[CLOS] [Angela/Elijah] 24/7

Eli était plutôt stressé. A vrai dire, il était stressé chaque fois qu’il devait conduire l’énorme camion qui servait à faire les dépannages. Les réparer c’était une chose, les conduire… s’en était une autre.
Moto, oui, voiture, oui, ce genre de monstre…

.. Bruce a son habitude avait disparu sitôt que le téléphone avait résonné dans la pièce. Elijah, qui était en pleine réparation d’une voiture laissé par une cliente de la ville Mediane, avait dû s’extirper de sous la voiture pour se glisser vers le combiné contre le mur.
Bon… quitte a être sur la planche à roulette qui lui servait à passer sous la voiture, il avait traversé une partie du garage comme un surfeur, la main tendue vers le téléphone qu’il allait atteindre quelques secondes plus tard.

Une femme était au bout du fil. Elle aussi de la ville Médiane, décidément, en ce moment le garage de Bruce commençait à se faire un petit nom même en dehors de la Ville Basse. Cette dernière avait eu un problème et sa voiture avait soudainement arrêté de fonctionner sur le bord de la route.
A cette heure-ci, le quartier n’était pas dangereux, pas comme comme certains endroit de la ville basse, mais les gens qui rentraient chez eux après une dure journée de travail avait malheureusement assez de bonne volontés pour s’arrêter et aider. Eli annonça à la femme qu’il serait là dans une dizaine de minutes et raccrocha après avoir prit l’adresse.

Il ne prit même pas la peine de chercher Bruce pour l’avertir ou lui demander d’y aller…
Techniquement, son service était terminé depuis trente minutes, il aurait déjà dû être sur le chemin du retour, mais Bruce lui avait demandé de finir cette voiture, que c’était urgent… un retard de plus ou de moins… il soupira et sauta à bord du Camion…

Le Stress nous disions donc. Il suivait des yeux le GPS qui lui indiquait l’adresse que lui avait fourni la femme et quand l’ordinateur de bord lui indiqua qu’il était arrivé à destination, il chercha la voiture des yeux.
Il ne tarda pas à la trouver et sa propriétaire juste à coté. Il n’arrivait pas a déchiffrer l’air qu’elle arborait, mais il était sûr qu’elle n’était pas enchantée d’être bloquée là.

Il se gara devant son véhicule et sorti du camion d’un petit saut vers le sol.
Il se passa les mains sur les hanches et se dirigea vers elle, enfin souriant, content d’être sorti de cet engin de malheur.

- Bonjour…

Il leva les yeux au ciel et fronça les sourcils.

- Bonsoir, ça devrait marcher aussi. Désolé de ce qui vous arrive, mais je suis là maintenant, on va essayer d’écourter la gêne un maximum. Je suis Elijah, enchanté malgré tout.

Il hésita un instant à lui tendre la main, mais n’en fit rien. Vu l’état de ses mains, il ne valait mieux pas.

J’étais là, assise sur le trottoir, à côté de ma voiture du capot de laquelle s’échappait une fumée inquiétante. J’avais la tête entre les mains, j’attendais. Que pouvais-je faire de plus ? Après avoir rapidement tourné le problème dans ma tête, j’en étais venue à la conclusion que :

1- Ce n’était pas une panne sèche vu que je venais de faire le plein
2- Ce n’était pas la batterie, vu que je roulais il y a encore 5 minutes
3- Au vue de ces deux conclusions, je n’étais pas capable de trouver le problème toute seule parce que, après tout, je n’étais pas mécano.

Du coup, j’avais dégainé mon portable et appelé un garagiste, que je ne connaissais pas mais dont j’avais entendu parler, en bien. J’aurais pu appeler mon garagiste habituel, mais il venait de prendre sa retraite et son remplaçant était plutôt un bon à rien –enfin, d’après mon frère David, et je le savais de très bon conseil.

Bref, j’étais donc là, à attendre patiemment. Le garagiste avait 10 minutes, 5 étaient déjà passées. Je n’étais pas pressée, je rentrais du boulot. Patiente oui, mais plutôt embêtée. Avoir sa voiture en panne, ce n’est jamais marrant. Déjà parce que :

1- Il fallait que je trouve un autre moyen de locomotion pour rentrer chez moi
2- Il faudrait un jour où l’autre que je paye les réparations et j’avais peur de la facture.

Et les voitures, comme dit mon père, c’est un vrai gouffre à fric.

J’en étais là de mes réflexions lorsqu’un véhicule de dépannage s’arrêta pile à côté de ma voiture. Je me relevai et époussetai mon derrière, par réflexe. Le garagiste s’avançait vers moi. Il avait l’air sympa, ouf. Compte tenu de l’heure qu’il était, je n’étais absolument pas sûre de trouver un garagiste qui vienne me dépanner avec le sourire alors que sa journée de travail est normalement terminée. Bon point pour lui, peut-être mon futur garagiste ? Fallait d’abord voir s’il faisait du bon boulot.

- Bonsoir, Angela Foster, c’est gentil d’être venu aussi vite.

Comme si c’était nécessaire, je lui montrai ma voiture, toujours fumante, d’un geste du menton.

- Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, elle s’est mise à « tousser », le moteur s’est arrêté et la fumée à commencer à sortir du capot. J’ai juste eu le temps de me garer un peu pour ne pas trop gêner la circulation.

Quelle circulation ? Depuis que je m’étais garée, j’avais juste vu 5 voitures, et pas une ne s’était arrêtée. En même temps, j’aurais passé mon chemin moi aussi, ce n’est pas avec mes connaissances et mon impressionnant sens de la déduction que j’aurais pu dépanner qui que ce soit !

- Vous allez pouvoir la réparer ?

Je croisai les doigts derrière mon dos en espérant qu’Elijah me réponde oui. Je n’avais pas les moyens de m’acheter une nouvelle voiture.

- Au fait, je suis désolée de vous déranger aussi tard. C’est vraiment gentil de vous être déplacé.

« Et si tu te taisais maintenant Angie, laisse-le faire son boulot tranquille ».

J’esquissai un sourire contrit et reculai de quelques pas pour laisser lui laisser le champs libre.

Quand Angela remercia le jeune homme, celui-ci fit un geste de la main vers elle, une moue gênée se dessinant sur ses lèvres.

- Non, mais pas besoin d’en parler, c’est normal que je sois venu aussi vite. Les réparations peuvent toujours attendre… la voiture ne bougera pas. Laisser une personne dans la rue, même dans la ville médiane, ce n’est pas quelque chose qui se fait. Une intervention sera toujours prioritaire.

Il écouta ce que la Demoiselle avait à lui dire et il siffla légèrement quand elle lui parla des symptômes de la voiture. Il avait déjà remarqué la fumée blanche avant même de s’arrêter. Ce genre de fumée ne pouvait pas être causée par grand chose et Angela venait de confirmer ce qu’il avait pensé en arrivant.
Quand elle lui demanda si il pourrait réparer, il se passa une main dans les cheveux comme il le faisait d’habitude quand il réfléchissait activement à quelque chose. Ce geste l’aidait à calibrer ses idées.

