[CLOS] [Jane/Alex/Matt] Poubelle la vie...

Il était tard, la nuit était déjà bien avancée, beaucoup trop pour une gamine qui trainait dans les rues.
Maudite soit cette vieille sorcière ! Et tous les autres aussi, dans le même sac et hop, au crématoire ! Pensa-t-elle furieuse.
Cette crétine heureuse de directrice s’en était encore prise à elle. Jane la détestait, elle était monstrueuse, et pas seulement avec elle. Cela ne la consolait pas, mais c’était moins frustrant.
Jane était pourtant discrète, parfois arrogante, mais c’était seulement quand elle crevait de faim… En y réfléchissant un peu, cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas eu le ventre plein. Et à cause de cette pimbêche de Jessica, elle n’avait eu le droit que de filer au dortoir au moment du repas…
Le dortoir, parlons-en. Même un dépotoir ne sentirait pas autant l’urine et la merde. Jane étouffait dans ce maudit centre. Chicago lui manquait soudainement. Au moins là-bas, même si elle n’était pas plus considérée, elle n’avait jamais connu la faim.

Jessica boufferait bientôt ses chicots, la jeune Jane lui avait promis, elle le ferait, mais pas ce soir, non. Et d’abord elle l’avait bien mérité cette blonde aux nattes mitées, si elle n’avait pas déverser de la pisse partout sur son lit, enfin lit, c’était un bien grand mot pour désigner une paillasse pleine de vermine et qui sentait la gerbe d’un clodo alcoolisé qui squattait, parmi tant d’autres les locaux. Jane regrettait simplement de ne pas avoir eu le temps de mettre ses menaces à exécution.

Elle en avait marre, plus que marre de cette vie. Marre de prendre sur la figure gratuitement, d’ailleurs son visage ne devait pas être joli à voir, ça lançait vraiment et la jeune orpheline posa doucement la main sur le côté droit de son visage, la douleur était telle qu’elle n’avait pu la poser entièrement, elle grimaça.

Elle avait faim, très faim, elle devait manger ce soir, c’est pour cela qu’elle avait fugué et Jane savait pertinemment ce qui l’attendrait au retour. Une correction que la vieille garce trouverait légitime. Non, elle ne lèverait plus la main sur elle, Jane l’avait décidée, elle ne foutrait plus jamais les pieds dans ce gourbi. Elle ne pouvait pas avoir plus faim, ni sentir plus mauvais qu’aujourd’hui en survivant seule dans la rue.

Une poubelle attira son attention, il devait certainement y avoir, avec beaucoup de chance, un fond de restes d’un resto crade du quartier. Du rat ? Du labrador ? C’est qu’ils étaient fin gourmets ces Chinois, mais elle aurait avalé n’importe quoi, du moment que cela était comestible.
La tête dans la poubelle, elle chercha un précieux morceau de… un bon morceau de viande, cela la ravirait.
La benne à ordure était haute, elle avait du prendre appui dessus, les pieds ballotant à l’extérieur, les mains remuant dans les déchets de toutes sortes… Parfois, elle était heureuse de ne pas voir dans quoi elle avait fourré ses mains.
Elle entendit soudain des bruits de pas. Sans même réfléchir, Jane se laissa tomber dans la benne pour se cacher. Ce n’était pas agréable comme planque, ça lui mettait l’envie de vomir, mais si un flic passait par là, s’en était fini de sa fuite.
Les pas s’éloignèrent, un petit coup d’œil à l’extérieur et la gamine sortit, plus puante encore et pire que tout bredouille… Elle avança avec prudence dans l’ombre, elle ne devait croiser personne, surtout pas d’adulte !

[Salut, moi c'est Alex, dit "le moche" Perso, je me trouve plutôt sympa à regarder ! Non ? Tu trouves pas ? En l'absence de tag précis, je m'incruste ! :D]

J'avais retrouvé l'appétit ! Non, attendez, je ne l'avais pas perdu. Disons que j'avais retrouvé le sourire. Mais ça je ne l'avais jamais perdu non plus. Donnez-moi une seconde, je vais trouver ! J'avais... Admettons que j'avais récupéré une humeur digne de moi ! Oui, on va dire ça ! Depuis que nous avions embauché cette serveuse, mon train de vie était redevenu à peu près normal, plus appréciable, plus normal. J'avais pu me débloquer quelques heures pour moi et je tentais de reprendre du service. Vous savez... Du service. Ailleurs...

J'avais laissé le bar à Matt quelques minutes, le temps de ranger la cuisine. A cette heure-ci, nous ne faisions plus à manger, les gens ne réclamaient qu'à boire ! Tout au plus, des frites. Je suis sorti par derrière pour rejoindre la ruelle avec deux grosses poches poubelles remplies de bouteilles vides, de cartons défoncés et des restes d'assiettes du midi. Les gens devaient oublier qu'ils avaient faim parce que c'était à se demander si on ne jetait pas plus qu'on ne cuisinait. Un jour, dans un McDonald's pas très loin d'ici, j'ai même vu un employé jeter un hamburger encore chaud. La fille avait mordu dedans avant de percuter que ce n'était pas ce qu'elle avait commandé. Elle allait dire qu'elle allait le manger quand même mais qu'elle voulait le gros commandé, tout de même ! Le type lui a chipé des mains et l'a jeté. Juste comme ça. Je crois que j'aurais pu le tuer. Ce que je jetais ce soir, c'était tout ce que nous n'avions pu récupérer. Le reste, c'était pour nous, pour le dîner après le service pendant qu'on compterait les caisses. Ce n'était pas toujours très bon mais je mettais un point d'honneur à ne rien gâcher.

Je me suis mis à siffloter en faisant demi-tour, sans me douter de ce qu'il se tramait dans ma poubelle. Et puis, j'ai entendu un bruit alors que je m'apprêtais à rentrer dans la cuisine, une main sur le mur de pierre. Je me suis figé une seconde en cessant ma balade et j'ai passé la tête au coin pour voir quelque chose sortir de la benne. On aurait dit... Un enfant !

– Hey !

Personne ne pouvait savoir, personne ne pouvait imaginer à quel point cette image m'a frappé. Même Lexy l'ignorait, tout le monde l'ignorait, je n'en avais parlé à personne. C'était mon secret, mon fardeau et je le portais bien. Mais de loin, elle lui ressemblait. Peut-être ! Alors je suis revenu vers elle. Si elle tentait de s'échapper, elle n'avait pas de chance : j'étais grand, et ce n'était qu'une enfant. Je l'ai alors attrapée par le bras pour l'intercepter.

– Qu'est-ce que tu faisais dans cette poubelle ?!

J'étais habitué à ces odeurs, et même à la crasse. mais au point de ne pas y retrouver un visage, j'en ai eu un haut le coeur.

[Cela était fait pour et tu as bien fait de t’incruster ! Alors bienvenue « beau gosse » !]

Tapie dans l’ombre, la gamine se pensait invisible de tous regards curieux. Mais visiblement, il y avait encore du travail côté discrétion. C’était bien sa veine !
On apprenait aux enfants à marcher, parler, d’arrêter de faire ses besoins dans une couche, se brosser les dents, l’hygiène, la politesse, à rester en place, lire, compter etc… etc… Mais pas sortir discrètement d’une poubelle. C’était trop demandé peut être ?!

Elle était découverte ! Qu’il aille au diable !

La voix masculine avait résonné partout dans la rue qu’elle pensait déserte à nouveau. Elle chercha rapidement d’où venait cette voix. Paniquée comme un petit rongeur traqué par un chat affamé, alors que c’était sans aucun doute elle qui avait le plus faim. Elle n’avait pu lui échapper.

C’était trop tard, à peine Jane avait posé son regard perdu et fiévreux dans ceux de l’homme, que la main de celui-ci se resserra sur le bras trop fin de la pauvre enfant.

- Mais lâchez-moi !

Elle se débattait mais pourquoi ? Elle ne pouvait pas faire face à un adulte. Ces maudits adultes qui avaient tous les droits sur eux ! Droit de leur donner la vie, de les abandonner après s’être rendu compte qu’ils avaient fait une belle connerie. Eux qui décidaient qui seraient de bons parents pour une pauvre gamine que l’on trainait à droite à gauche. Ah ça ! Ils étaient forts pour se mettre dans la merde, mais pour les assumer ensuite, il n’y avait plus personne. Elle haïssait ses géniteurs, et les autres aussi.

Il était plus fort mais elle continuait sa faible lutte. Les petits poings gesticulaient, Jane tenta aussi quelques coups de pieds en vain alors que l’homme qui avait du prendre trop de coup de fer à repasser sur la tronche durant son enfance pour qu’elle ait cette forme, lui demandait ce qu’elle faisait dans la poubelle…

A se demander s’il avait un soupçon de jugeote ! Pensait-il qu’elle aimait se rouler dans les ordures des autres ? Que c’était bon pour la peau comme certains prenaient des bains de boue hors de prix alors qu’elle n’avait pas de quoi s’acheter une portion de frites ?
C’était écoeurant de voir tout ce que l’on trouvait dans ces poubelles. Ils jetaient tout et n’importe quoi sans regarder. Et après, ça venait te gueuler dessus par ce que tu fouillais dans LEURS poubelles !  C’était absurde non ?

- Je n’ai rien pris ! laissez-moi partir !

Et la petite gamine, totalement inoffensive se mit à trembler sous l’emprise de son bourreau. Elle savait qu’elle allait se prendre une rouste. Elle pouvait supporter les coups de la vieille directrice, c’était douloureux mais elle ressortait toujours qu’avec des bleus et quelques larmes qui ne coulaient plus aujourd’hui.
Jane savait que si l’homme qui la retenait la frappait, elle ne s’en relèverait pas.
Elle ne se débattait pratiquement plus, ses yeux implorants brillaient des larmes qui ne tombaient pas, dans un filet de voix elle reprit.

- Je n’ai rien pris…

[Héhé, I am ]

"Bourreau", si j'avais entendu ne serait-ce qu'un soupçon de ses pensées, j'en aurais probablement été anéanti. Mais ce qui m'animait n'avait rien à voir avec mes petits boulots d'à-côté. C'était quelque chose d'autre, de bien plus intime. Si seulement j'avais entendu ses pensées... Je l'aurais simplement lâchée. Non pour lui rendre la liberté mais parce qu'elle m'aurait percé à jour à une telle rapidité que j'en aurais perdu toute énergie.

Mais pour l'heure, elle se débattait et plutôt vivement. Je lui ai attrapé l'autre bras pour tenter de la calmer mais rien n'y faisait. Une gamine des rues, encore une. Combien déambulaient par ici ? C'était la première que je voyais si proche du bar, cela dit. Je me suis accroupi pour me mettre à sa hauteur et j'ai serré ses bras. C'était sûrement une erreur mais je ne voulais pas qu'elle parte et qu'elle me file entre les doigts sans que j'en sache plus. J'ai froncé les sourcils à sa remarque.

_ Comment ça, prendre, mais il n'a rien à prendre là-dedans, gamine, c'est une poubelle !

Et puis, elle a enfin commencé à se calmer en comprenant qu'elle ne pourrait rien face à moi. J'ai haussé les sourcils en cherchant à capter son regard et à le maintenir. Elle tremblait, je le sentais au creux de mes mains. Elle pouvait bien penser ce qu'elle voulait de mon visage, ça ne m'avait jamais empêché de vivre ! Si elle continuait de gigoter, elle s'était bien calmée.

_ Je me fiche de savoir si tu as pris quelque chose ou non, ce n'était pas ma question. Je vais te lâcher maintenant, d'accord ? Mais je vais te demander de ne pas t'enfuir ! Je veux juste que tu me dises ce que tu faisais là-dedans.

Elle aurait pu user d'une bonne douche. Et d'un bon repas. Je sentais les os dans mes paumes. A y regarder de plus près, j'ai deviné qu'il s'agissait d'une petite fille mais ça aurait pu être n'importe quoi.

_ Si je te lâche, tu me réponds ? Tu veux bien ? Je ne te ferai aucun mal.

Moi, doué avec les enfants, très peu. Mais ça aurait pu être ma propre fille. Et rien que pour ça, elle gagnait toute mon attention.

_ On compte jusqu'à trois ? Je n'ai qu'une parole. Je te lâche et tu me réponds.

Lentement, j'ai compté, ne la quittant pas des yeux et puis à trois, j'ai tenu ma promesse, je l'ai lâchée, doucement.

Le rustre ! Il ne la lâchait pas, pire encore, il tenait fermement ses deux bras, il la serrait trop, il lui faisait mal. Elle ignorait si c’était par plaisir, qu’elle était tombée sur un sadique qui prenait un malin plaisir à faire du mal.

- Il y a certainement plus de choses que vous ne pouvez l’imaginer !

Lui cracha-t-elle en pleine face.
Mais comment pouvait-il le savoir lui, qui était vigoureux et en bonne santé. Suffisamment pour la retenir, à son insu et elle était maintenant sa prisonnière.

Mais contre toute attente, il lui proposa un marché. C’était bien un truc d’adulte ça. Une espèce de troc du : « je-fais-ça-si-tu-fais-ci » chantage oui ! Mais elle était en position de faiblesse face à un homme dans la force de l’âge. Maintenant à sa hauteur, elle avait pu voir ce visage. Il n’était pas plus moche une fois plus près, il n’était pas aussi laid qu’elle avait imaginé. La pénombre et l’affolement avaient dû biaisés l’idée qu’elle s’était faite du bonhomme. Mais il la tenait toujours, elle grimaça une nouvelle fois. Qu’il soit un canon de beauté ou un laideron en puissance, c’était bien le cadet de ses soucis, elle devait quitter son emprise.

Elle acquiesça aux paroles à contre cœur. Si elle s’était retrouvée face à une femme, elle aurait détalé tel un lièvre une fois libérée, mais là elle se sentait trop fragile pour lui échapper. Elle allait obéir, comme une enfant bien dressée face à l’autorité d’une personne qui se pensait plus « bien-pensante » et se croyait « bienveillante ».

Il compta alors lentement, et comme convenu, il la lâcha lentement, s’assurant qu’elle ne filerait pas.
Jane fit simplement un pas en arrière en baissant la tête. Il avait tenu parole, elle devait en faire de même.

- Je…

C’était humiliant d’avouer qu’on mourrait de faim et que c’était dans les poubelles qu’on espérait se sustenter. Elle dit d’une voix si basse, que l’homme en face d’elle devrait tendre l’oreille pour saisir les mots qui sortaient de la petite bouche de la gamine affamée.

