire. La première chose que je ressentis en me mettant à mâcher ce fut… le feu. Bon sang, ce que c’était épicé ! Mais les plats mexicains avaient habitué mon palais et ma langue à manger épicé. Peut-être pas aussi fort que le poulet d’Elijah, mais en fait, à force de mâcher, le feu s’apaisait pour laisser place aux saveurs. Huum c’était encore meilleur que ce que j’avais pu imaginer. Je savourai ma bouchée et reposai les yeux sur Elijah.

- Alors dites-moi ? Qu’est-ce que mon visage a laissé paraitre ?

Je me rapprochai d’Elijah et ajoutai, comme dans une confidence :

- Entre nous, c’est une tuerie, mais n’allez surtout pas le répéter au cuistot, il risquerait de prendre la grosse tête !

Je ris et pris une autre bouchée. Quelque chose qui semblait être un morceau de patate cette fois. Difficile à dire avec la sauce.

Quand elle lui demanda son nom, il perdit légèrement son sourire, très légèrement, rien de bien grave, il en gardait tout de même une ombre sur le visage. Il attendit que la fourchette fasse sa route pour reprendre la sienne pour faire terminer sa route à sa première bouchée. Tout en observant Angie, il y lu bien entendu ce qu’il attendait le plus. Ses yeux s’illuminèrent légèrement sous les assauts des épices et il retrouva son véritable sourire. Celui qui lui prenait tout le visage.

- Que vous avez l’air d’apprécier malgré les premiers coups des épices sur votre palais, c’est parfait.

Sa remarque suivante lui décrocha un petit rire de gorge tandis qu’il prenait à son tour un morceau de pomme de terre grillée. Il fit un clin d’oeil à la jeune femme, mais ne releva pas. Elle avait raison au fond, le cuissot pouvait facilement prendre la grosse tête si on le complimentait sur ce genre de détail là, alors il se contenta de manger, petit bouchée par petite bouchée, profitant de la musique qui accompagnait toujours tout ce qui se déroulait dans l’appartement.

C’est a ce moment là qu’il se décida à répondre à la jeune femme quand à sa question précédent.
Il reposa sa fourchette et se redressa pour faire de nouveau le tour du bar, coté cuisine et ouvrit le frigo. Il chercha un instant à l’intérieur et quand il eu refermé la porte, on pouvait voir une canette dans chacune de ses mains.

- Monroe. Elijah Monroe.

Il allait dire ‘’ Comme le type à la télé tout à l’heure ‘’, mais réussi à se reprendre avant que sa grande bouche ne fasse encore des débats. Quoi que… depuis le temps, il devenait bon a ce petit jeu là.
Il posa une canette de soda devant Angela et retourna à sa place pour recommencer à manger.

Je hochai la tête et souris.

- C'est bien ce que je pensais, j'ai un visage trop expressif. Il va falloir que j'apprenne à corriger ça. Ca risquerait de me jouer des tours.

Nous continuâmes à manger en silence pendant un moment. Et cela me dit penser à une remarque que mon père faisait souvent à table, quand nous mangions en silence. Mais pour bien la comprendre, il faut d'abord que je vous explique. Chez nous, les repas étaient en général plutôt animés. Nous discutions beaucoup, de tout et de rien. Nos parents se racontaient leur journée, parlaient de connaissances à eux qu'ils avaient croisées. David et moi, racontions ce que nous avions fait à l'école, les dernières bêtises inventées par nos amis (qui à cette époque n'était pas des bêtises mais plutôt des idées de génie). Les seules fois où nous restions silencieux David et moi, c'était soit quand quelque chose nous tracassait ou alors quand Maman nous préparait un repas exceptionnel et que nous ne voulions pas en perdre une miette. Dans ces cas là, mon père disait toujours "Et bien, ça doit être rudement pour que personne ne parle" (parce qu'il travaillait tard et arrivait quasiment toujours au milieu du repas). Et soit, il avait raison et on hochait la tête pour confirmer, soit il avait tort et on se mettait à tout déballer. Quand j'y pense, c'était un fin psychologue mon père.

J'étais tellement plongée dans mes pensées, et dans la dégustation de mon assiette que je ne remarquai pas qu'Elijah s'était levé. Ce ne fut que lorsqu'il prit la parole que je m'en rendis compte. Je relevai la tête.