- La réparer… pour répondre à votre question. Nous devrions être capable de la réparer en effet. Mais si c’est ce que je pense, ça risque tout de même de prendre quelques heures.

Il tourna la tête vers elle et haussa les épaules.

- Si nous avons les pièces. Le plus long serait de les commander.

Il se doutait que sa réponse ne serrait pas prise forcément comme une bonne nouvelle, mais il préférait être franc et annoncer directement ce qui allait suivre. On lui avait apprit que la franchise dans ce genre de situation était toujours mieux récompensée que les réponses évasives.
Il ouvrit légèrement plus le capot pour laisser s’évacuer le nuage blanc qui s’était accumulé dessus, immédiatement, il fronça les sourcils. C’était ce qu’il pensait, de la vapeur d’eau. Condensation importante sous sa forme première et une légère odeur de brulé.
Il fit de grand geste ridicule pour libérer assez de vision sous le capot pour illustrer ses propos.

- Le soucis de ces voitures c’est que selon la température et les voyages que vous êtes amenée a faire avec, elles prennent de mauvaises habitudes.

Il pointa du doigt la zone d’où s’échappait la fumée en volute plus légère à présent.

- Pour faire simple, une pièce s’est déformée là dedans et à empêcher l’évacuation de la chaleur, c’est pour ça que vous l’avez sentie tousser. L’évacuation et la voiture à cumulée trop de chaleur avant de s’arrêter par mesure de sécurité.

Il toussa une nouvelle fois et fini par hausser les épaules.

- La bonne nouvelle, c’est qu’on a les pièces, ça ne devrait pas pas prendre trop de temps. Si vous pouvez vous passer de la voiture une journée ou deux…

Il tourna la tête vers elle, cherchant à lire si la nouvelle était bien prise ou pas.

« Quelques heures » ! Ca, ce n’était pas du tout une bonne nouvelle. Je me tordis la bouche, fortement embêtée. Le problème était donc plus grave que je le pensais. En même temps, à chaque fois qu’il y avait un souci avec ma voiture, c’était toujours plus grave que je le pensais. Tiens, par exemple, cette fois où le voyant des freins s’était allumé. Je pensais que c’était juste le niveau de liquide qui avait baissé et qu’il suffisait d’en remettre pour que ma titine soit à nouveau en pleine forme. Sauf qu’arrivée au garage, le verdict était tombé, fuite dans le système de freinage, véhicule immobilisé pendant 2 jours.

Bref, quand il m’a dit ça, j’étais loin de sauter sur un nuage. Mais bon, à ce moment de la conversation, je pensais encore naïvement qu’il la réparerait tout de suite, sur le champ. Oui, je sais, sur ce coup là,  j’ai vraiment fait ma blonde.  

Du coup, je l’écoutais m’expliquer le problème tout en chassant la fumée d’un geste de la main. Il était marrant, il me montrait l’endroit d’où venait le problème comme si j’allais pouvoir valider son diagnostique. Néanmoins, je m’approchai, réflexe, on regarde toujours quand on nous montre quelque chose. Et je hochai la tête à tout ce qu’il me disait et le plus surprenant, c’est que je comprenais ce qu’il me disait !

Et c’est là qu’il se mit à parler de me passer de ma voiture pendant un jour ou deux. Mon embarras dû se lire sur mon visage pendant quelques secondes, le temps que mon cerveau se remette en marche. Avais-je besoin de ma voiture dans les deux prochains jours ? Demain, j’avais ma séance de chimio, mais c’était mon frère qui m’y emmenait parce que j’étais incapable de conduire après. Et après-demain, je n’aurais certainement même pas la force de sortir de mon lit comme d’habitude. Je haussai les épaules :

- Ca ira, je crois que je n’en aurai pas besoin dans les prochains jours. Et de toute façon, ai-je vraiment le choix ? Dans l’état où elle est, je n’irai pas bien loin.

J’esquissai un sourire détaché. C’était marrant mon attitude. Il ne devait pas y avoir beaucoup de monde qui acceptait de se séparer de sa voiture pendant 2 jours sans broncher, quand bien même ils n’avaient pas le choix.

- Mais alors ça veut dire que vous allez l’emmener ?

« Arrêtes de poser des questions idiotes ma fille, comment tu veux qu’il répare ta voiture en restant ici ? »

- Bah oubliez ça, je parie que je connais déjà la réponse.

J’enfonçais les mains dans mes poches.

- Bon, je crois qu’il faut que je trouve un autre moyen pour rentrer chez moi. A moins que vous n’ayez besoin que je vous accompagne pour signer des papiers ou ce genre de truc ?

Ce qui ne réglerait pas la question de mon retour à la maison... mais j'y penserais le moment venu.

Eli était tout aussi dérangé que la Demoiselle, mais clairement pas pour les mêmes raisons.
Quand elle se reprit après sa question, il se tourna légèrement vers elle et secoua la tête, un léger sourire désolé aux lèvres.

- Mais non, toute question est bonne à poser.

Il haussa les épaules et pencha légèrement la tête sur le coté.

- Oui, ça veux dire que je devrais l’emmener, mais si vous avez vraiment besoin d’un moyen de transport, je devrais pouvoir vous trouver ça une fois de retour au garage… vous n’avez qu’à demander.

Il tourna légèrement autour de la voiture pour essayer de gauger si il n’y avait rien de plus qui méritait son attention, laissant le temps de la reflexion à Angela avant de revenir vers elle par l’autre coté et rajouter d’un ton neutre mais tout a fait amical.

- Je comprendrais que vous vouliez avoir plusieurs avis, peut être que vous pourriez trouver des gens dans la ville Médiane ou Haute avec plus de moyen dans leurs ateliers que nous. J’ai entendu dire que certains garage de la Haute avaient même des Ateliers automatisé, pas besoin de sommeil quand une série de bras automatique peuvent faire le travail pendant la récupération.

Il sourit de bon coeur. Il fallait avouer qu’il était très mauvais vendeur pour le coup, mais ce genre d’atelier le faisait parfois rêver. Quand il en parlait il avait tendance à toujours trouver des bons points à ce genre de plateforme même si indirectement, c’était la fin de certains ateliers.

C’est aussi ce qui avait motivé ses passages aux ateliers de la King pendant ses visites scolaires. Il espérait toujours récupérer des idées à droite et a gauche et pourquoi pas essayer de les adapter à sa manière une fois de retour à la maison.
Mais se rendant compte qu’il se perdait dans ses pensées, il se racla la gorge.

- C’est a vous de voir. On ne le prendrait pas mal, c’est normal. Mais si on devait faire la réparation, vous ne seriez pas déçue, ça je peux vous l’assurer.

Fier de sa maison, il l'était clairement mine de rien.

Je pris le temps de réfléchir à ce qu’il venait de me dire. Avais-je vraiment besoin d’un moyen de locomotion ? Je veux, dire, certes, il fallait que je rentre chez moi, mais une fois à la maison, je n’en aurai pas plus besoin que ça. Je ne comptais pas bouger de chez moi, du moins, pas au volent d’une voiture.