- Je cherchais quelque chose à manger monsieur…

C’est bon ?  Elle avait bien répondu ? Elle avait le droit à son bon point ou à une remontrance ? Il allait la virer un coup de pied au cul ? Elle espérait que non, qu’il le demande de filer sans la taper serait déjà une bonne chose.

Je l'ai regardée faire un pas en arrière mais au moins, elle restait là, face à moi. J'avais de la peine pour cette pauvre petite. Oui, même moi j'avais des sentiments, on aurait pas dit, pas vrai ? Alex le rigolo, Alex le fêtard, Alex le marrant... Des adjectifs, des qualificatifs, j'en avais plein. Mais le "sentimental" ou le "sensible", non. Jamais personne ne me l'avait donné, celui ci. J'ai posé mes coudes sur mes genoux et j'ai froncé les sourcils en l'entendant. J'ai jeté un oeil à ma poubelle puis à l'enfant avant de pouffer de rire.

_ Là-dedans ? Ce qu'on jète, c'est que c'est vraiment plus bon. Encore moins pour une enfant de ton âge. Crois-moi...

J'ai soupiré en l'étudiant de haut en bas. Elle était minuscule, sale, maigre et peu engageante. Je n'étais pas du genre à me mêler de ce qui ne me regardait pas. Je n'étais pas du genre à poser des questions. J'agissais, sans réfléchir, je faisais mon travail, ce pour quoi j'étais là, je ne questionnais ni les uns, ni les autres et encore moins la vie. Mais ici... Tout était différent. Alors, j'ai souri.

_ M'appelle pas monsieur, j'ai l'impression d'avoir pris 20 ans dans la tête, j'ai l'air si vieux ? Je m'appelle Alex. Et toi, c'est quoi ton nom ?

_ Bones, y a Ennis au téléphone. Qu'est-ce que tu fais assis par terre ?

J'ai tourné la tête pour voir une jeune femme au coin de l'immeuble, à peine éclairée par la lumière provenant de la cuisine. Je l'ai désignée d'un pouce en regardant Jane. Comme je ne répondais pas et que je restais à terre, Lexy s'est approchée de nous d'un pas méfiant mais curieux.

_ Elle, c'est Lexy. Si je lui demande, elle se fera un plaisir de te préparer un truc à manger. Qu'est-ce que t'en dis ?

Lexy arrivait à notre hauteur. La pauvreté, ça la connaissait, bien mieux que moi, d'ailleurs. Elle avait vu celle du monde entier mais disait toujours que celle de Megalopolis la terrifiait plus que les autres. Elle s'est penchée pour s'accroupir près de moi, elle avait l'habitude ! Elle a tendu une main méfiante vers Jane. Les enfants sauvages, elle en avait déjà approchés, elle les savait toujours sur le qui vive. Mais elle aurait aimé voir le visage de l'enfant derrière ses cheveux sales. En haussant les sourcils, elle soupira profondément. Lexy, c'était tout à fait mon genre de femmes. Grande mais avec des formes, d'immenses yeux bleus et un style barroudeur. A mi-chemin entre la nomade et la bohémienne, entre le métal et le rock. Mais je ne connaissais pas de femme plus douce et attentive que celle-ci. Il y avait un modèle à suivre.

_ Et puis une douche, aussi. Je vais lui trouver des vêtements propres.

Je me suis relevé mais Lexy est restée à la hauteur de l'enfant quelques secondes de plus avant de lui tendre les mains.

_ Ca te branche un bon bain chaud ? Y a des trucs à bulles, tu m'en diras des nouvelles. Y a trop de restes de toute façon, tu veux les finir avec nous ?

Il se foutait clairement de sa gueule là non à rire comme ça ? Jane fronça les sourcils, mais pour qui se prenait-il celui là ! Et qu'est ce qu'il pouvait en savoir ? Ce qu'il estimait ne plus être bon pour lui l'était peut être encore pour elle? Mais elle ne fit aucun commentaire.
Elle posa furtivement son regard sur Alex qui lui souriait. Mais Jane restait impassible face à ce qui s'apparentait à une tentative d'humour. Il  se plaignait d'avoir reçu un minimum de respect de la part de la gamine, tant pis et c'était au tour de Jane de se moquer gentiment du mec pas aussi méchant qu'il ne paraissait.

- Je m'appelle Jane. Vous êtes quand même bien plus vieux que moi Monsieur Alex.

C'est à cet instant qu'une voix de femme se fit entendre. Lexy. Elle s'approcha, tu m'étonnes, c'était tellement drôle de trouver une petite bête sauvage telle que Jane.
Alex avait maintenant toute l'attention de la gamine lorsqu'il parlait de lui donner à manger. La pitié des grands elle la connaissait, elle la haïssait. Mais ce soir elle accepterait d'être un phénomène de foire s'il le fallait, pour manger elle aurait accepté n'importe quoi.

Jane avisa la nouvelle arrivante. Elle était jolie, c'était facile de l'être quand on mangeait, dormait correctement. Puis Jane tiqua un instant.
Un repas, une douche, des vêtements propres... C'était trop louche d'offrir autant, ils allaient lui demander quelque chose en échange, obligé. Rien n'était gratuit dans ce bas monde.
Alex se releva, le visage fin et sale de l'orpheline suivait le grand homme qui la dominait à nouveau.

- Je n'ai pas de quoi vous payer.

Un repas, un bain chaud avec sans aucun doute du savon et peut être même du shampooing ! Des vêtements propres... Les siens étaient sales et trop petits. C'était tentant, vraiment ! Elle en avait envie mais ne pouvait se résigner à abandonner sa méfiance. D'ailleurs, Jane n'avait pas bougeait d'un pouce lorsque Lexy lui tendit les mains, elle se contenta de les regarder.

_ Nous payer ?

J'ai échangé un regard avec Lexy d'un air étonné puis j'ai reporté mon attention sur Jane.

_ On a pas besoin d'argent, on en gagne suffisamment, juste ce dont on a besoin. Mais on a des restes de ce midi et on est pas du genre à jeter.

Je me suis à nouveau accroupi face à elle avec un sourire.

_ Dis-toi que tu nous rendras service. Tu nous aides à pas gaspiller, on t'offre un bain chaud.

Lexy m'a donné un léger coup de coude en désignant la cuisine.

_ Va répondre à Ennis, je m'occupe d'elle.

Mais je n'en avais aucune envie.

_ Non, non, je vais le faire. Dis à Ennis que je le rappelle demain.

_ Toi ? Vraiment !

Elle semblait si étonnée que c'en était vexant. Je l'ai regardée, le front plissé par l'interrogation. Pour qui elle me prenait. Et elle riait en plus ! Elle disait que je ne savais pas m'occuper des enfants mais elle se trompait. Enfin, j'espérais. Elle a finalement abdiqué en se relevant, les mains hautes et malgré tout amusée.

_ D'accord, très bien, qu'il en soit ainsi ! On va bientôt fermer, je prépare à manger d'ici une heure.

Elle a secoué la tête et est repartie en souriant. J'ai attendu qu'elle soit hors de portée pour me retourner vers Jane. Si je souriais toujours, c'était malgré tout plus faible. Je l'ai désignée d'un geste du menton.

_ Qu'est-ce que t'en penses ? Ca a l'air d'être un bon plan, non ? Si tu veux, tu peux même dormir ici ce soir. On y verra plus clair demain, tu pourras peut-être me dire d'où tu viens et ce que tu fais par ici. En attendant, un bon lit, c'est mieux qu'une poubelle, tu crois pas ?

J'ai tendu mes mains vers elle et j'ai repris d'une voix douce.

_ Je te jure qu'il ne t'arrivera rien ici. Tu seras en sécurité. Je laisserai personne t'approcher, tu as ma promesse.

Elle avait l'âge de ma propre fille.

Toute cette générosité c'était... déroutant, inattendu. Personne n'avait été aussi gentil avec elle depuis son transfert de Chicago. Mais elle ne se faisait pas d'illusion sur la suite. Comme d'habitude, elle retournerait à la case départ.

Jane hocha péniblement la tête, elle les aiderait à finir les restes, ça lui coûtait de le faire, d'accepter l'aide d'inconnus.

Toujours silencieuse, face à l'échange entre les deux adultes mâle et femelle, Jane ne comprenait pas, d'ailleurs elle n'avait plus vraiment conscience de ce qui se passait autour d'elle. Cela tournait, ça bourdonnait dans la tête.  Son estomac vide lui faisait de plus en plus mal. Si le visage de la gamine n'était pas aussi sale, Alex aurait vu celui-ci devenir aussi blanc qu'un linge neuf. Elle se ressaisit en papillonnant des yeux. Celui qu'elle avait envie de croire être son ange gardien de la soirée lui proposa même de passer la nuit chez eux.

- Vous voulez dire, dormir dans un vrai lit ? Vous ne laisserez vraiment personne m'emmener ?

Elle avait envie de le croire, elle était si fatiguée, épuisée, faible, si faible qu'elle vacilla cette fois et se rattrapa aux mains offertes d'Alex.

Je l'ai rattrapée en serrant son coude dans ma main pour qu'elle ne tombe pas. Mon visage proche du sien, j'ai secoué la tête.

_ Juré. Personne viendra t'emmener. Tu peux rester ici autant de temps que tu voudras. La rue, c'est pas un endroit pour un enfant. Tu as l'air épuisé. Allez viens. Mets tes bras autour de mon cou.

Je l'ai soulevée dans mes bras en me relevant, non sans un soupir d'effort. Avant d'avoir une fille, j'ai eu une soeur. Mais avant ça, j'ai été un peu comme ça. Craintif, peur de tout et encore plus des mains qui se levaient pour s'abattre sur moi, des chutes que je faisais et qui me cassaient en deux. Et puis un jour, j'ai décidé que c'en était fini, que je ne serai plus l'esclave de qui que ce soit, seul maître de mon destin. Je me suis toujours juré que si j'en avais la possibilité, je ferai tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter ces injustices. J'ai longé la rue jusqu'à revenir dans la cuisine. Lexy venait de poser le téléphone sur un meuble de la cuisine. Il y sentait bien meilleur que près de la poubelle ! Lexy m'a tendu un paquet de gateaux.

_ En attendant. Mais pas trop ! On ferme bientôt et je vais faire réchauffer. Matt termine le bar pendant ce temps.

J'ai acquiescé et je l'ai remerciée. J'allais pour monter les escaliers quand Lexy m'a arrêté en me donnant sa veste.

_ C'est bon, j'ai ce qui faut là-haut.

_ Sûrement pas. Prends ça. Je préfère, merci à toi.

J'ai roulé des yeux et j'ai pris son pull de lin avant de monter. Tout ça parce qu'il arrivait à certaines personnes d'oublier leurs affaires chez moi. L'avantage de demeurer sur son lieu de travail, j'imagine ? L'étage était bien plus sombre, plus étroit avec des poutres en bois. C'était chez moi donc plus austère. J'ai déposé Jane sur mon lit et ce que m'avait donné Lexy à côté d'elle pour qu'elle puisse piocher dans les biscuits. J'ai ouvert la salle de bain et la porte du un placard pour chercher de quoi habiller une gamine de 12 ans. Ce qui s'est avéré... Complexe. Je me suis frotté la barbe du menton en réfléchissant.

_ Il va falloir faire avec ce soir, je ne crois pas qu'il y ait des magasins encore ouverts, j'en ai bien peur. Ok. Euh...

Je l'ai désignée de mes index puis j'ai regardé la salle de bain. Pourquoi j'avais dit à Lexy que je le faisais ? Je me suis éclaircie la gorge et j'ai sorti un débardeur de Cosima du placard. Ce n'était pas n'importe quelle fille... Alors je pouvais bien lui donner ça. Et elle était si fine que si elle s'habillait chez les enfants, je n'en aurais pas été étonné. J'ai fouillé le reste du placard jusqu'à trouver autre chose de Cosima. Un short ! Sur elle, le short sera transformé en bermuda. Et avec le pull de Lexy, elle n'aurait pas froid. C'était tout ce qui importait pour l'instant. J'ai tendu les vêtements propres à Jane. J'ai entendu quelqu'un courir dans les escaliers et Lexy est arrivée avec un petit sac.

_ J'ai ramené ça de Corée ! C'était encore dans mon sac. Ca fait des bulles dans le bain, c'est excquis !

Et elle souriait comme si c'était son mariage, le plus beau jour de sa vie. Je l'ai dévisagée sans savoir quoi dire et puis je me suis raclé la gorge avant de reporter mon attention sur Jane.

_ Tu as besoin d'aide ou...

_ Alex, je crois qu'il serait très mal vu que tu aides une enfant à prendre son bain...

Elle avait repris son regard étonné, les sourcils et le visage expressif. J'ai ouvert une main. Cela dit, elle n'avait pas tort. J'ai acquiescé. Le temps qu'on arrive, Lexy avait déjà fait couler l'eau chaude.

_ Ok, si tu as besoin, on est à côté, d'accord ?

Dans les bras d’Alex, étrangement elle se sentit en sécurité. Comment pouvait-elle lui faire confiance aussi rapidement ? Le visage enfui dans le cou d’Alex, elle se laissa porter, n’écoutant que les paroles de chacun, elle n’avait pas levée la tête une seule fois. Est-ce qu’un père faisait la même chose avec sa fille ? Certainement du même acabit, l’affection en plus.

Elle s’était blottie, profitant de la chaleur corporelle de son porteur et c’était peut être l’odeur naturelle de sa peau qui était réconfortant. C’était presque avec regret qu’elle laissa Alex la déposer sur le lit, elle s’y allongea les yeux vitreux, perdus dans le vide.

Une odeur de biscuits lui chatouillait les narines, elle en avait presque oublié le goût, cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas mordu dans cette chose là.
Maintenant assise en tailleur non sans difficulté sur le lit, elle piocha un premier qu’elle porta sans attendre à la bouche. C’était croustillant, sucré, trop bon…

Alors qu’Alex se creusait la tête à lui trouver des vêtements convenables, sans même avoir avalé le premier, Jane avait déjà attaqué un second biscuit, un troisième dans l’autre main. L’appelle de sucre, elle allait se goinfrer si personne ne l’arrêtait.

Lexy les avait rejoint, Jane se pencha légèrement et vit le petit sachet, et ça, ça devait faire des bulles ? Jane releva les sourcils d’étonnement, elle n’avait jamais vu cela auparavant.