- Pardon ?

Sur le moment, j'étais un peu étonnée. Pourquoi me sortait-il son nom, comme ça, en plein milieu d'un repas ? J'avais loupé un épisode ? Et puis je me remémorai ce que j'avais dit quelques minutes avant.

-  Ah !

Je lui décochai un sourire et me rattrapai par une pirouette verbale dont je connaissais le secret.

- Enchantée. Angie Foster. Pardon de ne pas vous serrer la main, mais je ne parviens pas à lâcher cette fourchette. Merci pour la boisson au fait.

Je laissai le silence se réinstaller, comme quand j'étais enfant, à la maison et que nous savourions un vrai festin. Ca c'était le bon vieux temps. Quand je pensais à mes parents et aux bons moments que nous avions vécu ensemble, c'était toujours avec mélancolie. Et le souci, c'est que cela se lisait sur mon visage et que je ne m'en rendais pas compte.

Elijha fronça les sourcils quand elle ne parut pas comprendre pourquoi il lui donnait son nom. Elle venait juste de lui demander non ? Mais il ne préféra pas poser de question, elle pouvait être fatiguée, ça pouvait être une dizaine d’autres raisons, il n’allait pas insister sur ce détail.
Quand elle rebondit et se présenta à son tour, il inclina légèrement la tête avant de se remettre à planter sa fourchette sur tout ce qui baignait au fond de son assiette.

- Pas de raison de vous excuser, j’ai le même sentiment, ce plat est plutôt bon et il est fait pour en profiter, alors profitons… et de rien, c’est normal.

Il prit quelques bouchées comme ça, laissant retomber le silence quand il décida d’être acteur plus que spectateur. Il leva les yeux vers elle et fit un geste du menton dans sa direction.

- La chanson doit être apprise pour quand ? Je veux dire, vous semblez préparer pas mal de choses pour ça et si la deadline est plutôt courte ça pourrait vous jouer des tours non ? Une semaine ? Deux ?

Il était réellement curieux pour le coup, lui savait parler la langue, mais il avait dû l’apprendre et il se disait que si elle voulait chanter une chanson sans en comprendre les paroles, ça allait être compliquée pour elle. Comprendre l’essence pour avoir le ton est une chose, mais comprendre les paroles aidaient pour la gestuelle et les choses comme ça, il savait sans être un professionnel que c’était une étape importante d’une performance sur scene, alors si il pouvait l’aider de quelque façon que ce soit…

- Le week end prochain…

Ce qui nous laissait, en tout et pour tout, 3 jours.

- Ouais, je sais ce que vous vous dites. 3 jours, c’est hyper court pour préparer l’arrangement, répéter ensemble, voir ce qui ne va pas et tout corriger.

Je haussai les épaules avec un air de totale incompréhension.

- Je ne comprends pas pourquoi Tom a accepté ça. Les mariés nous ont pondu cette demande hier. Il savait que ce n’était pas réalisable. Eux aussi, ils nous ont d’ailleurs proposé d’augmenter notre cachet pour la peine. Je sais que de l’argent en plus, c’est toujours chouette, mais je le sens mal. On va se rétamer quelque chose de bien.

Je secouai la tête.

- Jimmy et Matt on passé la nuit dessus, à l’arranger pour qu’on puisse la jouer. Parce qu’on n’a pas vraiment les instruments pour jouer de la musette. Quoique je crois que Sam sait jouer de l’accordéon... Bon, moi je peux apprendre une chanson en 3 jours, ce n’est pas un souci. Elle ne sera pas parfaite, mais je suis capable d’apprendre l’air et les paroles. Mais on n’a pas le temps de bien la répéter ensemble. C’est déjà hyper galère de trouver des créneaux avec les boulots de chacun…

Je me remis à manger en soupirant.

- Mais bon, se plaindre ne va pas faire avancer les choses alors… je vais faire ma partie du boulot et advienne que pourra. Mais si on ne veut pas courir à la catastrophe totale, j’ai intérêt à ce que cette cheville tienne le coup. D’ailleurs, à ce sujet…

Je reposai ma fourchette et posai mon regard sur lui.