Avant que j’ai eu le temps de répondre, Elijah se remit à parler… Pour me vanter les mérites d’autres garages. Voilà qui n’était pas commun, un garagiste qui vous oriente vers un concurrent. Je l’écoutai d’une oreille distraite. J’avais fait appel à lui, il était venu alors qu’il était censé avoir terminé sa journée, pourquoi irais-je voir ailleurs ? J’estimais que ce n’était pas correct vis-à-vis de lui. J’avais peut-être tort, mais je n’aimais pas ne pas « récompenser » les gens à la juste valeur de leur travail. Si j’étais à la tête de cette société, j’augmenterais les salaires des plus travailleurs et baisserais celui de ceux qui passent leur journée à roupiller dans leur fauteuil en cuir avec accoudoirs. Mais tout ceci ne dépendait pas de moi.

- Ce n’est pas très professionnel de vanter les mérites de son concurrent non ?

Je lui adressai un sourire amical. Ce n’était pas un reproche, juste une boutade. J’aimais bien charrier les gens. C’était malheureusement parfois mal perçu par ceux qui ne me connaissaient pas vraiment. Mais j’étais comme ça, je n’y pouvais rien.

- C’est gentil de vous préoccuper de mes intérêts, mais je ne fais pas confiance aux machines.

Je haussai les épaules

- Et puis si tout le monde emmenait sa voiture dans un garage automatisé, vous répareriez quoi ? J’estime qu’il n’est pas bon que la machine remplace ainsi les hommes.

Ce n’était que mon point de vue. Mais je n’avais en général aucun scrupule à l’exprimer librement, même en face d’inconnus et ce, quelque soit le sujet.

- Je vous la laisse, je n’en ai pas besoin dans les prochains jours et si vraiment j’avais une urgence, j’en louerai un.

Je haussai une nouvelle fois les épaules et sourit. La vie était bien trop courte pour se prendre la tête pendant des heures à cause d’une voiture en panne non ?

Je souris à sa boutade, il était vrai, encore une fois, que ce n’était pas professionnel. Mais il préférait toujours donner toutes les armes.
Quand elle lui fit la remarque sur les garages automatisés, il rit de bon coeur et s’approcha de son camion, pressant un panneau pour ouvrir une borne de commande. Il pressa une série de touche et un bras automatisé se développa de sous une rampe pour s’avancer vers le vide.
Elija s’approcha de la voiture d’Angela, s’assura que le frein à main était détaché et approcha légèrement la voiture du bras en la poussant par la portière conducteur. Etrangement, la voiture avança lentement sans que le jeune homme eu l’air de déployer plus d’effort que ça et une fois à porté, le bras descendit vers le bas de caisse de la voiture pour s’armer à ce dernier le tirant vers l’arrière de la remorque sans qu’Elijah doive manipuler plus que ça.
C’est le moment qu’il choisi pour se tourner vers la Demoiselle et lui répondre, se frottant les mains sur les cuisses.

- Une machine ne pourra jamais réparer certaines voitures… les gens ne se sont pas embêter à leur inclure des plans trop ancien, mais ça… c’est notre fond de commerce. Les voitures de la Ville Basse sont presque toutes des voitures de collection… enfin, quand je parle de collection, je veux surtout dire qu’elles sont ancienne. Pour moi, ce sont des collections, pour d’autres ça serait bon a envoyer à la décharge… Je n’ai pas peur de la faillite.

Il rit légèrement et fit un clin d’oeil à Angela avant de s’assurer que le Camion avait fait son travail et que la voiture était amarrée correctement.

Quand elle lui dit qu’elle lui laissait la voiture, il ouvrit la portière coté passagé et lui indiqua le siège avec une légère courbette.

- Dans ce cas là, laissez moi vous conduire jusqu’au Garage, on remplira les papiers et ensuite, je vous libérerait. Vous pourrez rentrer chez vous. Enfin… je vous reconduirai chez vous. Dans 30 minutes maximum, vous êtes chez vous.

Il fit la moue et attendit sagement au niveau de la porte.

Je le regardai faire tandis qu’il s’occupait de ma voiture. J’étais étonnée qu’il n’ait pas besoin de pousser plus que ça pour la faire avance. Bah, ça devait être un peu en pente. Parce qu’une voiture, c’est quand même lourd non ? Bon ok, ça roule, ça aide aussi. Ou alors, sous son bleu de travail, c’était un vrai monsieur muscle. De toute façon, je n’avais aucun de vérifier l’une ou l’autre des hypothèses. Et à vrai dire, je m’en moquais un peu, du moment qu’il l’emmenait…

Sa réponse me fit sourire.

- Vive les vieilles voitures alors !

Je levais les mains, paumes vers le ciel, l’air de dire « Merci mon Dieu pour ce don que tu nous fais ». Sauf que je doutais en l’existence d’un Dieu. Et si toutefois il y en avait eu un, il n’en avait certainement rien à faire des histoires de dépannage de voitures.

- J’aime les vieilles voitures, je trouve qu’elles ont un certain charme. Cela dit, ce n‘est pas pour autant que je m’en achèterais une. J’apprécie le confort des voitures plus récentes...

Parce que quitte à avoir le choix, je préférais autant être bien installée. Et puis sur les nouvelles voitures, on sentait moins les cahots de la route, ça me rendait moins malade. Mais ça, je me gardai bien de le lui dire.

Pendant ce temps là, il avait fini de s’occuper de ma voiture et venait d’ouvrir la portière passager de son camion, m’invitant à m’y installer. Je ramassai ma besace que j’avais laissée sur le trottoir, à l’endroit où j’étais assise pendant que je l’attendais, et je m’avançai pour m’asseoir. La suite de ses paroles me prit de court.

- Oh, c’est gentil, mais vous êtes sûr que ça ne vous dérange pas ?

Moi en tout cas, ça m’arrangeait, pas besoin de me creuser la tête pour trouver comment rentrer.

- Je veux dire, vous êtes censé avoir fini votre journée depuis un bout de temps maintenant. Je ne voudrais empiéter encore plus sur votre temps libre...

J’étais un peu gênée à vrai dire. C’était vraiment gentil de sa part. Rien ne l’obligeait à me ramener chez moi.

Il alluma le moteur et lança un coup d’oeil dans le rétroviseur avant de s’engager sur la route.
Le chemin du retour ne serait pas bien long, il avait mit une dizaine de minutes pour venir, mais il ne savait pas où chercher. Le chemin en sens inverse serait beaucoup plus simple. L’avantage du garage était qu’il était sur un grand axe, donc le chemin entre cette partie de la ville Médiane et son quartier de la ville basse était simple à faire.