- Ve dev’ais pouvouaa’ me déb’ouiller feule. Dit-elle la bouche pleine en hochant vivement la tête, les yeux grands ouverts.

Elle descendit du lit, abandonnant le paquet, elle comptait bien lui faire sa fête juste après ce bain.
Jane prit les vêtements, pour disparaître derrière la porte qu’elle repoussa simplement. Elle avait l’impression de baigner dans le luxe. Une baignoire, de l’eau et chaude ! Du savon et elle avait ce petit sachet qu’elle inspecta pour l’ouvrir et déverser le contenu dans l’eau, c’était drôle toutes ces bulles !

Elle se déshabilla tout en laissant ses guenilles sur le sol, puis plongea dans le délicieux bain. Tout y passait, savon, shampooing, tout son corps était frotté énergiquement, restait le souci du dos, il aurait été dommage d’avoir tout lavé et négliger cette partie. Il avait certes était plongé dans l’eau savonneuse, mais vu le mal qui lui a fallu pour se donner figure humaine, elle n’imaginait pas l’état de celui-ci.
Cependant, elle ne voulait pas que l’on voit ses marques, passées et plus récentes. Elle soupira avant d’appeler résignée.

- Lexyyyy ! J’ai besoin d’aide !

J'étais descendu aider Matt à finir de mettre le monde entier à la porte. Nous avions aussi nos heures de repos ! Et en l'occurence, nous avions faim. J'avais donc laissé Lexy sur mon lit en attendant que la petite fasse sa toilette. J'avais même failli dégainer la brosse pour enlever les croutes de poussière dans ses cheveux !

A son appel, Lexy s'est alors levée et précipitée dans la salle de bain. A la lumière vive de la pièce, la jeune femme put voir l'état dans lequel l'enfant se trouver réellement. Les yeux ronds, le bleu de ses iris ressortirent d'autant plus. Elle réajusta son bandana dans ses cheveux qui tirait sa frange en arrière pour dévoiler son visage. Jane put même remarquer les mèches blondes dans sa crinière brune. Lexy se mit à genoux devant la baignoire et elle attrapa le gand en forme de boule, ses bracelets clinquant dans ses gestes. Elle ne fit même pas de réflexion sur l'état de la salle de bain. Voilà qui l'amusait, même. Une fille dans mes appartements, je n'ose même pas imaginer ce qui lui est passé par la tête à ce moment-là. L'eau était pleine de bulles et de mousse ! Aussi bien que Lexy dut frotter une première surface afin d'en enlever le savon et révéler la peau qu'il dissimulait.

_ T'as vu, ça sent bon, hein ? En Corée, ils ont l'art de faire des trucs qui sentent comme le Nirvana ! Tu trouves ça dans des boutiques tellement minuscules !

En frottant son dos, Lexy perdit lentement son sourire au fur et à mesure de ce qu'elle trouvait. Elle ralentit ses gestes mais ne dit rien, se contentant de jeter un regard à la gamine à la dérobée. Elle avait déjà vu mes propres marques et avait réagi pareil, attendant que ce soit moi qui en parle. Je l'en avais remerciée, d'ailleurs. C'était probablement l'une des filles les plus intelligentes que je connaisse. Elle reprit alors son sourire et s'accouda au bord de la baignoire pour laisser pendre ses bras.

_ Tu veux que je te rince les cheveux ? Tu veux manger quoi, au fait ce soir ? Je peux te préparer un gros hamburger, si tu veux. Ou une petite pizza !

Lexy lui offrit un sourire espiègle en approchant son visage de celui de Jane. Elle avait cet accent un peu particulier, d'ici et d'ailleurs à la fois. Sans trop savoir réellement.

Jane n'avait manqué la réaction de Lexy lorsqu'elle la découvrit, elle avait eu envie d'hausser les épaules mais n'en fit rien.
Se demandant pourquoi elle se sentait obligée de lui faire la conversation, l'ex-crasseuse laissa cancaner la femme. C'est vrai que cela sentait divinement bon, la mousse était douce et caressante, les bulles chatouillaient entre ses orteils lorsqu'elle les écartait sous l'eau. Jane s'amusait à faire couler l'eau pétillante dans ses mains et souffla sur la mousse prisonnière de ses paumes. L'oreille distraite par les clapotis, le bruissement que faisait la mousse et apaisée par l'odeur envoûtante, Lexy parlait un peu dans le vide en réalité.

- Je veux bien pour les cheveux, peut être même les laver une seconde fois, non ?

Cela ne serait pas du luxe !

La question du repas tomba. Non seulement on allait la nourrir mais elle avait le choix du menu ! C'était tout bonnement royal !  Et pourquoi lui parlait-elle d'une petite pizza, pourquoi petite ? Elle aurait mangé un ours !

- Je ne sais pas... Les deux sont bons. Il y a des frites aussi ? Et du coca ?

Elle força un sourire en réponse à celui de Lexy. Elle était gentille et semblait sincère en plus. Pourquoi ?
Jane se laissa materner, elle ne savait pas si se faire materner c'était réellement ça, mais elle se laissa faire, récurée dans tous les recoins, Jane commençait à se sentir légère ! Telle une bulle de savon.

Maintenant propre comme un sou neuf, elle se leva puis attrapa la serviette pour s'enrouler dedans. Une fois sèche, elle enfila les vêtements un peu trop grands, mais cela faisait l'affaire pour une nuit. Elle serra les lacets du short au maximum, histoire qu'il ne lui tombe pas aux chevilles. Entièrement habillée, suffisamment couverte avec le pull en lin, elle s'était démêlée les cheveux qui gouttaient encore par-ci par-là.

Elle était enfin prête !

Lexy rit en acquiesçant. Elle se demandait souvent si un jour elle aurait des enfants mais par simple curiosité. Quelque part, nous étions en droit de nous demander si la présence de Jane ne ferait pas autant de bien à nous qu'à elle. Lexy lui relava les cheveux, en profitant même pour lui masser avant de lui rincer puis elle lui tendit la serviette pendant qu'elle dépliait les vêtements. Elle roula des yeux en constatant ce que j'avais trouvé pour la fillette avant de lui tendre.

– Demain, on ira t'acheter quelque chose qui convient mieux à une enfant. Et... je vais brûler ça, si tu veux bien.

Elle la laissa finir de se préparer, l'aidant à se démêler les cheveux puis à les lui sécher un maximum avec la serviette. C'est le moment que j'ai choisi pour crier d'en bas :

– A TABLE !

J'ai déposé la dernière assiette sur la table au milieu du bar, la plus grande, disposant tous les plats de restes. Il y avait un peu de poulet , des frites et plein de morceaux de pizza. Des sauces, de la salade, même, du pain... Au milieu, il y avait de la bière et des bouteilles de coca qu'il fallait terminer. Nous mangions mieux le midi, c'était un fait. Les produits étaient plus frais. Mais le soir, nous savions que nous n'avions pas à faire attention : nous mangions tout, à notre faim. Ce qui, dans mon cas, était sensiblement le seul véritable repas de ma journée. Aussi, j'aurais pu dévorer un ours. Nous avions mis la radio pour avoir un peu de musique. En général, le soir, nous déversions le trop plein d'énergie accumulé au cours de la journée.

Et quand la petite est redescendue avec Lexy, je me suis tourné avant d'afficher un immense sourire amusé.

– Ouah ! Mais y avait une fille là-dessous ! Je croyais que c'était un p'tit mec, on m'a trompé sur la marchandise. J'avais cru entendre John. Matt, je te présente Jane, Jane, ça c'est Matt. Dis bonjour, Matt, c'est notre invitée.

J'ai tiré une chaise pour que la fillette vienne s'installer en prenant des airs de grand Maestro.

– Votre Majesté...

J'ai agité le bras dans une révérence le temps qu'elle vienne s'asseoir. Et puis Lexy s'est mise à rire.

– Je crois qu'il n'y aura pas assez à manger, ce soir... je vais lui faire un hamburger en plus, Bones, tu viens m'aider ?

– Je pense que ça devrait aller quand--

Au regard de Lexy, j'ai compris qu'elle souhaitait me parler de quelque chose en privé. J'ai acquiescé dans un sourire, tapotant l'épaule de Jane avant de lui faire un clin d'oeil en m'éloignant pour rejoindre ma collègue.

– Tu veux quoi dans ton hamburger ? T'es allergique à un truc ? Genre t'as droit au fromage, tout ça ?

Je jetais un dernier coup d'oeil au bar, il ne restait plus un seul client et tout était comme il le fallait. Une fois réapparu Alex m'avait expliqué ce qui, ou plutôt qui, l'avait retenu aussi longtemps. Un enfant. Un enfant qu'il avait surpris en train de fouiller dans les poubelles à la recherche d'un peu de nourriture. C'était ce genre d'évènement qui me rappelait la réalité de notre monde comme un poing dans la figure. Il y avait tellement de gens qui désiraient avoir des enfants et qui n'y avaient pas le droit, comment pouvait-on abandonner son propre enfant comme ça ? Ou le laisser livré à lui même. J'aurais aimé pouvoir dire que cela me dépassait mais je connaissais la raison principale d'un abandon d'enfant dans notre société pourrie. Pauvre gosse.

Je rejoignis Alex et l'aidai à préparer notre festin, je me demandais bien à quoi ressemblait cet enfant. Je n'eus pas à attendre longtemps après le braillement sonore d'Alex pour voir apparaître Lexy accompagnée d'une petite fille. C'est qu'elle n'avait que la peau sur les os ! Mon cœur se serra à sa vue, autant pour la petite et sa condition que pour le souvenir de ce que j'avais perdu. Pourquoi fallait-il que nos plus douloureux souvenirs nous reviennent dans ces moments-là ? Je fis comme si de rien n'était et souris à la fillette qui, à mon humble avis, ne devait pas désirer qu'on la regarde sous toutes les coutures ou qu'on la plaigne comme un animal de foire les rares jours où le public avait bon cœur.

- "Salut Jane, enchanté de te rencontrer."

Je regardais la scène qui se présentait à moi avec une certaine indulgence, Alex dans le rôle d'un serviteur... Je retins cependant un froncement de sourcils en le voyant disparaître dans la cuisine avec Lexy, il ne fallait pas être un génie pour comprendre que Lexy avait quelque chose à dire à notre collègue, qui concernait probablement la fillette et qui était sûrement très moche. Je ne sais pas pourquoi mais en cet instant précis je revis le garçon que mon père avait sauvé quand j'avais six ans, le petit orphelin échappé de son orphelinat et battu très violemment par un groupe de jeunes anti-mutants.

- "N'hésite pas à te servir c'est là pour ça." - J'avisais le manque de verre sur la table - "Tu veux que je te serve un coca ?"

Je me détournais d'elle le temps d'aller chercher des verres que je vins poser sur la table puis lui servi un coca, je n'allais quand même pas lui donner une bière n'est-ce pas ? Je ne m'assis pas directement à côté d'elle, je ne désirais pas qu'elle se sente agressée, à la place je vins me poser non pas sur le bord en face mais celui qui jouxtait le sien. Je la laissais se servir et remplis mon assiette à mon tour, y déposant une part de pizza et un peu de salade. Tiens d'ailleurs, il restait une dernière part de pizza que certain aimait qualifier de cannibale que je poussais vers Jane.

- "Si tu aimes ce genre de pizza pleine de viande je te conseille de la prendre tout de suite, c'est la dernière part qui reste."

J'espérais ne pas lui être trop désagréable, j'avais fait de mon mieux pour ne pas qu'elle se sente attaquée par ma voix ou par mes gestes. J'avais tout du long mon air souriant habituel, ma bonne humeur et ce que je qualifiai comme étant une allure avenante.

Qu’elle brûle les fringues, elle avait raison, c’était le meilleur moyen d’oublier cette bande d’incapables de ce squat qu’elle appelait son centre de détention. Elle n’allait pas pleurer ces vêtements qu’elle n’aurait utilisés même pour le panier d’un chien, d’ailleurs il ne se serait pas couché dedans. Des vêtements neufs, elle en avait rarement eu, et ne comprenait toujours pas pourquoi on se coupait en quatre pour elle.
Après tout, cela était certainement la meilleure façon de tourner la page, sa nouvelle vie qui l'attendait demain dans la rue, une fois que ses bienfaiteurs auraient le sentiment d’avoir fait une bonne action pour soulager un instant leurs consciences.

Pensées vite envolées lorsque Alex brayait à travers le bar que le repas les attendait. Jane ne s’était pas faite priée et n’avait pas attendue le top départ de Lexy pour débouler dans les escaliers. Un sursaut d’orgueil de la gamine qui avait puisé dans ses dernières forces pour se ruer là où elles étaient attendues.

Une fois en bas et dans la salle où se déroulerait ce qui s’apparentait à un banquet pour la fillette, Alex la découvrit sous son vrai jour. Il la taquinait gentiment mais Jane avait baissé la tête honteusement, les mains derrière le dos. Mais ce n’était pas vraiment important, elle en aurait certainement fait autant non ? Et il lui avait fait un vrai sourire…

Il lui présenta ensuite un certain Matt. Il devait avoir toutes les femmes à ses pieds celui-là, et en jouer, les malheureuses.

- Bonsoir Monsieur.

Elle était peut être une souillon à leurs yeux, mais elle n’avait pas manqué d’éducation. A la dure à ne pas en douter, mais éducation tout de même. Bien dressée la gamine.

Jane s’installa avec l’aide de son chevalier servant, il en faisait un peu trop là ? Elle le regardait faire son cirque, mais sans réaction aucune, jetant un regard sur ce qu’elle allait avaler. Elle secoua simplement la tête à la question des allergies. Il n’aurait plus manqué que ça, qu’elle soit en plus restreinte sur les aliments, c’était déjà bien assez compliqué pour elle de manger tout simplement.
Lexy et Alex s’éloignèrent, Jane se retrouva seule avec Matt.

- Oui, un coca merci.

Lui avait-elle répondu sans effluve d’émotion pour celui qui était maintenant son voisin de table. Jane regarda autour d’elle. Détailla les lieux avec un regard détaché.

- Vous avez une paille ?