- Vous n’auriez pas une bande de strap par hasard ? J’ai une attelle à la maison, mais je n’ai pas réussi à remettre la main dessus. Ca serait juste histoire de la maintenir. Là avec mes bottes ça va, elles sont assez rigides, mais il va bien falloir que je les enlève à un moment où à un autre !

En effet, Angie avait eu raison en présumant qu’il les prendrait un peu pour des fous, il écarquilla les yeux et pouffa nerveusement. Il reposa sa fourchette dans son assiette et se passa une main dans le long de la nuque en faisant une grimace.

- Oui, en effet. Trois jours, ça ne va pas être des plus facile à réaliser. Mais il faut voir le bon coté des choses… ici, vous aurez le temps de bosser dessus à l’envie, donc en un sens, même si c’est mal barré, c’est toujours réalisable si vous voulez mon point de vue.

Elle lui expliqua que deux de ses musiciens avaient déjà travaillé la composition ensemble et il soupira légèrement. Aucun signe d’ennuis au contraire, c’était plus un léger soulagement.

- Je pense que vous avez l’habitude de travailler ensemble, la synergie doit être assez bonne entre vous pour que vous n’ayez pas besoin de trop de répétition pour que la magie opère je pense, il faut prendre en compte et compter sur ce détail là, je pense que ça peut jouer une part importante de la représentation.

Angie fini par lui demander si il n’avait rien pour sa jambe, il réfléchit un instant, regardant en direction des escalier qui menaient à la chambre et à la salle de bain. Il n’eu pas besoin de plus d’une minute avant d’acquiescer lentement.

- Oui, j’ai ça, avec des attelles d’ailleurs si vous voulez vraiment pousser le vice. Je vous préparerais ça sur le lit tout à l’heure, comme ça si vous voulez faire un tour par la salle de bain avant, vous aurait tout de préparer.

Il la regarda droit dans les yeux et fit expiré de renifler de façon bien visible, essayant de toutes ses forces de retenir le fou-rire qu’il sentait venir dans le fond de sa gorge

Je haussai les épaules.

- Ouais, c’est sûr que ça aide, le fait qu’on se connaisse aussi bien. Mais on ne peut pas se pointer samedi la bouche en cœur et jouer un morceau qu’on n’aura pas répété plusieurs fois. Jimmy et Matt ont beau avoir déjà fait une grande partie du boulot, on n’est pas non plus des petits génies de la musique. On a besoin d’entrainement. Et pour ça, il va falloir qu’on se débrouille pour se voir un soir avant samedi !

Je haussai une nouvelle fois les épaules et lui souris.

- Par contre, je suis désolée pour vous, mais vous risquez de l’entendre jusqu’à ce qu’elle vous sorte par les yeux, cette chanson. Mais je vous promets d’essayer de répéter quand vous ne serez pas là !

Je lui adressai un clin d’œil et recommençai à manger. J’acquiesçai lorsqu’il me parla de me préparer attelles et bandes pour ma cheville. Mais en le regardant bien, je sentis qu’il y avait autre chose. Il semblait manifestement à la limite d’exploser de rire. Je laissai ma fourchette à mis chemin entre mon assiette et ma bouche et fronçai les sourcils.

- Je peux savoir ce qu’il y a de si drôle ou c’est juste un truc que vous seul pouvez comprendre ?

Là, pour le coup, je le regardai vraiment comme s’il était cinglé, même si je ne le pensais pas. Mais à vrai dire, j’avais beau chercher, je ne voyais pas ce que j’avais pu dire, ou faire, qui eut pu déclencher une telle hilarité. Le coup des bottes peut-être ? J’avais cru comprendre qu’il avait une imagination débordante.

- Attendez, laissez-moi deviner. Vous étiez en train de m’imaginer en pyjama avec mes bottes de moto c’est ça ?

Je secouai la tête et avalai la dernière bouchée de mon plat.

- Et bien je ne vous ferai pas le plaisir de vous le montrer en vrai. Et de toutes façons, je suis sûre que mes bottes iraient à la perfection avec mon pyjama !

Je me levai de mon tabouret et me dirigeai vers la cuisine pour commencer la vaisselle en attendant qu'Elijah termine sa propre assiette.