L’habitacle était large. On s’y sentait bien, la radio tournait toujours diffusant des airs qu’Elijah écoutait à peine, c’était plus pour Angela que pour lui-même, il aimait la musique, il aimait le bruit en général, ça l’empêchait de trop penser, mais pour le coup, quand il était au volant, il préférait le calme, jamais de radio trop fort ou des choses du genre. Mais une discussion… ça…

- Ce n’est pas une question d’ennuis, ne vous inquiétez pas. Il est hors de question que je vous laisse dans la Ville Basse a cette heure-ci, seule avec le garage fermé. C’est une question de principe, c’est comme si je vous lâchait dans une fosse de requin.

Il tourna la tête pour la regarder un instant.

- Ne le prenez pas mal, je ne dis pas que vous êtes sans défenses. Mais c’est juste une question d’éducation… donc il n’y a aucun problème à ce que je vous ramène chez vous.

Le décors changeait légèrement au fur et a mesures qu’ils tournaient de rue en rue. Ils finirent par arriver dans la ville basse à quelques patés de maisons du Garage où travaillais Eli.

- Et ne vous inquiétez pas pour mon temps libre. J’avais prévu de l’occuper en écoutant du vieux Jazz de chez moi et en étudiant, alors que je perde un peut de temps ou pas… Nina Simone attendra toujours. Elle n’est pas a ça prêt.

Il rit légèrement et engagea la voiture vers le Garage. La porte s’ouvrit automatiquement quand elle détecta le Camion et ils entrèrent dans l’atelier.
Rien n’avait bougé bien entendu. La voituresur laquelle travaillait le Positif était toujours là et les lumières n’étaient pas éteintes.

Il coupa le moteur et descendit d’un bon du camion, réactivant le bras pour qu’il descende la voiture tandis qu’il ouvrait la portière à Angela.
Il lui tourna le dos un instant avant de crier dans le Garage.

- BRUCE ?

Il resta immobile un instant, l’oreille tendue, mais n’entends rien, il secoua la tête et se dirigea vers le bureau dans le fond de l’Atelier où il se mit à farfouiller lançant à Angela un:

- Faites comme chez vous, ça ne devrait pas être long, j’ai juste a préparer les autorisations de réparations… ils sont déjà pré-rempli, je n’ai presque rien a faire.

J’adore la musique, normal vous me direz, sinon je ne chanterai pas dans un groupe. Elijah avait mis l’autoradio en marche. Je me retenais de fredonner les morceaux que je reconnaissais. Par contre, je n’arrivais pas à m’empêcher de marquer le rythme en tapotant mon index sur la poignée de la portière. Quand on a la musique dans la peau, difficile de faire autrement.

Je tournai la tête vers lui quand il reprit la parole et ne put m’empêcher de sourire quand il se justifia sur le fait de me ramener chez moi. J’avais conscience de ne pas vraiment payer de mine comme ça. Déjà, avec mes cheveux courts, j’avais l’air d’une gamine alors que je devais avoir le même âge que lui, à une queue de vache près. Et puis la maladie avait pompé les quelques muscles que j’avais réussis à me façonner au fil du temps. Du coup, j’étais plutôt chétive. Il ne pouvait pas savoir combien il avait raison lorsqu’il me pensait sans défenses. Ma force à moi, c’était mon mental, je n’avais pas peur de grand-chose, parce que je savais que je n’avais rien à perdre. Mes amis disaient souvent de moi que je faisais toujours exprès de me mettre en danger, juste pour savourer l’adrénaline. Ils n’avaient pas tout à fait tort, à ceci près que le danger était toujours contrôlé.

Je me contentais de sourire pour lui signifier que je comprenais parfaitement. Et puis il continua à parler et je me tournai une nouvelle fois vers lui en levant un sourcil d’un air étonné.

- Vous aimez Nina Simone ?

J’entonnai les premières mesures de « feeling good ». Je la connaissais bien parce que je la chantais des fois lorsque le groupe animait des soirées.

- Ce n’est pas de toute jeunesse, mais j’adore cette chanteuse. Elle est tellement…

Je m’arrêtai parce que je n’arrivais pas à trouver les mots justes pour la définir.

Et puis on arrivait au garage, ce qui me dispensa de terminer ma phrase. Je glissai hors du camion et hochai la tête lorsqu’Elijah m’invita à faire comme chez moi. Je le laissai travailler et m’adossai contre un mur, attendant qu’il termine.

Il avait sourit quand elle avait réagi sur le nom.
Pendant un moment il n’avait rien rajouté et quand elle avait commencé à chantonner il s’était juste contenté de rajouter:

- Disons que ça me rappelle la Maison.

Comme il l’avait annoncé, il ne mit pas longtemps à retrouver les papiers et se pencha aussitôt pour les remplir. Il levait les yeux de temps en temps pour regarder en direction du camion, mais plus pour noter des détails sur le véhicule d’Angela plutôt que pour regarder ce qu’elle faisait.
Si il y a bien quelque chose dont il n’avait jamais manqué, c’était bien de la confiance. D’ailleurs à plusieurs reprises ça lui avait joué des tours et il savait garder les détails les plus important pour lui dans tout les cas…

Quand il eu rempli les papiers, il s’approcha de nouveau de la jeune femme et de la voiture et fit un dernier tour d’horizon avant de tendre les deux exemplaires à Angela.
Il pointa du doigt chaque paragraphe alors qu’il parlait.

- Alors, rapidement… ce paragraphe est l’état global de la voiture, celui du dessous est le diagnostique et le dernier est le devis des pièces a changer…

-Sur le dernier paragraphe, il n’y avait que très peu de pièces et le prix n’était clairement pas important, a vrai dire, si elle y regardait de plus prêt, il n’y avait qu’une pièce à changer.

Eli dansa d’un pied sur l’autre, laissant la jeune femme lire le document à sa guise en cherchant Bruce des yeux.
Il savait pertinemment que son patron avait mit les voiles depuis un moment, peut-être même avant même qu’il réponde à l’appel téléphonique d’Angie.

Il sourit légèrement quand les haut parleurs du garage se mit à raisonner du Thelonius Monk et il lança un coup d’oeil par dessus son épaule pour regarder Angela, ce n’était pas du Nina Simone, mais c’était clairement agréable à entendre aussi.

Il vira a gauche et disparu dans une pièce hors du champ de vision de l’autre personne présente dans le garage.
Eli ne donna aucun signe de vie pendant deux minutes avant de revenir vers elle complètement changé. Il avait toujours des traces de noir sur la pommette gauche, mais il avait rangé le bleu de travail pour une tenue plus civile, son bonnet ancré sur la tête et sa veste blanche avec ses deux oiseaux dans le dos. Il fini par se planter à coté d’elle et pencha la tête sur les papiers.

- Rien de bien compliqué. Il faudra juste garder un exemplaire, comme ça tout est fait dans les normes et il n’y aura pas de problème, c’est mieux comme ça.

J’attendis patiemment, le dos contre le mur, qu’il ait fini de remplir dans les papiers. En même temps je regardai autour de moi : une voiture en cours de réparation en plein milieu, des outils qui trainaient dans les coins, des tâches de cambouis sur le sol et… oh un petit « salon » pour patienter pendant les «courtes réparations » !