Avec le coca ! Elle en avait envie, ça aussi ça faisait longtemps. Et peut être que dans un lieu tel que celui-ci, il avait ce genre de petit plus à offrir aux clients. Et Matt lui proposa ce qu’elle estimait être la meilleure part du repas. Elle la prit, elle avait hésité à la mettre dans l’assiette et jeta un regard sur son hôte. Finalement elle se mit à dévorer la part pleine de viande, c’était délicieux et Matt pouvait s’en rendre compte puisque l’affaire était réglée en trois monstrueuses bouchées !

J'ai eu le malheur d'énoncer le fait que la gamine aurait pu s'installer avec nous. Quand Lexy avait mentionné les marques, ça m'était venu tout seul alors qu'elle décongelait un morceau de viande en préparant un hamburger. Il était loin d'être fait maison ou artisanal mais pour du vite fait et avec ce que le petit monstre devait engloutir, ce serait largement suffisant pour ce soir. Mais Lexy me fusillait du regard. Elle ne me pensait pas sérieux. Et pourquoi pas, après tout ? On ne savait rien de cette gamine mais ce à quoi elle ressemblait devait largement suffire, non ? J'ai haussé les épaules et Lexy a reprit entre ses dents, sa voix couverte par la cuisson de la viande dont l'odeur arrivait jusqu'au bar.

– Alexis, Sa place n'est pas dans un bar avec de l'alcool, où, soit dit en passant, un homme de 30 ans vit à l'étage avec un rythme de vie particulièrement peu recommandable ! Si les services sociaux nous tombent dessus, c'est le bar entier qui ferme ! Dis adieu à ton idée de club !

– J'ai qu'à dire que c'est ma fille. On pourra rien nous dire...

Lexy a alors mis la viande dans le hamburger au préalable fourré à la salade, tomate et fromage, le tout en s'indignant. Je devais sûrement lui paraître totalement inconscient, si elle m'appelait par mon vrai prénom, ce qu'elle ne faisait jamais sauf quand elle était en colère. Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire, c'était la réalité.

– Mais tu n'as pas de fille !

Concrètement, l'idée venait de germer dans ma tête. Mais je devais sûrement réagir de façon trop impulsive à en croire Lexy. Le Hamburger dans l'assiette, elle me lança un regard noir alors qu'elle me passait à côté après m'avoir lâché une des phrases qui m'anéantissaient probablement le plus dans ma vie et ce, sans qu'elle le sache. Je me suis gratté un sourcil, sans bouger, pour accuser le coup et j'ai fini par me retourner pour la suivre, le regard vitreux le temps de revenir dans la salle principale. Mais mon visage s'est illuminé à nouveau en voyant Jane en train d'engouffrer la moitié de la table. Lexy a posé l'assiette devant la fillette avec un sourire. de nous tous, elle était celle qui mangeait le moins.

– Hey Musclor, endors pas le ketchup.

J'ai tendu le bars vers Matt pour qu'il m'envoie la sauce qui était plus proche de lui. Je me demandais bien ce qu'il en pensait. Et ce qu'il en penserait demain, à tête reposée quand il reviendrait travailler après y avoir réfléchi de son côté. Nous travaillions depuis suffisamment longtemps ensemble pour que je sache que derrière ses allures de jeune première, il réfléchissait beaucoup. Je ne disais rien sur mon compte, mais lui non plus. Seule Lexy était transparente. C'était un peu... Comme notre interface de communication. Est-ce que Matt et moi serions capables de communiquer et de travailler ensemble sans elle ? Je l'ignorais. mais à ça, je ne me posais pas la question. J'ai jeté un oeil à Jane et je lui ai fait un clin d'oeil avec un sourire.

Une paille. Est-ce qu'ils avaient des pailles ? Bien sur qu'ils avaient des pailles ! Des blanches, des rouges et des noires, il devait même leur rester des grises dont la couleur semblait métallisée.

- "Bien sûr, je vais te chercher ça.  Tu en veux une grise ou une rouge ?"

Aussitôt dit aussitôt fait, Jane se retrouva avec une paille de la couleur choisie. Je revins m'asseoir à ma place et la regardai prendre le morceau de pizza croulant sous la viande. Il m'avait bien semblait qu'elle avait hésité la petite ! En tout cas pour une gamine des rues elle était bien éduquée, d'ailleurs cela ne m'étonnerait pas qu'elle vienne d'un orphelinat ou des services sociaux, ils avaient tendance à leur inculquer de force les bonnes manières pour augmenter les chances des gamins d'être adoptés un jour. Quels futurs adoptants ne préfèreraient pas adopter une gamine bien élevée plutôt que le contraire ? De toute façon si on y regardait bien la plupart d'entre eux venait choisir leur gosse comme ils feraient leurs courses... Pathétiques.

Je lui souris gentiment et commençais moi-même mon repas tandis que les deux Alex revenaient à table accompagnés d'un gros hamburger pour Jane. J'espérais sincèrement que la fillette ne finirait pas par vomir, avec tout ce qu'elle ingurgitait alors qu'elle m'avait tout l'air de crever de faim depuis un bon moment, elle risquait de se rendre malade. J'attrapais la bouteille de ketchup qu'Alex me réclamait et la serrait contre moi comme si je voulais la protéger puis je grimaçais.

- "Que me donneras-tu en échange de mon bien le plus précieux ?"

Je le regardais avec un sérieux visiblement feint puis j'affichais une moue quelque peu dépitée.

- "Enfin, je suppose que je ne peux pas faire autrement que de te prêter mon trésor."

Un trésor que je n'utilisais jamais n'étant pas fan de ketchup, je préférais largement mes frites avec du sel, du poivre ou plus occasionnellement de la mayonnaise et ce n'était un secret pour personne ici en dehors de Jane. Avais-je bien saisi, alors qu'il passait la porte bien après notre Lexy, une lueur dans son regard ? Une lueur que je n'avais jamais vu sur lui auparavant, lui l'homme apparemment malléable.

Je me tournai en souriant vers la petite fille qui était tout de même une grande inconnue pour nous et c'était ce qui me dérangeait le plus dans la situation actuelle. Qui était-elle, d'où venait-elle, quelqu'un allait-il chercher après elle ? C'était quand même un minimum pour nous de savoir cela pour savoir ce qu'on risquait et surtout pour décider ce qu'on allait faire de la petite par la suite. Ce qu'on pouvait faire pour elle surtout. Jane était clairement négligée et ne mangeait pas à sa faim. Il me faudrait d'ailleurs interroger discrétement mes collègues plus tard pour savoir de quoi ils avaient parlé dans la cuisine si ça concernait l'état de la petite. Je verrais ça avec Lexy si elle m'en laissait le temps, elle rechignerait moins à m'en parler.

- "Tu as quel âge Jane, si c'est pas indiscret ?"

Autant démarrer doucement, il ne s'agissait pas de la faire se refermer comme une huître ou la poussait à réagir comme un petit animal qu'on acculait.

Jane s'empiffrait, et lorsque l'Hamburger arriva face à elle, elle avait vivement remercié Lexy et sourit même à Alex au clin d'oeil.
La part de pizza après les biscuits, était quand même bourrative, lorsque on avait un estomac plus habitué à digérer de l'air que du solide, il rappela à la fillette qu'elle devait rester raisonnable. Aussi elle fit descendre tout ça en aspirant quelques gorgées de coca avec la paille rouge que lui avait filé Matt.
C'était tout de même étrange d'être intégrée ainsi, s'incruster dans l'intimité d'inconnus qui vous ouvraient bras et porte sans se poser de questions.
Elle piocha quelques frites et ses yeux se posèrent tour à tour sur les deux hommes qui épiloguaient pour une sauce.
Jane se redressa, prit l'hamburger en main et planta les dents. Elle avait fermé les yeux, tant le goût était parfait, elle sentait ses papilles s'affoler, la salive arrivait à une vitesse folle. Ce n'était pas possible, elle devait rêver comme elle l'avait souvent fait. Mais non, c'était bien réel, tout était vrai.

A son tour Jane convoitait la sauce à base de tomate lorsque Matt commença l'interrogatoire. Elle savait très bien que ce moment allait arriver, mais elle espérait secrètement qu'on la laisserait diner en paix. C'était trop beau pour que ça dure. Elle abandonna l'idée de subtiliser la bouteille de Ketchup à Alex, posa son repas dans l'assiette et ses yeux ne quittait plus le sandwich quand elle répondit.

- J'ai 9 ans.

Elle leva le regard sur celui qui avait entamé les festivités, par ce qu'elle ne devait pas se leurrer, les autres allaient s'y mettre, et les questions fuseraient. Mais avant qu'ils ne satisfassent leur curiosité d'adultes, Jane posa la sienne, à Alex.

- Je peux prendre un peu de Ketchup ?

Et encore quelques frites qui restaient dans le plat, elle ne demanda pas l'autorisation, elle en mangea quatre en une bouchée.

- Vous travaillez tous ici ?

J'avais levé la main pour prendre la bouteille tendue par Matt. Mais quand j'avais relevé les yeux sur lui, il conservait mon précieux. J'ai haussé les sourcils, étonné.

– En échange ? Tu veux quelque chose en échange de ça ? La marque de mes chaussures en imprimé à vie sur ton derrière ? - Et à sa question suivante, je me suis indigné en prenant une voix plus haut perché que je ne l'aurais voulu - Quoi ? Mais tu n'aimes même pas le ketchup ! Cesse de jouer avec la nourriture, Médor, rends-moi ça.

J'ai récupéré la bouteille, feintant de grogner et j'ai rempli mon assiette de tout ce que je pouvais une fois Lexy servie. J'étais mort de faim - comme toujours. A la question de Matt, j'ai posé un coude sur la table, portant une main devant ma bouche pendant que je mâchais à grands coups de dents. Croyez-le ou non mais j'ai fusillé Matt du regard. Selon moi, il aurait pu attendre la fin du repas pour faire son interrogatoire, la petite avait sûrement le droit à un répit. J'ai baissé les yeux quand Jane a répondu et j'ai fini ma bouchée plus lentement que je ne l'avais entamée.

Je n'en voulais pas tant que ça à Matt car je comprenais ce qu'il voulait dire. Et ce qu'il faisait. Mais je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer que cette gamine aurait pu être la mienne. C'était comme une obsession dans ma tête. Et j'imagine que dans un cas comme celui-ci, j'auraient apprécié que le gens qui auraient recueilli ma fille la traitent comme leur égale. Mais c'était sûrement trop demandé dans notre société actuelle. J'ai acquiescé à la petite voix et j'ai tendu le ketchup pour lui mettre devant l'assiette. Lexy, quant à elle, mangeait de façon bien plus raffinée que moi ! Si je ne disais rien, elle ne s'en est pas privée.

– Oui mais on n'est pas au complet. Il y a aussi Angela qui travaille en salle avec moi mais c'est son jour de repos. Ennis, c'est notre gérant mais il n'est quasiment jamais là. Et puis on a un cuistot et même un apprenti, en ce moment. C'est lui qui a fait ces pizzas, tu aimes ? Ils ne sont là que le midi, tu les verras peut-être demain. D'où est-ce que tu viens ?

C'était donc une question pour une réponse. Le premier qui posait une question, à mon sens, déplacée, je me suis juré d'intervenir.

Jane convoitait avec gourmandise son Hamburger qu’elle ne pouvait avaler comme elle aurait voulu. C’est à dire sans être interrompue par un interrogatoire forcé, la lumière en plein visage tout en l’empêchant de dormir pour la pousser dans ses derniers retranchements pour finalement tout balancer.

Lexy lui expliqua rapidement la structure du personnel et lui donnait un flot de prénoms, de fonctions. Elle se servit en attrapant le Ketchup devant son assiette encore chaude.
Elle  trouva Alex fort silencieux, Jane avait l’impression qu’il l’observait. Oh, il n’était pas le seul, elle en était consciente, Matt et Lexy l’exprimaient par des questions, mais Alex qu’elle avait pensé plus bavard restait silencieux maintenant. Mais la fillette ne montra pas son étonnement.

Elle sauçait joyeusement son assiette de Ketchup, si elle continuait à cette allure, le menu ressemblerait plus à du Ketchup à l’Hamburger que l’inverse.
Elle avait largement sourit lorsque Lexy lui demanda si les pizzas étaient à son goût, et c’était le cas ! Mais la dernière question tomba sur elle comme un couperet. Au point que Jane laissa échapper la bouteille de ketchup de ses mains qui l’avaient pressées trop fort.
La bouteille vola en renversant son verre de coca encore à moitié plein, éclaboussant de traces rouges table et assiettes voisines, ses vêtements étaient un peu tâches eux aussi.

Pourquoi fallait-il que Lexy pose la question qu’elle redoutait le plus ? Jane ne voulait pas y retourner, elle préférait fuir là maintenant et ne plus jamais trainer dans le quartier, et pourquoi pas changer de ville. Oui, ils allaient appeler le foyer et ils viendraient la chercher vissa.

La fillette s’était levée d’une trombe, la chaise avait été reculée bruyamment et manqua même de tomber, Jane paniqua.

- Je… Je… Je suis désolée… je vais nettoyer, pardon…

Elle chercha de quoi essuyer sa catastrophe, perdue, ne sachant comment réparer ce qu’elle venait de faire. Les lèvres pincées, les mains tremblantes, il fallait réparer rapidement, elle ne voulait pas être encore punie.

- Je ne l'ai pas fait exprès...

Le coca se renversant, Lexy s'est levée d'un bond pour que le liquide sucré ne coule pas sur son jeans. Mais dans son mouvement brusque, ses bras avaient suivi son geste. Et par là même, étaient venus rencontrer mon visage. J'ai plaqué mes mains sur mon nez dans un grognement mais Lexy ne savait plus où donner de la tête.

_ Non, Jane, c'est pas grave. Bones, je suis désolée ! Ca va ?!

J'ai grogné en me penchant en avant, feintant d'avoir le nez cassé... Ou quelque chose du genre. Les blagues allaient bon train en ce qui concernait mon visage et mon apparence. Lexy s'est accroupie à mes côtés en me tenant les bras pour les écarter et mieux voir l'étendue des dégâts mais je résistais. Et plus elle s'inquiétait, plus elle paniquait, plus j'en rajoutais. Il était si influençable, impressionnable. Elle savait que mon pouvoir ne me couvrait aucunement de la douleur, sinon en rajoutait le temps de guérison. Alors, elle s'en voulait toujours quand elle croyait me faire mal. Soudain, j'ai écarté les mains de mon visage avec un immense sourire.

_ Le requin !

Lexy a hurlé en se reculant, jusqu'à tomber sur les fesses, les mains plaquées sur la bouche et le coeur battant la chamade. Mais moi, je riais. J'ai regardé Matt, amusé.

