| Sam 10 Jan - 9:13 | | DAY ONELa lumière est si forte qu’on se serait cru en plein mois de juin, dans les hauteurs de la Sibérie, ou de la Norvège. Ou même de l’Islande. J’ai toujours rêvé d’aller au Groenland. Je me dis souvent que là-bas, tout ce qu’il doit y avoir c’est… de la glace et du silence. Les deux choses qui font de moi ce que je suis. Un terrain vierge, neutre où seule la nature demeure reine. Un endroit où je pourrais être moi-même. Nul secret ni mensonges, pas d’armes, pas de cris, rien.
Ma vie n’est pas ce que l’on peut appeler quelque chose de simple ou de très fluide. Ce n’est pas faute de m’être portée volontaire pour cette guerre. J’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’une guerre, je ne me suis jamais enlevé ça de l’esprit. Lui non plus, je crois. Pas que nous en ayons beaucoup parlé. En fait, nous n’avons jamais parlé de ça. Lui et moi parlons d’autre chose. De nos couleurs préférées, de la température de la roche quand le soleil est au zénith de l’année, de nos rêves si nous avions été dans un autre monde. Il ne parle jamais de lui, je ne parle jamais de moi. C’est un accord tacite entre nous mais c’est surtout que nous n’en avons jamais ressenti le besoin, contrairement aux autres.
Je le reconnaîtrais parmi des centaines d’hommes, même avec une capuche sur la tête. Je reconnais sa démarche et les doigts qui dépassent de ses manches. Il a cette couleur de peau si particulière, ni blanche comme moi, ni sombre comme Jason. Parfois, je l’appelle « Biscuit » parce qu’il a la couleur d’un biscuit tout juste sorti du four. Ses doigts sont longs et fins et je me demande parfois si c’est une caractéristique de la morphologie asiatique ou s’il était destiné à un autre carrière dans un autre monde comme pianiste ou un quelconque autre instrument de virtuose.
Quand il tourne la tête pour me faire face, alors que je l’appelle en tapotant son épaule, je me retiens de lui sauter au cou. Ses yeux noirs brillent dans la lumière du soleil mais aucun sourire ne répond au mien. Il me voit, me regarde mais ne semble pas me reconnaître. Je pense d’abord que je suis en train de rêver, j’ai souvent cette intelligence étrange, cet éveil de moi-même, cette forte conscience, capable de faire la différence entre la réalité et mes rêves. Et je rêve beaucoup. Mais, il cligne des yeux et je sais qu’il est en vie, c’est ce qui étire un peu plus mes lèvres alors que je me rapproche de lui, ma main rejoignant la sienne. Au bout de quelques secondes à le dévisager, je sens ses doigts se refermer sur les miens et son visage se réveiller enfin.
Au loin, j’entends un battement, comme un tambour ou une autre percussion, c’est un rythme connu, qui m’est familier, je le sens vibrer en moi, c’est un battement de coeur. Il est lent mais puissant. Nous sommes en hiver, je le sais mais le soleil brûle ma peau découverte au niveau de mon épaule. Il est dans mon dos et je sais qu’il reflète la couleur enflammée de mes cheveux. Je l’attire à moi, jusqu’à rencontrer ses lèvres, savourant la chaleur de sa peau et la douceur de ses cheveux en bataille. Je voudrais le serrer contre mon coeur mais quelque chose m’en empêche, je crois que c’est la gravité.
J’ouvre les yeux tout à coup, prise d’un léger sursaut. Mon corps demeure lourd, immobile mais mes lèvres s’entrouvrent pour trouver de l’air. La forte lumière n’est plus et j’entends des pas à quelques mètres de moi.
« C’est l’heure. », m’annonce Jason.
Je me redresse, sur le perron du Saloon. Je me suis assoupie sur la balancelle en bois en les attendant, la tête contre les montants. Je ne suis pas réputée pour ma voix ni ma réaction mais Jason a cette faculté de perception, alors il ose me demander si je vais bien. Pourquoi tout le monde s’acharne à me demander si je vais bien ? Il m’apparaît si étranger, si froid. Lui non plus ne parle jamais de lui, ne dit jamais rien. Mais il y a quelque chose dans son regard, je n’entends le chant d’un coeur qui bat quand je suis à ses côtés. Il n’y a aucune lumière pour donner vie à ses yeux noirs.
Est-ce que je vais bien ? Je ne réponds pas. Là n’est pas la question. Je vais bien. La douce mélodie s’est arrêtée, tout ce que j’entends, ce sont les bruits caractéristiques de la réalité, celle que je dois affronter à présent. On m’appelle Libby. Je suis un membre actif de Liberation. Je suis en vie. Et je n’ai pas dit mon dernier mot. |
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