Avant que j’ai eu le temps de me décoller du mur pour aller m’asseoir, Elijah m’avait déjà rejointe. Il n’avait pas menti, il n’en avait pas eu pour longtemps. Il me tendit des papiers et prit le temps de m’expliquer ce qu’ils contenaient. Je l’écoutai avec attention parce que je n’étais pas très familière des documents de ce genre et je voulais savoir ce que je signais. Je regardai les paragraphes l’un après l’autre et m’arrêtai un peu plus longuement sur le devis. Il était bien moins important que ce à quoi je m’attendais. En y regardant de plus près, je vis qu’il n’y avait qu’une seule pièce à changer. Je soupirai de soulagement, parce que vu la fumée qui s’échappait de la voiture, j’avais vraiment eu peur que toutes mes économies y passent.

Elijah s’était éloigné pendant que je lisais les papiers et quand il revint, j’étais en train de vider ma besace sur le sol pour trouver un crayon. Je n’étais pas une pro de l’organisation, j’avais un bazar monstre dans ce sac, mais je finis par le trouver. Je signai les papiers, rangeai mes affaires et me relevai pour rendre un exemplaire à Elijah.

- Et voilà, elle est à vous, momentanément. Vous avez une idée de quand je pourrai la récupérer ?

Je fourrai l’autre exemplaire dans ma besace entre mon uniforme de serveuse (que je trouvais tellement ridicule que je me changeais avant de quitter le restaurant) et un livre écorné à force d’être trimbalé dans mon sac.

Je relevai alors les yeux vers le garagiste pour me rendre compte qu’il s’était changé entre temps. Il avait encore du cambouis sur le visage, avec une tenue civile, ça lui donnait une drôle d’allure. Et comme je suis une fille un peu bizarre et plutôt spontanée, allez savoir pourquoi, ça m’a fait rire. C’était pas une moquerie, pas du tout, c’était juste… marrant.

Elijah n’avait pas besoin de chercher pour comprendre pourquoi Angie rigolait quand il fit sa réapparition. Il s’était fait la remarque lui-même devant le vitre. Mais ne voulait pas faire attendre la jeune femme. Donc il se contenta de hausser les épaules et rebondir directement sur sa réaction en faisant un geste évasif de la main gauche.

- J’aurais tout le temps de retrouver forme humain une fois de retour chez moi… moi et les canons de beautés… qui sait, je pourrais ramener le style grunge à la mode si une personne de la ville Médiane me voit vous ramener chez vous !

Il la pointait du doigt comme pour la prendre en témoin de ce qu’il venait de dire et se mit à faire le tour du garage pour couper tout ce qui était surperflux et ne méritait pas de rester allumé toute la nuit.
Quand il revint vers la jeune femme, il lui fit signe de le suivre vers l’extérieur dans la cour arrière.

L’endroit était en fait une ruelle, bloquée dans un coin par le garage lui même et de l’autre coté, un énorme portail qui menait vraisemblablement sur l’artère principale par laquelle ils étaient arrivé.
Il ouvrit le grand portail en le tirant, soufflant sous le poid de l’objet et une fois que ce fut fait, il retira la bâche blanche qui recouvrait sa voiture en dessous.
La voiture qui dormait en dessous tenait plus d’un concept qu’autre chose. C’était une voiture qui frôlait le siècle qui dormait dans un coin quand il avait mit les pieds ici, depuis lors, il la retapait quand il avait de l’argent à mettre de coté et du temps libre. Bien qu’à l’exterieur elle ne payait clairement pas de mine la Dodge Challenger avait un intérieur qui était incroyablement bien retapé et aussi confortable qu’un bar loundge de la haute ville.

Il ouvrit la portière à Angie et c’est à ce moment là qu’il décida de répondre à sa question.
A vrai dire, si j’ai de la chance, je pourrais la terminer demain dans la soirée… j’ai un projet important à finir, vous avez vu cette voiture dans le garage, c’est une promesse qu’on doit tenir. Mais je m’occuperai de votre voiture juste après.

Il mit le contact de la voiture et cette dernière rugit une mélodie parfaitement calibrée. Les apparences, Eli adorait qu’elles soient trompeuses, c’est pour ça qu’il travaillait toujours le visuel en dernier.

- Et il est hors de question que vous veniez la chercher. Nous la livrerons chez vous quand ça sera fait. Je vous appellerai avant bien entendu.

Mon rire se transforma en sourire franc tandis qu’Elijah se mettait à parler, puis à la fin de sa phrase en moue songeuse et hochements de tête.

- Je suis sûre que vous feriez un tabac !

J’attendis qu’il éteigne tout et le suivit vers l’arrière du garage puis dans la ruelle. Je ne savais pas à quoi je m’attendais quand il m’avait dit qu’il me ramènerait chez moi mais certainement pas à ça. La voiture qu’il dévoila était… d’une autre époque. Bien loin, à vrai dire, des voitures actuelles. Même les voitures dites « anciennes » semblaient plus récentes. Et pourtant, elle avait du charme cette bagnole. Je n’en avais jamais vue de pareille et je restai un moment immobile, sans voix, les yeux écarquillés. Mais pas par l’inquiétude non, par autre chose que je n’aurais pas su définir réellement. Cette voiture, elle ne payait pas de mine, mais elle avait une âme. Je ne pu retenir un sifflement admiratif.

- Ca, c’est ce que j’appelle une voiture. Notez que je ne suis pas une experte en la matière mais…

Je ne rajoutai rien de plus, consciente que tout ce que je pouvais dire ne serait pas franchement pertinent.

Je m’installai sur le siège passager, comme il le proposait si galamment en m’ouvrant la portière et nouvelle surprise. L’intérieur n’était pas à l’image de l’extérieur. Plus moderne, carrément « neuf ».  Mais je ne dis rien de plus, Elijah me parlait déjà de ma voiture.  

Quand il m’annonça qu’elle serait probablement prête demain soir et qu’ils viendraient me la livrer j’eus un léger moment de panique. J’avais des projets pour la soirée de demain : rester au fond de mon lit avec une bassine à proximité au cas où, comme tous les mercredis soir depuis presque 2 ans. Un programme palpitant que je ne pouvais pas manquer. Et mon frère était de garde au poste demain soir. Si Elijah venait sonner chez moi demain, pas sûr que j’arrive à me trainer jusqu’à la porte. Je décidai de feinter.

- Vous savez, ce n’est pas pressé, ça peut attendre après demain.

Je ne serais pas au top, mais assez en forme pour le cacher.

- Et ça ne me dérange pas de venir la chercher, vous en faites déjà assez comme ça. Et je n’ai pas peur de me balader toute seule dans la ville basse.

Evidemment puisque je n’avais peur de rien ! Je ponctuai ma phrase d’un sourire franc et changeai de sujet.

- J’ai cru comprendre que vous étiez étudiant en plus d’être garagiste ?

J’avais, en plus, une excellente mémoire.