_ Ca marche à tous les coups. Aie !

Lexy s'était relevée pour me frapper les bras et m'insultant de tous les noms. Quand bien même j'essayais de me protéger, elle continuait alors que je riais. Je m'amusais d'un rien. De tout et de tout le monde.

_ Idiot ! Je vais chercher de quoi nettoyer, tu m'énerves !

Elle a tourné les talons pour repartir dans la cuisine et j'ai regardé Matt puis Jane avec un sourire enjôleur.

_ Elle est folle de moi.

la vérité, c'est que le petit accident m'arrangeait. Nous aurions toute la journée de demain pour poser le plus de questions possibles à cette enfant mais pour l'heure, j'étais fatigué, la journée avait été longue et elle n'était pas terminée. Je ne tenais pas à passer les dernières heures à torturer une gamine avec des questions ennuyeuses appelant des réponses sûrement des plus déprimantes.

Et voilà que Lexy avait posé la question que je conservais pour l'après repas et comme il fallait s'en douter, la petite y réagi très mal. Quoi d'étonnant à cela ? Elle devait avoir peur d'y retourner. J'observais la scène qui se déroulait devant moi comme si elle était irréaliste. En vrai, c'était une scène assez banale mais qu'elle se passe maintenant, devant une gamine visiblement terrifiée... Et Alex qui m'avait jeté un regard noir tantôt... J'avais bien fait de ne lui répondre que d'un sourcil levé.

Quand Alex se tourna vers moi tout amusé qu'il était je le regardais avec sérieux et hochais lentement la tête de droite à gauche, fataliste. Ne voyait-il pas la fillette trembler comme une feuille, l'air prête à se cacher sous une table ? Il me semblait pourtant déjà y tenir à cette gamine pour réagir comme il l'avait fait précédemment ; je n'avais pas loupé ses regards aussi bien noirs qu'illuminés, sa façon de parler du « gamin » quand il m'avait expliqué ce qui se passait. C'était des petits détails, peut-être insignifiants mais qui étaient là. Restait à savoir si je leur donnais la bonne signification.

Je me levais doucement de ma chaise et m'approchais à pas de velours de la petite, à partir de maintenant j'agirais comme quelqu'un ne voulant pas effaroucher un petit animal sauvage. Je m'accroupis à quelques pas devant elle et je m'adressai à elle avec une grande douceur, aussi bien dans la voix que sur le visage, dans mes gestes que je restreignais à leur minimum.

- "Hey, ce n'est pas grave d'accord ? C'est juste un peu de coca et de ketchup, c'est rien de grave ça peut arriver à tout le monde, on ne va pas te disputer pour si peu. Ca se lave après tout non ?"

Je laissais passer quelques instants et me repassais la scène entre Alex et Lexy, leur pseudo-dispute avait eu l'air d'effrayer la petite aussi, il me semblait même l'avoir vu lancer un regard apeurée en direction de Lexy pendant que je répondais à Alex de façon silencieuse.

- "Ne t'en fais pas pour Alex et Lexy, c'est juste une plaisanterie entre eux, ils ne se sont pas fait mal, regarde. Dans quelques minutes Lexy va revenir avec des torchons et tout sera passé entre eux, elle est un peu... surprotectrice avec lui quand il se fait un petit bobo de bébé. Sinon elle est très gentille."

J'avançais mes mains très lentement vers les siennes en prenant en compte ses réactions, j'avais l'impression de marcher sur des charbons ardents, une seule maladresse et tout serait foutu. Ce fut long mais j'arrivais finalement à prendre ses mains dans les miennes avec douceur. J'attendis un peu encore.

- "Tu sais si j'ai commencé à te poser des questions c'est parce que je me suis bien rendu compte que personne ne s'occupait bien de toi et ça m'embêterait de te renvoyer d'où tu viens dans ces conditions."

J'avais commencé à lui masser les mains doucement, avec délicatesse.

- "Tu n'es pas obligée de répondre à la question de Lexy maintenant, moi je sais que tu viens d'un foyer, tu es trop polie pour vivre dans la rue ou avec des parents indignes. Alors Alex et moi on va essayer de trouver une solution pour t'en sortir, d'accord ?"

Je ne pensais pas me mouiller en supposant qu'Alex accepterait de se lancer dans cette démarche, il était... ce n'était pas entièrement notre Alex habituel. A dire vrai nous n'avions jamais rien de vécu de semblable au bar, est-ce qu'il se comporterait comme ça avec n'importe quel gamin des rues qui viendrait faire nos poubelles ? Je ne savais pas, je ne connaissais rien de son passé après tout.

- "Ca te dirait qu'on retourne à table maintenant ? Ne t'inquiète pas tu pourras manger tranquillement sans qu'on te pose de questions mais si tu es d'accord j'aimerais que tu me parles un peu de toi après le repas, je vais avoir besoin de quelques informations pour trouver une solution."

Je lâchais une de ses mains et me levai lentement, j'attendis que la petite bouge pour retourner ensemble à notre place.

Mon rire calmé, je me suis frotté le nez avant de suivre Matt des yeux. A son discours, j'ai froncé les sourcils. S'il ne connaissait rien de mon passé, il était évident que je ne savais rien du sien. J'ai alors eu la terrible impression que nous étions des étrangers l'un pour l'autre en cet instant. Curieuse sensation quand il était ce qui ressemblait le plus à un frère. On déconnait, on était complices, on faisait beaucoup de choses ensemble pour le bar... Mais jamais en dehors. Je ne savais pas ce qu'il faisait du reste du temps et lui non plus. Il ne savait pas pour ma famille mais je ne savais visiblement pas d'où il venait. Je me suis relevé quand Lexy est revenue pour essuyer la table, lançant des regards inquiets à Jane. Je l'ai aidée sans rien dire, laissant Matt s'occuper de la gamine. C'était assez étrange comme, bien que nous ne nous connaissions pas tant que ça, nous étions capables de nous percer à jour. Je ne me l'étais jamais expliqué mais... Nous n'avions jamais été dans cette situation non plus. Alors, quand il a parlé d'un après repas, j'ai serré les dents.

_ Non.

_ Alex !

Lexy s'était redressée en faisant une boule du torchon et me regardait avec des yeux intrigués.

_ J'ai dit non.

_ Mais...

_ Plus de questions. Il est tard. Elle a pris un bain, elle a mangé, elle a bu, maintenant, il faut qu'elle dorme. Vous l'assomerez avec vos questions plus tard. On trouvera une solution, plus tard. Pas ce soir. Ca suffit les interrogatoires. On n'est pas des services sociaux.

_ Alex, il faut qu'on sache, qui sait qui pourrait débarquer pour la récupérer !

Je ne l'ai pas voulu mais j'ai haussé le ton sur Lexy. Ce qui n'était clairement pas dans mes habitudes. C'était même la première fois que nous étions en désaccord l'un avec l'autre. Même plus, que j'étais en désaccord avec le reste du bar.

_ Et personne ne songera à venir la chercher ici, il est clairement évident qu'en l'état, ce n'est pas demain matin qu'on verra aux infos qu'une gamine de 9 ans dans des fringues dépouillées a disparu et qu'on offre une récompense d'un an de rations bios gratuites pour la récupérer ! Alors en attendant. Elle reste ici. Elle se repose, on verra demain. On n'est plus à quelques heures près !

Lexy a froncé les sourcils. Elle n'a rien dit mais j'ai bien senti que la seule raison pour laquelle elle ne prenait pas la mouche c'est que ma réaction était exceptionnelle, même pour elle que je connaissais depuis des années. J'ai repris mon calme en inspirant profondément et j'ai levé les mains.

_ Désolé. J'ai pas voulu m'énerver. Je suis un peu fatigué.

On avait beau la rassurer, de lui dire que ce n’était pas grave, Jane était tétanisée sur place. Elle regardait Lexy frapper Alex alors que c’était elle qui avait fait la bêtise de tout saloper.
Lexy lui  semblait avenante, gentille, agréable, avait été douce et prévenante avec elle dans la salle de bain tout en l’aidant à se décrasser à fond. Elle faisait du mal à Alex. Jane n’avait pas saisit l’humour de ce couple qui l’avait invité à leur table. Tout se déroula si vite et dans la panique aux yeux de l’enfant. Les gestes brusques de la femme l’effrayaient. La gamine ne prenait pas les coups, mais les craignait. Elle chercha un endroit où se cacher, elle avait reculé, prête à se jeter sous une table pour ne plus en sortir.

Ce n’était pas sans compter sur Matt. Il en ajoutait une couche et mettait à terme ses possibilités de fuite. Ils avaient quand même de drôle de jeux Lexy et Alex... Jane elle, quand elle se prenait des bourre-pif, elle ne trouvait pas ça plaisant. C’était bien joli tout ça, mais les paroles rassurantes de Matt n’avaient pas l’effet attendu. Moins encore lorsqu’il lui prit les mains. Malgré toute la délicatesse, elle se sentait prisonnière et ses yeux cherchaient désespérément une explication à ce geste dans ceux de l’homme accroupi face à elle. Il allait l’empêcher de partir, c’était ça, il allait appeler l’assistance publique, par ce que Lexy ne voulait pas d’ennuis.

Pourquoi on la chercherait d’abord, personne ne s’était rendu compte qu’elle était partie, il n’y avait jamais d’appel de fait. Jane voulait le crier, mais les mots restaient aux bords de ses lèvres roses elles aussi tremblantes.
Ils voulaient la renvoyer au foyer… C’était sa hantise depuis qu’elle avait franchit le seuil de ce bar et cette phrase tournait en boucle dans sa tête. Elle retira vivement ses mains de l’emprise de Matt.
Il voulait l’interroger. La gaver puis lui poser des questions, trouver une solution. Comment pourrait-il trouver une solution puisque même ceux dont c’était le métier, n’en avaient aucune à lui proposer !

Elle ne pouvait parler, elle secoua alors vivement la tête, elle ne voulait pas parler, pas ce soir ! Il devait bien le comprendre !

Alex… Alex intervenait enfin. Jane le regardait. Il était le seul à la considérer comme un être à part entière, pas comme une source de problèmes.
Elle observait cet homme qui était passé de bourreau à protecteur en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Il lui avait ouvert sa porte et là il prenait sa défense, cela ne lui était jamais arrivé. Non ça ne la touchait pas, elle le regardait simplement, lui. Sa respiration reprenait un rythme plus lent, elle se détendait en l’écoutant. Sa voix n’était pas rassurante, le ton non plus, les mots oui.
Il lui avait promis qu’elle ne partirait pas, il tiendrait sa parole et prenait sa défense.
Elle s’avança alors vers lui, et tout simplement elle lui prit la main lorsqu’elle fut à ses côtés. Elle n’écouterait que lui, du moins pour ce soir.

Etait-ce la façon dont je m'y étais pris ou l'intervention d'Alex ? Toujours est-il que mes paroles et mes gestes n'eurent pas l'effet escompté. La petite fille n'était pas apaisée non, elle s'était précipitée auprès d'Alex comme s'il était son protecteur. En même temps vu comment il la traitait depuis son arrivée... Avait-il seulement compris pourquoi je voulais lui parler ce soir ? S'il venait à se tromper et que des gens se mettent à la recherche de la gamine plus tôt que prévu, le temps serait notre plus fidèle allié ou notre pire ennemi. De plus entre réfléchir et faire des recherches au calme chez soi et essayer de régler la chose dans une salle bondée de monde en plein service ou lors d'une courte pause... C'était tout de même complétement différent.

Ce qui me déplaisait le plus dans tout cela c'était sa façon de parler à notre Lexy. Elle  n'était pas un chien tout de même ! Je veux bien imaginer qu'il y ai quelque chose dans son passé qui exacerbe ses réaction mais il ne fallait pas exagérer. Je n'étais pas quelqu'un de belliqueux cependant j'eus bien  envie de lui remettre les idées en place en cet instant. Lexy était très complice avec nous, on plaisantait ensemble, elle nous soutenait. Elle se souciait de nous et distribuait son optimisme et sa bonne humeur à tout va. Elle méritait mieux que la réponse d'Alex et la voix qui l'accompagnait. Cependant je n'intervins pas, d'une part parce que l'attitude de Lexy parlait d'elle-même de son choix et d'autre part parce que ça ne ferait qu'envenimer la situation entre nous. Je ne savais pas ce qui piquait Alex mais je devais concéder que c'était bien la première fois que je l'entendais hausser le ton sur notre collègue.

Je commençais à débarrasser la table et me rendis compte de la tension qui m'avait quelque peu envahie. Je pris une inspiration et m'exhortait au calme, ça m'étonnait chaque fois comme une respiration bien maîtrisée pouvait rapidement détendre le corps. Je regardais les restes, c'était bien la première fois qu'ils diminuaient si peu après un repas. Peu surprenant sachant que je n'avais moi-même eu le temps que d'entamer un bout de pizza et quelques feuilles de salade.

La fatigue... Elle avait bon dos non ? Il ne m'avait pas paru tellement fatigué jusqu'à présent. J'emportais nos assiettes, entrepris de faire un premier voyage et m'adressai à Alex d'une voix sans timbre.

- "Lexy et moi on va débarrasser et ranger le bar, tu n'as qu'à aller coucher Jane."

On devrait sûrement laver la salle aussi, plus vivement que d'habitude. Je vidai les assiettes et les préparai pour le lavage avec mes gestes habituels, je voulais paraître tel que je l'étais chaque jour. Enfin pas trop non plus, il n'y aurait rien de naturel dans l'ambiance actuelle. Quand je revins vers eux je semblais détendu, je m'approchais de Lexy et lui claquai une bise sur la joue puis je souris à la gamine.

- "Bonne nuit Jane, si tu veux aller au petit coin avant de dormir la porte est juste là au fond."

Bien sûr, je lui avais désigné la porte en question pendant que j'abordais le sujet. Je n'insistai pas plus et repartis à l'assaut de la table. On se boirait bien un café avec Lexy une fois qu'on aurait tout remis en ordre, hmm ?

J'avais suivi Jane jusqu'à moi sans rien dire. Mes yeux avaient parcouru la distance avec elle et je l'ai laissée prendre ma main sans rien dire. Ma peau n'était pas aussi blanche et laiteuse que celle de Lexy mais on pouvait quand même y voir les rougeurs me gagner. Mes veines cognaient dans mes temps et cette gamine n'avait sûrement pas idée de ce qu'elle était en train de me faire. Je n'ai même pas osé refermer mes doigts sur les siens, j'avais peur de lui écraser. J'en tremblais déjà suffisamment comme ça. Lexy a observé la scène sans savoir quoi en penser.