Elijah haussa les épaules, les yeux sur la route. Encore une fois, un léger fond sonore s’échappait des quatre coins du véhicule, mais d’une façon plus pure et claire que dans le camion précédemment. La musique étant quelque chose d’important pour lui, c’est une des choses qu’il se faisait un honneur de régler quand il en avait l’occasion.
Il tourna légèrement la tête vers Angela pour l’accrocher du regard avant de se fixer de nouveau sur la route.

- Vous savez. Pouvoir sortir du garage pour ce genre de course n’est jamais une gêne. C’est un changement d’air qui est souvent bienvenu. Rester enfermé une partie de la journée sous une voiture, croyez moi, ça a quelque d’oppressant…

Il rit et remonta lentement l’avenue, le trafic était important dans cette partie de la Ville Basse. Les gens venaient de finir leur journée par ici et comme dans la ville Médiane précédemment, ils avaient envie de rentrer plus que tout autre chose.
Quand elle posa la question sur ses études il sourit et acquiesça.

- Oui. Je suis sur le Campus de la ville. Je suis spécialisé dans l’histoire et l’ingénierie. Deux branches différentes vous me direz. Je serais totalement d’accord et si je devais vous avouer quelque chose, l’Histoire me plait plus que le reste. Mais les deux sont enrichissant… j’aime toucher à tout.

Si Angela regardait à l’extérieur à ce moment là, elle pouvait reconnaitre l’avenue qui menait vers la ville Médiane qu’ils avaient emprunté plus tôt dans le sens inverse. D’ailleurs la circulation se faisait moins dense dans le sens de la montée que de la descente, visiblement, plus de genre de la basse travaillait dans la haute que l’inverse.
Eli garda le silence une minute, il compta les secondes et fini par rire avant de s’adresser de nouveau à Angie.

- J’aurais besoin d’une direction à partir de là, je n’ai pas fais attention à l’adresse que vous avez laissé sur les papiers.

Il tourna la tête vers elle pour la jauger et lui fit un clin d’oeil.
Il aimait bien taquiner les gens lui aussi. Rien de méchant, c’était plus un jeu qu’autre chose.

La réponse d’Elijah me fit inconsciemment froncer le nez. Je n’arriverai pas à la le faire changer d’avis. De toute façon, j’étais à court d’arguments. Je finis donc par hocher la tête, signe que j’étais d’accord.

Les rues défilaient sous mes yeux, je reconnaissais quelques endroits. Elijah serait certainement surpris, vu la façon dont il me signifiait qu’il n’était pas bon pour moi d’être dans la ville basse, s’il savait que je venais quelques fois jouer avec mon groupe dans des bars où des soirées de la ville basse. Je regardais par la fenêtre tandis qu’il répondait à ma question.

- L’Histoire, c’est important. C’est ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Si chacun pouvait tirer des leçons des erreurs qui se sont produites dans le passé, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui…

Mon constat était peut-être amer, je l’étais, d’une certaine façon. Le monde qui m’entourait me dépassait, je ne comprenais pas cette animosité qui pouvait parfois envahir les gens. L’Histoire était remplie de morts sacrifiés pour l’ambition de quelques hommes. Quand l’homme allait-il apprendre de ses erreurs ?

Sa réflexion me ramena sur la terre ferme.

- Ah oui pardon, j'ai parfois tendance à oublier que je suis toute seule dans ma tête.

Je lui donnai mon adresse et lui expliquai rapidement comment y aller. Ce n’était pas très compliqué.

- Et vous arrivez à tout conjuguer ? Le travail, les études… je ne sais pas comment vous faites.

Moi, je n’avais pas pu. Mais c’était indépendant de ma volonté. Dire qu’aujourd’hui je serais certainement docteur en microbiologie ! Au lieu de ça, j’étais une espèce d’électron libre qui se baladait dans l’espace sans réel but. Mais j’avais choisi cette vie malgré tout et je l’appréciai autant que possible.

Eli était absorbé par ce que lui disait la jeune femme. Il sourit de toute ses dents et claqua deux fois des doigts en rythme avant de pointer son pouce vers elle sans enlever sa main du volant.

- Mais je suis tout a fait d’accord avec vous, c’est pour ça que j’aime l’Histoire. Apprendre et voir les choses qui se répètent et me demander comment nous aurions pu éviter que le cycle se répète.

C’était clairement un sujet qu’il aimait et ça se voyait. D’ailleurs il reprit après moins de dix secondes de blanc dans la conversation.

- On pourrait imaginer que les évènements du début du millénaire auraient fait changer les mentalités, que les gens auraient prit conscience de leurs erreurs. Mais au lieu de marcher main dans la main, ils se sont divisé de plus belle. Schisme Politique, Géographie, Racial… je pense qu’en un siècle on a cumulé toutes les tares des trois précédents.

Il rit, mais c’était un rire jaune pour le coup, bien qu’il gardât son sourire. On voyait que ça le touchait bien plus que de raison.

- Mais c’est moi qui m’emporte. Comme d’habitude.

Il suivit les directives de la jeune femme et prit lentement la route qui la ramènerait chez elle.

Quand elle lui posa la question de son emploi du temps, il haussa les épaules, répondant d’un ton neutre.

- J’ai de la chance là dessus… mes horaires à l’école sont assez souple et Bruce, mon patron… disons que quand je suis dans le coin, il trouve toujours quelque chose d’intéressant à faire, alors je suis plus une soupape pour lui qu’autre chose. J’ai de la chance pour ça et j’ai du temps libre pour le reste. Honnêtement, même si ce que je dis ne donne pas l’air que j’ai du temps pour moi, j’ai parfois tellement de temps libre que je ne sais pas comment l’occuper, alors je me perd sur le balcon de chez moi et je me contente d’un verre et d’un livre en profitant de l’air frais.

Il sourit, conscient de l’image qu’il allait donner de lui.
Et du coup retourna le sujet pour qu’Angela soit le centre de l’attention.

- Et vous… que faites vous de votre temps libre si vous me permettez la curiosité ?

J’étais contente de voir qu’il partageait mon opinion, cela ne pouvait le rendre que plus sympa à mes yeux. Et du coup, je me détendis un peu. Non pas que j’étais tendue, mais vous savez, on n’est jamais complètement soi avec les gens qu’on ne connait pas. Quoi qu’on en dise, on essaie toujours de donner une bonne impression. Alors bon, moi j’étais spontanée et parfois les mots sortaient de ma bouche avant que j’ai eu le temps de vraiment savoir si c’était convenable ou pas, mais même moi, j’avais mon « filtre à inconnus ». Quoiqu’il en soit, Elijah était sympa et je n’étais pas du genre méfiante.  Je me prêtais plutôt bien aux bavardages.

- Non mais vous avez raison, il faut savoir s’emporter et dire vraiment ce qu’on pense parfois. Ca ne fait pas de mal. En général.

Je réfléchis un peu plus à ce que je venais de dire et je me corrigeai.

- Enfin, ça dépend qui on a en face, c’est sûr…

Je l’écoutai m’expliquer comment il arrivait à gérer son emploi du temps. Je souris à l’évocation du livre, j’étais moi-même une assez grande lectrice. Jamais sans un livre. Ce n’était pas pour rien si je faisais la lecture bénévolement à l’hôpital.

A sa question sur mon temps libre, une réponse me vint tout de suite, que j’eu la présence d’esprit de retenir avant que les mots ne franchissent mes lèvres. J’avais beau faire, je pensais à ça tout le temps, mon cancer, mon traitement… il faut dire que ça occupait une bonne partie de ma vie. Mais je préférai lui raconter autre chose.

- Oh, je fais plein de trucs…

Je pris le temps de la réflexion avant de commencer mon inventaire.

- Je suis du genre qui ne tient pas en place. Mes amis vous diraient que je suis une droguée d’adrénaline, et ils n’ont pas tout à fait tort. J’aime les sports extrêmes, le saut à l’élastique, la chute libre, tout ça. Je sors avec mes amis, beaucoup. J’ai une devise : la vie est trop courte pour en perdre une miette.  Alors je vis chaque moment à fond. Je ne veux pas avoir de regrets lorsque…

Je ne terminai pas ma phrase, consciente que j’en avais dit un peu plus que je n’aurai voulu. Foutu spontanéité. A la place, je repris l’énumération des mes activités.

- Oh et puis, je suis bénévole à l’hôpital, je fais la lecture aux malades. Et je chante dans un groupe aussi, on anime des soirées en tous genre. Et on fait des concerts de temps en temps, dans des bars. Pas plus tard que samedi dernier, on jouait dans un bar de la ville basse, le McLaren’s, vous connaissez ?

A l’image d’Angie, il se détendit légèrement quand ils se trouvèrent des points communs.
Son sourire toujours aux lèvres, il conduisait prudemment vers la destination indiquée.
Il fut content d’avoir demandé à la jeune femme ce qu’elle faisait de son temps libre, car elle non plus ne manquait pas de verbe visiblement quand on la lançait dans un sujet qu’elle appréciait.

Quand elle se mit à énumérer ses différents centre d’intérêt il baissa légèrement le son de la radio avec les commandes du volant pour pouvoir écouter plus attentivement. Rien de bien notable, mais assez pour qu’il puisse participer à la conversation par la suite sans avoir à combler des blancs a cause d’une note plus forte que l’autre.
Quand elle se suspendit cependant il tourna légèrement la tête vers elle pour voir si elle avait arrêté de parler a cause de quelque chose d’extérieur ou si sa distraction était plus interne. Quand il ne vit rien de notable à l’extérieur il prit note mentalement, mais ne releva pas. Ce n’était pas ses affaires après tout et même si il était très curieux de nature, il ne le serait pas pour ça… pas aussi tôt avec les gens en tout cas.

Il profita de sa question pour rebondir.

- Non. Enfin. De nom, c’est le fief de certains des élèves de ma promotion. Mais pour être tout a fait honnête, je vous envie sur beaucoup de choses. Vous avez en effet l’air de profiter de chaque moment et vous rendez les choses très productives visiblement, c’est assez rare dans le secteur pour prendre le mérite de le relever.

Il lui sourit franchement en la regardant dans les yeux et reprit.

- Et bien je penserai à accepter leur invitation à l’avenir. Peut-être que je vous verrais chanter a ce moment là…

Il quitta l’avenue principale en tournant à droite pour se diriger vers le quartier qu’elle lui avait indiqué. Plongé un instant dans ses pensées. Quand il se rendit compte du silence, il s’éclairci la gorge.

- Je suis désolé, c’est a mon tour de me perdre dans mes pensées. Je me disais que j’étais légèrement jaloux de tant d’activités. J’ai mis les pieds en ville il y a… trois ans maintenant… j’ai passé beaucoup de temps enfermé, j’avais peur de sortir en quelque sorte. J’ai commencé à vivre il y a un an si je peux dire ça comme ça. Et discuter de nos loisirs m’a fait penser a une conversation que j’ai eu dernièrement avec une amie que je vois rarement mais qui est toujours de bon conseil. Et justement. Elle me disait que je faisais trop attention à tout, que je voulais tout contrôler autour de moi et que je ne vivais pas…

Il tourna la tête vers elle et lui fit un nouveau clin d’oeil.

- Loin de moi l’idée de vous ennuyer avec mes histoires, nous sommes bientôt arrivé. Mais juste histoire d’être clair sur mes réflexions.

Je haussai les épaules. Je ne comprenais pas vraiment ce qu’il m’enviait. Oui, j’avais une vie bien remplie, mais j’avais une bonne raison… qu’il ne connaissait pas. C’est sûr que d’un point de vue extérieur, ma vie pouvait faire envie.

- Disons qu’il y a un moment dans la vie où on se rend compte qu’il faut en profiter avant qu’il ne soit trop tard.

Je me tournai vers lui. Je parlais comme une vieille qui se rend compte que sa vie se termine alors que je devais avoir le même âge que lui. Techniquement, notre vie ne faisait que commencer.

- Vous savez, tout est dans la tête. C’est à nous de décider de vivre notre vie tant que c’est possible.  C’est vrai, qui sait ce qu’il peut nous arriver ?  Je serai peut-être morte demain. Vous pourriez avoir un accident de voiture ou un truc dans le genre et ne jamais vous en relever. Et à ce moment là, vous regretterez de vous être embarrassé de choses futiles.

Je pris une profonde inspiration, la vie, c’était un sujet qui m’était cher. Et c’est peut-être parce que la mienne était destinée à être courte qu’elle ne m’en était que plus précieuse.

- Cela ne tient qu’à nous de la rendre plus intense, de la vivre vraiment. Je ne vous connais que depuis une heure, ce n’est pas suffisant pour bien connaitre une personne. Mais je ne peux que rejoindre le conseil de votre amie. Vivez votre vie tant qu’il en est encore temps.

Je me rendais compte que l’atmosphère était légèrement en train de s’alourdir dans la voiture. Pas étonnant, parler de la vie et de la mort, ce n’est jamais très joyeux. Je décidai de ramener un peu de gaieté.

- Vous savez quoi ? On rejoue au McLaren’s samedi prochain. Passez nous voir. Il y a une sacrée ambiance dans ce bar, surtout quand c’est nous qui la mettons !

Je lui adressai un clin d’œil et rit un peu.

- Et si un jour vous avez envie de vous éclater vraiment, je serai ravie d'être votre guide. Mes amis disent que je suis un vrai bout en train, que je n'en ai jamais assez. Je crois même que je les épuise parfois !

Et là, je me mit à rire franchement.

Le sourire habituel d’Elijah s’effaça légèrement quand Angie parla des morts imminentes et des accidents. Elle ne pouvait pas le savoir, mais le choix de l’exemple était somme toute banal, mais lui parlait beaucoup et réveillait des choses qui étaient en lien avec sa vie d’avant.
Instinctivement, sa main se leva sur sa nuque, les cicatrices étaient à peine visible sous le col, mais si la demoiselle y regardait de plus prêt, elle pouvait remarquer deux traces parallèles qui s’arrêtaient juste avant sa nuque.