Malgré tout... J'étais tout seul. Lexy faisait front avec Matt et elle ne lâcherait pas l'affaire aussi vite que lui, malgré mes ordres. Elle a levé une main vers notre collègue et a intercepté la sienne pour la serrer et lui indiquer de rester là. Elle a tiré sa chaise vers moi pour s'y asseoir et être face à Jane. Elle leva ses mains et ouvrit la bouche.

– Je comprends ! Je comprends totalement. Tu as souffert et ça se voit, tu n'as pas confiance en nous et je le tolère totalement. Pour ce que tu en sais, nous ne sommes rien ni personne. Tu as besoin de te protéger et je l'entends bien. - Elle a porté sa main à sa poitrine et reprit d'une voix chargée d'émotion après m'avoir empêché d'intervenir en brandissant son index silencieux - Mais j'ai besoin de me protéger aussi. J'ai besoin de protéger mes amis, j'ai besoin d'être rassurée moi aussi, qu'il ne leur arrivera rien parce qu'ils comptent énormément pour moi. Ce sont mes meilleurs amis, peut-être même mes frères. Je compte sur eux autant qu'ils comptent sur moi, tu comprends ça ? - Elle a souri en faisant une pause - Je ne te poserai qu'une seule question. Une seule. Et j'aimerais que tu m'y réponde de façon honnête et sincère, sans me mentir afin que je puisse protéger ce que j'ai de plus cher au monde, tu veux bien ? Jane, j'ai besoin de savoir : est-ce que quelqu'un est à ta recherche ? Je veux dire... Est-ce que des gens méchants peuvent débarquer à tout moment pour faire du mal, à toi ou à nous ? Aide-moi à faire qu'ici soit l'endroit le plus sécuritaire du monde entier que je connaisse...

J'ai échangé un regard avec Matt mais je n'ai pas réussi à soutenir son regard. Ce n'était pas vraiment de la honte, c'était disons... Que je n'avais pas envie de lui expliquer mon comportement. Je n'avais pas non plus envie qu'il comprenne. Cependant, le fait de me détourner de lui ainsi a du en dire long sur moi, comme refuser de l'affronter, ce qui n'était pas non plus dans mes habitudes. Cependant, je n'avais jamais eu à me confronter à Matt, non plus, auparavant. Lexy ne lâchait pas Jane des yeux. Elle avait parlé d'une voix si calme, si paisible et à la fois si intense que j'en avais eu des frissons dans les bras. Malgré un trio soudé et solidaire, nous parlions rarement de ce que nous ressentions les uns pour les autres. Matt et moi encore moins que Lexy, j'imagine. C'était une sensation vraiment étrange et particulière de l'entendre se défendre de la sorte. Je me suis alors demandé si pour moi aussi elle était comme une soeur... sachant que j'en avais déjà une, aussi. Et Matt, qu'est-ce qu'il en pensait, lui ? Lexy n'avait jamais été au coeur de nos conversations, encore moins de nos prétentions. J'avais, pour ma part, eu des doutes à un moment donné et notre relation avait connu ses ambiguïtés. Mais je n'avais jamais eu vent de ce genre de choses de la part de Matt... Alors... Quoi ? Ma famille était réunie dans ce bar, ce soir ? La soeur que je ne pouvais voir, la fille que j'avais abandonnée et le frère que j'aurais aimé avoir ? Pour un peu, ce serait une histoire bien triste.

Je déteste les histoires tristes.

Jane ne savait pas si c'était ça le sentiment de sécurité, mais aux côtés d'Alex, la fillette se sentait mieux. Il ne l'avait pas rejetée. La plupart des gens, exception faite, refusaient le contact avec ce genre de gamine. Comme si elle allait les bouffer, mais regardez ses crocs acérés ! Les adultes pouvaient être si crétin.  Alex devait avoir chaud, il devenait rouge, pourtant le bar n'était pas chauffé, c'était même plutôt aéré... Elle détacha son regard pour se concentrer sur Lexy.
Après le laïus de celle-ci,  cette enfant qui n'avait jamais rien possédé ne pouvait pas saisir réellement les sentiments de la femme, Jane serra la main d'Alex comme pour se donner courage.

Des gens méchants, qu'entendait-elle par là? Ils n'étaient pas gentils au foyer. Aussi bien les résidents, les squatteurs que les employés et plus que tous, cette vieille pie de directrice. Mais Lexy ne devait pas parler de ce genre de personnes juste foncièrement méchantes. Certainement un réseau , des trafiquants ou elle ne savait trop quoi. Ils étaient souvent armés. Mais non, Jane n'avait fort heureusement jamais eu à faire à ce genre d'individus.

Lexy voulait se rassurer, cela devait être légitime. L'enfant hésitait encore à dévoiler qu'elle s'était échappée de cet effroyable lieu, mais si ça pouvait au moins la laisser passer une vraie nuit dans un vrai lit, ça valait peut être le coup. Sa petite voix résonna doucement, mais aucunement hésitante contrairement à ce qu'elle laissait paraitre physiquement.

Je ne pense pas qu'on s'inquiète pour moi, je sais qu'on ne se rendra même pas compte de mon absence.

Ce qui était vrai, elle était déjà partie deux jours et lorsqu'elle rentra, parce que le froid de l'hiver était intenable et n'avait pu trouver un lieu plus chaud, elle n'avait pas eu de commentaires. Et pour cause. Qu'un gamin parte, c'était une aubaine, une bouche en moins à nourrir, quand on leur donnait de quoi manger, c'était des économies. La vieille s'engraissait physiquement et le porte-feuille sur leurs dos, et tout le monde fermaient les yeux. On  avait vendu l'eldorado à Jane en venant ici, elle n'y avait connu que l'enfer.

Il n'y a jamais d'appel de fait.

Avec ces deux phrases, ils devraient être rassurés et avoir compris à demi mot qu'elle était une enfant des services sociaux non ?
Cela étant révélé, elle posa doucement sa tête qui lui semblait trop lourde sur le bras d'Alex qui lui tenait toujours la main. Elle tombait de sommeil.

J'avais vu un film dans ce genre. Une sorte de maratre qui engendrait les gamins ou qui les récupérait dans les rues pour ensuite les vendre ou les mettre à son service. Tâches ménagères et j'en passe, des travaux ingrats. Quand on voulait se débarrasser d'un pleurnicheur ou d'un indésirable nuisible, on lui donnait à elle. Je ne me souviens plus du nom de ce film. Juste qu'il m'avait profondément marqué et effrayé. A tel point que j'ai eu l'impression que Jane venait d'un de ces endroits glauques. En sentant sa main serrer plus fort, j'ai refermé mes doigts sur les siens. Je n'osais plus bouger. Pour ainsi dire, j'étais pétrifié. Ce qui ne m'arrivait jamais. Lexy a souri et finalement acquiescé.

_ D'accord. Merci.

Elle a posé sa main sur le bras de Jane avant de se relever. Elle a inspiré profondément en faisant un pas en arrière pour retrouver Matt sans quitter son sourire. Je me suis penché pour récupérer Jane et la hisser dans mes bras. Lexy a caressé les cheveux de la gamine en venant m'embrasser. J'en ai profité pour m'excuser une nouvelle fois d'avoir crié mais comme il fallait s'y attendre, ce n'était pas grave pour elle.

_ Bonne nuit, Jane, dors bien.

Lexy a agité doucement une main avec un sourire et puis elle m'a laissé m'éloigner. J'ai adressé un hochement de tête à Matt.

_ Je reviens vous aider.

J'étais encore affamé. Mon ventre gargouillait mais j'étais aussi assez fatigué. Tiraillé entre deux envies : manger et dormir. Lexy, les mains dans les poches, nous a suivis du regard avant de poser sa tête contre l'épaule de Matt. Elle a poussé un profond soupir.

_ Comme si on avait pas suffisamment d'un gosse, nous en voilà un autre. J'espère que tout ira bien.

Elle s'est redressée et a fait glisser sa main sur le bras de Matt avant de continuer à débarrasser ce qu'il avait commencé.

Elle se laissa porter jusqu'à la chambre, sans rien dire. Elle l'avait serré autour du cou de ses  bras trop fins, la tête contre celle d'Alex. Comme s'il n'était pas nécessaire que ces deux là parlent pour se comprendre. Ou simplement que ces deux là n'aimaient pas se compliquer la vie outre mesure et préféraient les choses simples. Jane elle, aimait ce silence. Le bruit des pas qui faisaient grincer les escaliers n'étaient pas couverts par les pleurs ou les cris. C'était simple, rassurant.
Il la déposa sur ce même lit où trainait non loin le paquet de gâteaux qui avait été déplacé par Lexy lorsqu'elle faisait sa toilette.

Ses bras détachés de l'homme, elle retira difficilement le pull en lin tâché de ketchup, la fatigue ne l'aidait pas dans son habilité. Puis il ne serait pas nécessaire pour cette nuit, la fillette aurait de quoi se couvrir, avec du vrai linge de lit propre. Elle déposa le pull au bout du lit puis son regard sur Alex, insistant, peut être trop pesant pour l'homme. Elle lui aurait bien demandé pourquoi. Pourquoi il faisait cela. Mais elle se l'interdit. Il l 'avait fait passer à travers un interrogatoire forcé, long et pénible. Elle lui épargnerait ce même sort.

Vivement elle se mit à quatre pattes pour rapidement attraper le paquet de gâteaux. Elle devait lui faire sa fête, souvenez-vous. Et elle n'avait pas vraiment touché à son Hamburger avec toute cette histoire de maladresse, elle avait toujours faim. Jane en prit un qu'elle fourra à moitié dans la bouche pour le garder coincé entre les dents, en sortir un second puis tendit le paquet à Alex pour qu'il se serve à son tour. Le regard avenant l'encourageait à se servir.

- Va-zi f'ont bons f'eux-là

Elle releva les sourcils en hachant rapidement la tête.

Va-zi on partaze !

je l'ai posée sur le lit le temps de dégager quelques affaires avant de l'aider à retirer le pull qui partirait directement à la machine. Assis sur le bord du lit, j'ai relevé la tête pour la regarder et j'ai capté son regard en me figeant. Je n'aimais pas beaucoup qu'on me fixe, encore moins avec autant d'intensité. Et puis, j'avais cette horrible sensation qu'elle pouvait lire en moi et ça m'aurait fait fuir si elle n'avait pas été qu'une simple enfant. Quoiqu'il en soit, pour l'instant, c'était la simple enfant qui me réduisait à néant. J'ai acquiescé sans relever et tendu la main vers elle pour l'inciter à se coucher. Mais déjà, elle se ruait sur son paquet de biscuits. J'ai eu un léger rire en l'observant et j'ai secoué la tête pour refuser poliment. Néanmoins, je lui ai pris le paquet de gateau pour le poser sur la table de nuit où une pile de bouquins s'entassaient depuis des mois. J'étais trop fatigué pour arriver à la lire le soir.

_ Jane, il faut qu'on parle de quelque chose.

J'ai croisé une jambe sur le bord du lit pour me tourner plus face à elle et j'ai poussé un profond soupir, les coudes sur les genoux.

_ Lexy a raison sur un point, on doit se protéger. Alors à partir de maintenant, tu vas faire ce que je te dis. C'est très important, tu m'entends ? Retient bien ce que je m'apprête à te dire. Peu importe qui, en dehors des gens travaillant ici, si qui que ce soit te demande ton nom... Réponds que tu t'appelles Sydney Jones. Retiens bien ce nom. Si on te demande où sont tes parents, tu viens me trouver. Moi et uniquement moi. Ne parle de ça à personne. Pas même à Matt ou Lexy. Personne ne te cherchera avec ce nom. C'est vraiment très important.

J'avais approché mon visage pour soutenir son regard et m'assurer qu'elle comprenait bien l'importance de cette information. C'était probablement une erreur, elle ne s'en souviendrait sûrement plus au réveil mais au cas où, je devais lui dire. C'était sûrement une enfant très intelligente et je voulais compter là-dessus. Et sur le coup, ça m'a paru être la meilleure des solutions et un plan idéal... J'ai écarté une mèche de ses cheveux encore mouillés pour mieux voir son visage.

_ Promets-moi de bien faire ce que je te dis le temps qu'on trouve une meilleure solution. Tu veux bien ?

Jane afficha une moue faussement boudeuse tout en haussant les épaules lorsque Alex refusa le partage tout en lui retirant le paquet des mains. Le premier biscuit maintenant gobé pour Jane, Alex lui redevenait sérieux.
Les gâteaux c'était bon, mais bon sang que c'était sec. Jane aurait aimé pouvoir faire descendre tout ça avec un grand coca plein de bulles, et une paille ! Ou un jus de fruit ou même... Ils étaient bons, mais elle préférait les cookies maison. Elle en avait déjà goûté, et même chaud ! C'était une merveille. Surtout avec de gros morceaux de noisettes avec le chocolat, c'était à se damner !

Alex lui parlait très sérieusement, elle se concentra sur lui. Se protéger ? Bien. Elle se mit à ses côtés, sur le dos, le cou au bord du lit, la tête en bas. Elle croisa aussi les jambes et balança celle qui était en l'air, le lit bougeait pas mal et ça l'amusait en fait. Mais elle l'écoutait attentivement même si son attitude montrait faussement le contraire. Elle croqua un petit morceau du second biscuit, c'était plus compliqué d'avaler la tête à l'envers ! Mais avec un peu plus de salive, ça passait tout seul.

- Donna Jones... D'accord. C'est qui Donna Jones ? Et je dis que tu es mon père alors ? Et c'est Alex Bones ton nom ? Lexy t'a appelé Bones tout à l'heure. Et si on contrôle ma puce je dois mentir là aussi ou je t'appelle ?

Ah bah non, il l'avait son "interrogatoire" finalement.
Elle se mit à tousser et se redressa, un petit morceau coincé dans la gorge se dégagea après une légère quinte de toux. Elle était rouge mais rapidement elle retrouva son teint presque maladif.

- Je trouve ça plus risqué de mentir... Mais d'accord.

Elle avait inspiré profondément puis reprit avec le sérieux d'Alex.

Appelle moi Grace. Je n'aime pas mon prénom. Jane, c'est laid, ce n'est même pas un prénom choisi par goût par quelqu'un...