Elijah s’éclairci la gorge.

- J’ai déjà donné pour les accidents de la route. Je suis un miraculé en quelque sorte…

Il reposa sa main sur le volant et instinctivement joua avec la bague qu’il avait au pouce, comme à chaque fois qu’il pensait à son pouvoir a vrai dire. Avec son pendentif, c’était les sources métalliques qui étaient en contact permanent avec lui, une sorte de lien inconscient.

- Je respecte l’idée de bruler la chandelle par les deux bouts, je l’ai fais pendant un bon moment quand je me suis réveillé. Disons que quand on prend le temps d’apprécier les choses, c’est une autre sorte de satisfaction, une autre sorte de plaisir qu’on découvre.

Il rit de nouveau, retrouvant son état normal et tourna une dernière fois le volant pour s’engager dans l’allée qui menait au bâtiment que lui avait indiqué Angela.

- Et bien, voila une occasion de sortir qui serait presque alléchante. Encore plus que l’idée de me mêler à certains de mes camarades de classes pour venir dans des bars sans savoir qui jouera. Donc j’accepte volontiers l’invitation Mademoiselle…

Il lui fit un nouveau clin d’oeil et se pencha vers le volant pour regarder par le pare-brise. Il n’avait pas fait attention au bâtiment vers lequel il venait de s’arrêter.

Je me mordis la lèvre inférieure lorsqu’Elijah parla d’accident de la route. Manifestement,  ma réflexion lui rappelait de mauvais souvenirs. Je m’en voulais un peu. Je ne dis rien, j’attendais la suite.

Prendre le temps d’apprécier les choses… C’était un concept que j’aurai beaucoup aimé suivre mais du temps, je n’en avais pas tant que ça. En fait, pour être juste, je ne savais pas combien il m’en restait. Mais je gardai le sourire.

- Prendre le temps… c’est vrai que l’idée est tentante. Mais je doute d’avoir le tempérament pour.

Je cachai mon trouble en regardant par la fenêtre. On approchait de chez moi, je reconnaissais le quartier. Et puis Elijah arrêta sa voiture devant chez moi. J’habitais une petite maison toute simple, avec un garage, une pelouse, le style typique des pavillons de banlieues.

La voiture de mon frère était rentré, plus tôt que prévu manifestement. Je sentais d’avance l’orage qui allait s’annoncer. David était une vraie mère poule envers moi. J’étais sensée être rentrée depuis un moment déjà.

- Oh non…

Comme je le prédisais, David était sorti de la maison et s’avançait vers nous d’un pas rapide, l’inquiétude se lisant sur son visage. Pour prévenir toute question embarrassante, je sortis la voiture et pris les devants.

- Salut David. Désolée je suis en retard, ma voiture est tombée en panne et je n’avais pas assez de batterie pour te prévenir.

Je me tournai vers Elijah avant que mon frère ait pu répondre quoique ce soit.

- Faites pas attention à mon frère, il a tendance à oublier que je n'ai plus 15 ans. Merci beaucoup de m’avoir ramenée. Et merci aussi pour la réparation..

J’allai refermer la portière mais je m’arrêtai pour rajouter autre chose.

- Et vous avez raison de venir samedi, vous n’allez pas le regretter ! Les « home made » sont vraiment géniaux sur scène.

Je lui adressai un clin d’œil accompagné d’un petit sourire.

- Et s'il vous plait, appelez moi Angela, ou mieux, Angie, Je n'aime pas mademoiselle, ça me donne l'impression d'être une vieille fille !

Il admirait la maison en écoutant Angie. Il aimait ce genre de maison, il se disait qu’on devait être bien par ici.
Indirectement, ça lui faisait penser à la maison. Celle dans laquelle il vivait quand il était jeune à la Nouvelle Orléans et il se projetait dans ce genre de bâtiment, boire un verre et écouter de la musique dans un jardin devait être bien plus agréable que la fenêtre de son appartement, surtout avec la vue que ça devait offrir la nuit avec peu de lumière.

Mon attention fut attiré par un homme qui sortait de la maison pour foncer dans notre direction. Mes sourcils se froncèrent et je vécu des scènes de films que j’avais vu un million de fois. L’amant jaloux qui sortait de la maison et qui sortait l’autre courtisant par la fenêtre de sa voiture pour le battre comme plâtre.
Je perdis mon sourire, mais pour autant, je n’avais pas peur, je trouvais la situation très peu probable. Tandis que je tournais la tête vers Angela pour lui demander qui était cet homme, cette dernière avait déjà mit les voiles pour faire signe à ce dernier.
David donc.

Quand Angela lui dit de ne pas faire attention, il le prit au pied de la lettre et fit un petit coucou de la main au frère de cette dernière.

Je ris de bon coeur quand elle me donna le nom de son groupe et lui fit un signe de la main.

- Les Home Made donc, nous verrons ce que donne le son du pays dans ce cas là, passez une bonne soirée Angie. Et le bonsoir à votre frère.

Après un dernier salut de la main, il ralluma la voiture qui se mit à ronronner et recula doucement dans l’allée.
Une fois au bout de cette dernière cependant, il s’arrêta. Plongé dans une profonde réflexion qui ne fut coupé que par les phares d’une voiture qui venait derrière lui.

Il allait rentrer, c’était mieux comme ça. Mais il avait beaucoup de choses à préparer pour la suite. Il prit donc lentement la route de la ville basse, la fenêtre de sa voiture ouverte et le son légèrement plus fort que quand il n’était pas seul.

Quand à moi, je retournai vers David après avoir répondu au dernier salut d’Elijah. Je savais que la colère de David était retombée. L’inquiétude le rendait parfois fou, mais ça ne durait jamais longtemps, quand il voyait que j’allais bien, il était rassuré.

Il m’attrapa par le cou comme il en avait l’habitude et se mit à marcher à mes côtés en direction de la maison.

- Tu t’es fais un nouvel ami ?

Je sentais un sourire dans sa voix, comme à chaque fois qu’il me parlait de mes éventuelles conquêtes. Je haussai les épaules.

- N’importe quoi, c’est juste Elijah, mon nouveau garagiste.

- Nouveau garagiste ? Il bosse bien au moins ?

- J’en sais rien, mais il est sympa, ça me suffit.

Il se mit à rire et me serra un peu plus fort contre lui.

- Ah, petite sœur, tu changeras jamais !

Je ne savais pas trop ce qu’il voulait dire par là, mais je ne lui demandais pas. J’étais contente qu’il ait retrouvé le sourire. Je n’aimais pas qu’il s’inquiète trop à cause de moi.



[et maintenant, il te reste 3 options : 1, en finir là, 2 prolonger un petit peu avec le retour de la voiture d'Angie (ça sonne comme un titre de film !) et 3, prolonger en passant direct à la soirée du samedi soir, si ça te tente bien sûr. Je te laisse choisir]