Non, juste une étiquette pour une gamine déposée devant le pas d'une porte. Jane prit une nouvelle fois la main d'Alex.

- Tu ne vas pas me mettre dehors alors demain ?

J'ai été rassuré qu'elle se redresse, j'avais l'impression de parler dans le vide. J'ai soupiré face à son attitude alors que cinq minutes plus tôt, elle était si fatiguée. J'ai secoué la tête.

_ C'est quelqu'un qui te permettra d'être tranquille pour le moment. En espérant que personne ne nous mette des bâtons dans les roues tant qu'on aura pas trouvé une idée meilleure que celle ci. Et tu m'appelles. Toujours. Tu viens me chercher. Je sais ce que dira ta puce mais je me débrouillerai. D'accord ?

J'ai refermé sa main dans les miennes et je l'ai portée à mes lèvres pour lui embrasser avant de lui rendre. Secouant la tête, j'ai repris.

_ Pas si ce n'est pas ce que tu veux, non. Matt et Lexy non plus, d'ailleurs. Ils sont juste inquiets, c'est tout.

J'ai ouvert la couverture pour qu'elle vienne s'y lover.

_ Allez, il faut dormir, maintenant. Si tu as besoin, je serai dans le bureau à côté.

Je lui ai laissé le temps de s'installer et j'ai remonté la couverture au-dessus de sa poitrine en tassant les coussins derrière sa tête. J'aurais sûrement pu trouver des draps plus propres mais ça ne m'est pas venu à l'esprit. J'imagine que si Lexy y a pensé, elle n'a rien dit. Dans un soupir, je suis venu croiser mes mains sur sa poitrine, accoudé de part et d'autre de ses bras et je lui ai souri, à quelques centimètres de son visage. J'avais fait ces gestes des centaines et des millions de fois pendant quelques années et les retrouver me donnait un sentiment de bien être que je n'aurais pas soupçonné.

_ C'est Peterson, mon nom. Lexy et moi, on a le même prénom. Alors elle m'appelle autrement que les autres. Elle s'appelle Aleksy avec un K et un Y. Moi, c'est avec un X et I.

J'ai caressé sa tempe du bout de l'index en souriant un peu plus, la voix toujours basse.

_ Tu peux dormir en toute tranquillité, maintenant. On discutera de tout ça demain quand tu auras récupéré, d'accord ?

Elle se glissa dans le lit qui lui parut suffisamment propre. Elle avait connu bien plus crasseux, c'était le grand luxe ce soir. La couverture remontée, elle fixa le regard d'Alex maintenant à quelques centimètre de son visage. Elle détaillait ce visage bien plus avenant qu'au début, elle mémorisait le moindre détail de celui-ci pour le connaître par coeur, ne jamais oublié celui qui avait été si bon avec elle.

Tout avait été entendu et pour répondre, Jane acquiesçait à chaque paroles d'Alex. Pas pour paraître polie ou bien sage, par ce qu'elle voulait vraiment pas le décevoir.

- Alex... Tu veux bien attendre que je m'endorme avant de partir ?

Et elle se mit sur le côté en remontant la couverture jusqu'au menton. Elle se nicha confortablement et lança un dernier mot avant de fermer les yeux.

- Merci.

Merci pour l'aide, d'être aussi gentil, prévenant, de prendre tant de risques, de ne pas vouloir la jeter comme un vulgaire paquet encombrant. Jane s'endormit comme sur commande. Elle était épuisée, sa respiration était maintenant régulière, lente et silencieuse. La nuit promettait d'être douce.

J'ai acquiescé sans rien dire et je l'ai laissée s'installer confortablement en enlevant mes bras. Dans un soupir, j'ai enfoncé mon coude dans un coussin et posé ma tête dans la paume de ma main pour la regarder. Elle s'est endormie plus vite que n'importe quelle personne épuisée. J'aurais aimé savoir m'endormir avec autant d'aisance. Il faut croire que j'avais plus de facilités que je ne le pensais car c'est Lexy qui m'a réveillé une demie heure plus tard en me secouant l'épaule. J'ai sursauté et redressé la tête pour la voir sans trop comprendre. Je me suis frotté les yeux en me rasseyant sur le lit et je l'ai suivie dans le couloir en ramenant mes cheveux en arrière d'un geste. Elle m'a arrêté d'une main sur le bras en parlant à voix basse pour ne pas réveiller Jane.

_ Je ne suis pas là demain, tu te souviens ? Angela arrive vers 11h mais Matt sera là avant. J'ose espérer que tu sauras prendre la bonne décision. Ce n'est pas un jouet, Alex, il s'agit réellement d'une enfant en détresse et qui a besoin d'aide. Tu ne peux pas jouer les pères exemplaires de je ne sais où tout en sachant que tu ne peux pas garder cette enfant comme si c'était ta nouvelle lubie ! J'espère sincèrement que Matt m'appuiera là-dessus.

J'ai fermé les yeux et acquiescé vivement, les mains dans les poches.

_ Je sais, je m'en occupe demain, c'est promis.

_ D'accord. Je ramènerai des trucs pour elle. Ne fais rien d'inconsidéré.

_ Non, promis.

J'ai regardé derrière moi en me frottant le menton. Jane dormait profondément et j'ai soudainement tellement eu envie de dormir à mon tour.

_ Est-ce que tu oublies de nous dire quelque chose, Alex ?

J'ai retourné la tête pour la regarder et tout naturellement... J'ai menti.

_ Bien sûr que non, pourquoi ?

A sa façon de serrer les dents, j'ai su qu'elle avait compris que je mentais. J'avais baissé les yeux une fraction de seconde en répondant et Lexy était plutôt douée pour déceler les mensonges. Ce n'était pas un détecteur comme ma soeur, néanmoins, il fallait être entraîné pour passer au travers. Finalement, Matt a raccompagné Lexy chez elle et au lieu d'aller dormir dans le bureau où je me serais sûrement cassé le dos sur la mini banquette, j'ai préféré le gros fauteuil pourri près de la fenêtre et de l'échelle de secours dans la chambre. Au moins, je pouvais garder un oeil sur elle.

C'est un coup de klaxon qui m'a réveillé et le rideau qui m'est arrivé dans le nez avec un coup de vent. Je ne sais plus si j'avais un dos ou une planche de bois à la place des vertèbres. Dans un demi sommeil, je suis allé vérifier que Jane respirait encore. Ses cheveux avaient séché dans la nuit et j'ai souri au spectacle. J'aurais pu facilement m'habituer à cette vision. Je ne pensais pas un instant à la rendre aux services sociaux pour l'instant. Jamais ? Pour ne pas la réveiller, je suis descendu me débarbouiller dans la cuisine et j'ai déverouillé la porte de derrière pour Matt en baillant au corneil.

Il n'était que 7h30. Il était bien trop tôt pour être levé. Beaucoup trop trop tôt. Et devant un bol de céréales, je me suis posé devant les informations - ou était-ce des dessins animés ? -, accoudé à mon comptoir. Je crois que je n'ai rien suivi de ce que j'entendais. J'avais la tête tellement ailleurs et mes yeux se fermaient parfois tout seul sans que je n'en ai conscience.

J'arrivais au bar relativement tôt. La veille j'avais raccompagné Lexy et nous avions parlé un peu de la soirée, de Jane et de la réaction excessive d'Alex. Je me souvenais avoir lancé à Lexy en plaisantant que nous devrions peut-être nous mettre ensemble et adopter les deux gosses, ce qui nous permettrait en plus de les avoir à l'oeil et de pouvoir les confier à une jeune baby-sitter quand nous ne le pouvions pas. Lentement, j'étais revenu chez moi en faisant pas mal de détours, j'avais besoin de marcher et de réfléchir. J'étais même passé, consciemment ou non, devant plusieurs orphelinats en me demandant duquel pouvait bien venir Jane. Le plus miteux assurément. La soirée m'avait touché plus qu'on aurait pu le penser, la fillette à elle seule m'avait rappelé toute la misère de ce monde, Alex m'avait donné un tout autre aperçu de lui que ce qu'il avait l'habitude de nous montrer, quelque chose de nettement plus personnel et Lexy... Lexy m'avait remué avec son discours, tant et si bien que j'avais sorti ma moto pour filer dans la Ville Médiane jusque devant l'immeuble de ma sœur. J'étais resté là à observer ses fenêtres de loin, de la lumière tamisée les laissant apparaître elle et sa colocataire aux volets clos pour la nuit. Se doutait-elle que j'étais là, si près d'elle ? M'avait-elle senti ? J'en doutais fortement. J'avais fini par repartir et par rejoindre mes quartiers le temps d'une très brève nuit.

Etonnamment la cuisine était vide de monde, je découvris Alex assoupi devant son bol de céréales appuyé au comptoir. Il n'était quand même pas resté éveillé toute la nuit au chevet de la gamine, ne ? Et... la télé était réglée sur les dessins animés ??  Visiblement Voltaire n'était pas d'actualité aujourd'hui dans notre bar, tout n'allait pas pour le mieux dans le meilleur des mondes... Je retournai dans la cuisine chercher nos mugs et y déposai les sacs que j'avais ramené, je fis ensuite demi-tour, passai derrière Alex et nous préparai un café bien serré, parce que oui, il lui faudrait bien ça au collègue.

Une fois le café préparé, je posais fermement la tasse d'Alex près de lui sur le comptoir pour le tirer de sa léthargie, vu les tressautements qu'il avait parfois son assoupissement ne devait pas être très profond.

- "Salut Alex, bien dormi ?"

J'attendis qu'il réagisse pour pousser son mug vers lui et je bus un peu de mon café, je grimaçais à la force de son arôme et je quittai Alex le temps d'aller me servir du lait. La café c'était déjà pas très bon en général mais alors là je le trouvais limite imbuvable. Une fois de retour près de mon collègue qui ressemblait à un petit vieux après une nuit blanche qui n'était plus de son âge, je lui montrai les deux petits sacs recélant des croissants que je tenais dans mes mains, tout sourire.

- "J'ai ramené des croissants pour Jane, j'ai bien failli ne pas t'en prendre parce que tu es trop vieux mais j'ai été pris d'une vague de pitié."

Je lui fis un clin d'oeil et je lui balançai un des paquets avant de déposer le deuxième à l'arrière. J'étais d'avis que la petite apprécierait d'avoir des croissants au petit-déjeuner et qu'elle aurait sûrement très faim. Bah oui, tout protecteur qu'Alex avait été avec elle, à s'adresser à nous comme un roquet  plein de hargne, il ne lui avait pas laissé le loisir de manger à sa faim hier soir, préférant la cacher à l'étage sans même laisser la possibilité à la petite fille d'aller aux toilettes.  C'est en partie pour cela que j'avais acheté des croissants, rapides à sortir, rapides à manger. Il y avait quand même un avantage à être économe, on pouvait parfois se permettre des extras.

- "Ceux-là sont pour nous deux, les autres sont pour Angie et Jane."

J'attendis qu'il se serve  et pris un croissant que j'entamais avec plaisir, ce n'était pas tous les jours que je m'en offrais ! D'ailleurs, d'habitude je ne déjeunais pas avec mes collègue, je prenais juste un café en leur compagnie. Je mâchai lentement et bus un peu de mon café au lait avant de le questionner gentiment.

- "Alors, que comptes-tu faire ?"

J'avais passé pas mal de temps à y réfléchir mais il n'y avait pas de solution miracle. S'il voulait vraiment la garder et qu'il était limite question d'instinct maternel obsessionnel chez lui ils allaient vite finir par devoir ouvrir un orphelinat. Une, puis deux, puis trois, puis quatre... C'était quand même dommage qu'il ne lui ait pas laissé demander à Jane comment elle s'appelait et le nom de son orphelinat même si avec un tel prénom son nom avait de grande chance d'être Doe. Combien de gamines abandonnées s'appelaient Jane Doe à l'heure actuelle ? J'aurais apprécié de pouvoir au moins me renseigner sur son orphelinat. Parfois les structures d'accueil peu sérieuses -comme semblait l'être celle de Jane- lâchaient plus facilement les enfants qu'elles avaient à charge, trop contentes de s'en débarrasser.

L'attitude d'Alex hier... je me demandai jusqu'où il était prêt à aller pour cette gamine, ça serait peut-être bien de le savoir.

- "On pourrait la teindre en brune, la cacher, trafiquer sa puce... " - Le tout dit avec légèreté, j'enchaînai. - "Ou simplement l'adopter. "

Il y avait de l'absurde, il y avait de la logique, vers quoi pencherait-il ? Je gardai discrètement un œil sur lui pour jauger ses réactions à mes propositions, me demandant laquelle l'attirerait le plus.

Le coup de mug. J'ai sursauté et rouvert les yeux sur Matt. Quand était-il arrivé ? Comment ? Je n'avais rien entendu. Les informations du matin étaient terminées, place aux dessins animés. Je me suis redressé, une main sur le comptoir et j'ai inspiré profondément en me frottant le visage à l'expression peu commode. Si Matt avait eu un peu de jugeotte, il aurait compris que ce n'était pas le moment. Mais on devait bien lui tarabiscotter les vers parce qu'il a attaqué de plein fouet. J'aurais pensé pouvoir attendre, un peu de répit moi-même... J'ai eu un sourire malin à sa moquerie mais j'ai pris le mug à deux mains, refusant le croissant.

– Merci, j'ai plus faim. Elle dort encore.

A sa question, que j'ai estimée violente au réveil, je l'ai regardé, lassé et fatigué puis j'ai roulé des yeux en reportant mon attention sur la télé, portant mon mug à mes lèvres.

– Il est 8h du matin, Matt. J'ai à peine dormi. Ca ne peut pas attendre ?

Malgré tout, j'ai baissé le son qui me vrillait les oreilles. Pour que Matt arrive si tôt, avec des croissants, me prépare un café et me fasse une moquerie en moins de 10 minutes, soit il s'inquiétait, soit il était encore plus obsédé par cette histoire que moi, soit il m'en voulait tellement qu'il avait décidé de me faire payer.

– Visiblement non.

Je me suis frotté l'intérieur de l'oeil en soupirant et j'ai laissé mon bras retomber pour le croiser sur le bord du comptoir. Mais quand il a parlé de l'adopter, j'ai relevé des yeux lumineux sur lui. Je n'ai pas eu le temps de rire ou de faire un quelconque humour. J'avais déjà songé à l'adoption mais je me savais excessif alors j'avais tout de suite oublié. Est-ce que Matt pensait comme moi, alors ? En espérant que Lexy ne lui avait pas parlé de mon mensonge éhonté...

– Okay. - je me suis raclé la gorge - J'en sais rien. Pour l'instant, elle dort. Mais on ne va pas colorer les cheveux d'une gamine de 9 ans. Matt, tu as entendu ce qu'elle a dit hier, personne ne la cherchera ni ne se rendra même compte qu'elle a disparu. Je vais... Appeler ma mère dans la journée. Je pense. J'en sais rien.

Comment pouvait-on passer d'une attitude blasée, lasse et fatiguée presque je m'en foutiste à un tel degré de lumière ? Voilà la question que je me posais en regardant Alex, la mine cachée derrière la tasse que j'étais en train de boire. Parce que lumineux ses yeux l'étaient assurément à cet instant où il a levé son regard sur moi qui parlait d'adoption. Etrangement, j'en découvrais plus sur Alex en deux jours que je n'en avais appris depuis mon arrivée dans ce bar et je savais sans avoir besoin de preuve  ou de confirmation que cette faille était née avec l'arrivée de Jane. Mais n'était-ce qu'une faille sous l'armure ou les prémisses d'une future plaie béante ?

J'ajoutai du sucre dans mon si horrible café et le mélangeai pensivement, j'avais bien une réponse à lui faire mais... Je lâchai un léger soupir et j'entamai une discussion plus sérieuse.

- "Tu as raison on ne peut pas teindre les cheveux d'une enfant, mais Alex..." - Je lui lançai un regard perçant - "On ne peut pas non plus se contenter de la cacher en espérant que personne ne la recherche comme elle affirme."

D'une main, je l'empêchais de m'interrompre.

- "Je ne dis pas que Jane ment cependant ce n'est qu'une enfant, une enfant qui a vécu dans des conditions difficiles. Il se peut qu'elle croit dur comme fer qu'aucune des personnes de l'orphelinat ne s'intéresse assez à elle pour la rechercher et vu son état elle a peut-être raison sur un point, l'intérêt qu'ils lui portent. Néanmoins les orphelinats sont surveillés, je doute que l'un d'eux ait envie d'avoir à expliquer aux autorités la disparition d'un de leur pensionnaires. Et en supposant qu'ils ne la recherchent pas activement... on travaille quand même dans un bar dont on peut dire sans égo démesuré qu'il est populaire. Que fera-t-on si un jour un des employés de l'orphelinat venait ici et apercevait Jane ? Il va falloir trouver mieux ou prendre des assurances."

Plus je l'étudiais et plus j'étais convaincu que Jane ne retournerait jamais dans son orphelinat. Je savais que Lexy avait en grande partie raison mais en même temps je comprenais la réticence d'Alex à la renvoyer là-bas et à choisir je préférais aider mon collègue dans ces démarches que de découvrir un beau jour qu'il s'était lancé dans un plan foireux. Ce qu'il faisait était très risqué, ça pouvait nous retomber sur la tête à tous alors si je pouvais le pousser à réfléchir un peu à une solution viable...

Je le laissai digérer et finis par hausser un sourcil.

-  "Ta mère ?"

Il a bien fait de lever la main car déjà je me redressais en inspirant pour répondre. Finalement, j'ai appuyé mon pouce dans le coin de mon oeil mais je l'ai écouté attentivement. Il n'avait pas tort. Cependant, j'avais une bonne excuse en tête. J'ai relevé le menton en roulant des yeux.

– Qui la reconnaîtra ? Tu as bien vu dans quel état elle était. Quand elle aura repris des forces, même nous, on ne pourra plus dire qu'on reconnaît la gamine de la rue. Elle n'a que la peau sur les os, Matt ! Un enfant en bonne santé est plus facile à cacher.

Je parlais déjà de cacher. Je ne parlais pas de dissimuler, ni d'attendre ou de protéger. Je parlais de cacher. Et parler d'illégal n'était pas totalement dans mes principes. Je respectais le code de la route, je respectais les couvres feu ! Je faisais attention à ce que la loi soit respectée et tant qu'on ne me demandait que de torturer des dealers pour obtenir des informations, je restais dans les règles de la vie ! Mais cacher une enfant... C'était un nouveau degré de bêtise pour moi.

– Oui, ma mère, Matt, on en a tous une. Elle peut l'héberger quelques temps, elle a peut-être des trucs qu'on pourrait utiliser ! Elle vit en Ville Médiane, il n'y a rien là-bas ! Personne n'ira chercher cette gamine là-bas.

Pourquoi ma mère le faisait percuter ? Et pourquoi prenais-je la mouche ? Et le ton est à nouveau monté. J'ai laissé ma main retomber sur le comptoir, autour de mon mug.

– Je ne comprends pas que tu puisses deviner ce par quoi elle est passée, que tu t'adresses à elle comme à un oiseau à l'aile blessé mais que tu essayes de me dissuader de faire quoi que ce soit, comme la garder ici le temps de trouver une solution. Qu'est-ce que tu proposes, alors ? Tu sembles avoir toutes les solutions alors donne-les moi !

Que personne ne soit susceptible de la reconnaître je n'en étais pas si sûr, après tout les responsables de l'orphelinat frayaient avec des enfants tous les jours et passaient quasiment leur vie avec leurs pensionnaires. De toute façon ce n'était pas le seul point, je n'étais absolument pas certain que Jane ait vécu toute sa vie dans cet orphelinat-là.

- "Que te dit qu'ils ne l'ont jamais vu sans crasse ou mieux portante ? Tu l'as vu avec le coca et la paille hier ? Elle n'avait pas l'air de les découvrir mais de les retrouver et je doute qu'elle ait pu profiter de ce genre de chose dans son orphelinat. Je ne peux pas l'affirmer mais ça ne m'étonnerait pas qu'elle n'ait pas toujours vécu là-bas et si elle venait d'un autre orphelinat, un où elle a pu goûter au coca... Elle est probablement arrivée plus propre, plus charnue et pas dans sa prime enfance."

La cacher... Il était certain de se rendre compte de ce que cela impliquait ? J'aurais vraiment apprécié de retrouver l'Alex habituel à ce moment-là mais au lieu de ça il m'avait tout l'air de prendre la mouche. Je fronçai les sourcils. Quoi encore ? Ca le surprenait que je m'étonne ? C'était bien la première fois qu'il laissait échapper quelque chose sur sa famille ! Il aurait tout aussi bien pu être orphelin pour ce que j'en savais, d'ailleurs en parlant de ça je devrais pouvoir rayer l'hypothèse selon laquelle il avait vécu la même enfance que Jane. Sauf s'il avait lui-même été recueilli mais je ne le pensais pas. Je n'eus même pas le temps de répondre qu'il enchaînait en haussant le ton.

- "Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit Alex !" - Je pris une inspiration pour ne pas m'énerver à mon tour - "Je ne suis pas contre la garder ici quelques jours mais la cacher n'est pas viable sur le long terme. Tu as pensé à ce qui se passerait si on la découvrait ? Ce n'est pas que toi qui en pâtirait, c'est aussi Lexy et Angie. Et Jane, tu ne crois pas qu'une telle expérience pourrait la briser ?"

Je me rendis compte que j'avais parlé d'une voix dure, bien plus dure que je ne l'aurais voulu et je me forçai à reprendre une voix normale.

- "Et non je n'ai pas toutes les solutions, ce que je te propose c'est d'y réfléchir sérieusement. Pour commencer ça serait bien que tu acceptes de lui demander le nom de son orphelinat et éventuellement le sien même si ça a de grandes chances d'être Doe. Je pourrais toujours me renseigner sur cet établissement, comment ils gèrent les adoptions, s'ils les facilitent."

Je le regardai dans les yeux et le jaugeai, une manière comme une autre de l'obliger à se confronter à la situation.

- "Iras-tu jusqu'à l'adopter si cela s'avère possible ou te contenteras-tu de la cacher dans un placard ?"

Parce que oui, s'ils ne trouvaient pas une solution la garder ici, la cacher, équivaudrait à la remiser dans un placard de peur qu'on ne l'aperçoive. Etait-ce une meilleure vie que celle qu'elle allait quitter ? Une vie sans liberté ? Je décidai de clarifier le cas « Maman » pour qu'on puisse au moins laisser ça derrière nous.

- "Et par pitié ne recommences pas à me grogner dessus, si je m'étonnais pour ta mère c'est tout simplement parce que tu ne parles jamais de ta famille."

J'appréciais Alex mais j'en avais un peu marre de le voir s'en prendre à nous pour un oui ou pour un non. On avait toujours été réglo avec lui, pas vrai ? Et que je sache nous n'étions pas responsable des mauvais traitements de la fillette !


(HJ : Pff, je demande de l'italique et il m'ajoute du rouge en prime... On est d'accord que je ne crie pas sur Alex hein, j'insiste juste sur le mot   :roll:   )

_ Je ne te grogne pas dessus, je...

J'ai levé les mains en pinçant les lèvres et grimacé légèrement en freinant un juron. Ce dernier n'aurait pas été dirigé vers Matt mais vers moi-même. Il avait raison, je m'emportais et ça n'était pas dans mes habitudes. Je défendais cette gamine bec et ongle, même de Matt alors qu'il ne cherchait qu'à l'aider, peut-être même plus que moi. J'ai pris la télécommande pour éteindre la télé et j'ai un peu trop vivement jeté l'appareil sur le comptoir avant de soupirer en portant un main à mon front.

_ J'ai une bonne raison de ne pas parler de ma famille. Et je ne t'entends pas non plus beaucoup parler de la tienne.

J'ai relevé les yeux sur lui. J'avais retrouvé une voix plus calme mais pas des plus apaisées, toutefois. J'étais toujours sur le quivive, à l'affût du moindre débat avec Matt, comme s'il pouvait me donner la satisfaction d'être contre moi afin que je puisse me défouler un peu, me dérider.

_ On est quittes, comme ça, ça te va ?

Mais entendre Matt hausser le ton sur moi m'a fait prendre conscience que je dépassais sûrement les bornes. C'était quelqu'un de plutôt silencieux et de réserver. Jamais à l'abri de l'humour, oui, mais pas aussi enlevé que moi. Quoi qu'il en soit, il essayait, comme moi, tant bien que mal, de garder son calme. J'ai inspiré profondément, sans rouvrir les yeux et un bras croisé sur le bord du comptoir.

_  Je n'arrive pas à y réfléchir plus sérieusement pour l'instant. Oui, j'ai son nom et on en utilisera un autre si quelqu'un vient à nous poser des questions. Je vais trouver quelqu'un capable de trafiquer sa puce, ce ne serait pas la première fois que je fausse une identité ! Mais je suis d'accord avec toi sur un point : elle ne peut pas rester ici. Ce n'est pas un endroit pour un enfant. On lui posera toutes les questions qu'il faut quand elle se réveillera. J'irai faire un tour là-bas et on verra. Je pense bien que c'est Doe, oui. Elle m'a dit que c'était un nom qu'on avait choisi pour elle. Ce qui nous facilitera la tâche.

Matt et Lexy avaient dû en discuter entre eux la veille. Sans moi, bien évidemment. Bien plus raisonnables que moi, ils avaient même dû penser qu'ils avaient deux enfants à gérer maintenant. Et ce regard qu'elle m'avait lancé quand j'avais menti. Ma tête était en ébullition, je n'arrivais pas à être aussi raisonnable qu'eux. J'ai relevé les yeux sur Matt avec l'impression d'être un enfant disputé par son grand frère, ou même son père.

_ Je vais trouver, d'accord ? Je m'en occupe ! C'est ma responsabilité.

Je rattrapai la télécommande de justesse avant qu'elle ne s'envole du comptoir et ne s'écrase par terre. Et il n'était pas énervé là ? Je fronçai les sourcils en jouant avec ce qui restait de mon croissant, c'est-à-dire la majeure partie, et me retins de lui répondre. Le juron -ou autre- qu'il avait eu l'air d'amèrement retenir il était destiné à qui hein ? Moi, un autre , la télécommande, le facteur ? Je pris une profonde inspiration avant de lui répondre le plus calmement possible.

- "Etre quitte ? Je ne t'ai pas fait de reproche que je sache."

Je le regardais affalé sur la table les yeux clos comme s'il était un enfant boudeur qui s'acharnait à ne pas affronter la situation, à ne pas vouloir faire de concessions volontaires. Lexy avait diantrement raison, nous étions pourvu dorénavant de deux enfants et j'aurais bien du mal à dire lequel était le plus vieux des deux bambins. J'écoutais sa réponse, à la fois attentif et un peu désabusé, notre petit soldat voulait faire cavalier seul et je ne savais qui de Woody ou de Buzz l'éclair serait la star de ce nouvel opus de Toy  Story improvisé, je prierais presque pour que ce ne soit pas Buzz...

- "C'est déjà un bon début..."

Laconique, à tout le moins.

Et ses yeux qui se plantèrent dans les miens, me prenait-il pour son père pour être sur la défensive de cette manière là ? Les enfants de l'Underground me paraissaient tellement trop adulte tout d'un coup... Mais je savais que c'était du mauvais esprit de ma part et d'une sorte de lassitude de son côté causée par ce qu'il devait prendre pour des attaques de ma part. N'empêche qu'avec l'énervement qui me chatouillait le nez depuis un moment j'eus du mal à bien prendre sa question. Je savais bien que je n'étais pas son frère mais quoi, on était quand même plus proche que ça non ? Je ne savais pas pourquoi il voulait autant tout faire tout seul et m'exclure de ce qui allait se passer mais je le pris moyennement bien. Je me levais et jetai mon croissant dans la poubelle, vidai mon mug dans l'évier, cette discussion m'avait coupé l'appétit, ça m'apprendra à vouloir aider et me mêler de ce qui visiblement ne me regardait pas de son avis.

- "Magnifique. Tu sais où nous trouver au cas où."

Plus ironique et mordant que je ne l'aurais voulu mais...

Je quittai le comptoir sans dire un mot de plus et m'attelai à poser les chaises par terre, tâche matinale ordinaire après le lavage des sols effectué le soir qui aurait l'heurt -je l'espérais- de m'aider à me calmer. Une fois cela fait j'allais me changer comme toujours quand je venais bosser en moto puis j'ouvris le bar et les premiers clients de la journée ne tardèrent pas à arriver. C'est que nous avions quelques habitués !