2076. Côte est des Etats-Unis. Megalopolis est le centre névralgique d'une guerre géo-politique mondiale depuis qu'un attentat biologique en 2026 a divisé l'humanité en deux populations bien distinctes : ceux qui se battent pour le futur, et ceux qui font avec le présent.
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Bogdan Lupescu
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PĀDUREA

TENEBROASĀ
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CHAPITRES

Inspirées par Jeremiah, Dark Angel, I Am Number Four, Hunger Games, Uncharted: Among Thieves et The Secret World. (Quelqu'un m'a dit The 100 mais je n'y ai pas pensé une seconde en écrivant !)

☛ "Irina" Roumanie, Eté 2060
☛ "Les Douze Dégénérés" Russie, Hiver 2065
☛ "Harald" Chine, Automne 2071
☛ "La Forêt des Ombres" Roumanie, Hiver 2071
☛ "Liberation" USA, Automne 2072
☛ "Underground" USA, Hiver 2072
☛ "Eve" USA, Printemps 2074
☛ "Fifteen" USA, Eté 2075

PERSONNAGES





IRINA
Sophie
Lowe


TIBOR
Alex
Pettyfer


MAGDA
Rose
Leslie


VASILE
Dylan
O'Brien


SIX
Madeleine
Mantock


IOAN
Daniel
Sharman


BIANCA
Gage
Golightly


FANTINE
Fantine
Banulski


ABEL
Theo
James


EVE
Marie
Avganopolous


ZAAN
Jason
Behr


LIBBY
Magda
Apanowicz

PĀDUREA TENEBROASĀ
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Bogdan Lupescu
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J'ai 15 ans quand ils viennent me chercher.

Sud ouest de la Roumanie
Eté 2060


Je fête mon quinzième anniversaire, avec ma famille et mes amis dans notre village, situé assez loin des grandes villes. Nous avons beau être nomades, nous avons besoin de revenir chez nous une fois par an pour fêter les anniversaires et il y en a beaucoup tous les étés. Le reste de l'année, nous circulons, nous bougeons de ville en ville avec un mini cirque d'animaux de ferme et nous émerveillons avec les acrobaties des uns, les tours de magie des autres. Mais l'été, nous sommes chez nous, pendant environ un mois.

J'ai deux petits frères et une petite soeur, mais j'aime tous les enfants de notre camp, nous formons tous une gigantesque famille, que nous partagions des liens de sang ou de coeur. Mes cousins, la fille qu'on rêve de me marier car elle est la seule, de mon âge, à ne pas partager le même patrimoine génétique que moi. Elle a beau être belle, fraîche, intéressante et drôle… J'ai 15 ans et je ne songe qu'à m'amuser avec mes frères et soeur, tel un Peter Pan et ses enfants perdus. Plus j'y pense et plus ça y ressemble. A la différence que je n'ai pas eu le choix que de grandir.

Je n'ai plus jamais connu la paix, ni le silence. Pendant 15 ans, j'ai cru que c'était la seule chose qui existait au monde, la joie et la paix. Mais cette nuit-là, ils nous arrachent à nos lits, ils se désintéressent de ma soeur et battent nos parents qui se défendent becs et ongles pour nous. Le désespoir et la détresse les animent. Ils la prennent elle aussi, la jeune fille qu'on considère déjà mienne, ainsi que d'autres adolescents du village. Ne subsistent que les plus jeunes enfants et certains parents sont laissés pour morts.

En tout, nous sommes neuf, de treize à dix-huit ans. On nous transporte vers un endroit inconnu et la peur nous terrasse. Je tiens mes deux frères contre moi, dont l'un est le plus jeune, treize ans et l'autre quatorze. Elle a quinze ans comme moi, mais elle en fait déjà plus. Quant à l'aînée, elle essaye de nous rassurer, mais nous sommes trop jeunes et il ne s'agit pas d'une aventure comme dans l'un de mes contes fantasmagoriques. Ce qui nous arrive est bien réel. Il y a également un garçon de seize ans et deux autres de dix-sept. Le dernier a quatorze ans, comme mon frère.

Pendant tout le voyage, je n'ouvre pas la bouche, je suis bien trop terrifié pour penser à autre chose. Je nous observe, les uns après les autres et je cherche ce qui nous lie, ce qui fait qu'ils n'ont pris que nous et pas les autres, ce qui nous différencie aussi, mais je ne trouve rien. L'aînée est blonde avec un nez empâté et des yeux marron que j'ai du mal à percevoir dans la nuit. L'autre fille est brune et son visage est plus rond. Elle est un peu moins trapue, avec des yeux bleus clairs et des lèvres charnues. Quand elle sourit, ça lui fait une grande bouche. Le seul blond des garçons est celui de seize ans, complètement hirsute. Il est maigre, mais je vois bien que sa musculature se développe. Nous autres sommes châtain ou bruns, voire les cheveux noirs pour mon plus jeune frère. Nous avons tous les trois les yeux verts, mais les autres ont les yeux marron. Celui qui me fascine le plus, c'est l'aîné qui semble prendre un certain contrôle avec la fille de dix-huit ans. Il est très grand et ses épaules font deux fois les miennes. Je songe un instant que j'aimerais être comme lui en grandissant, grand beau et fort. Sa voix est grave et on l'écoute tous, captivé par cette confiance dont il irradie. Son charisme nous tient en vie et nous gardons espoir de cette manière. Les deux autres garçons me ressemblent un peu mais ils sont plus petits, l'un est plus fin, l'autre est beaucoup plus gros. Le premier semble animé par la rage à arracher le bois des portes à mains nues, le second est encore plus terrifié que le plus jeune de mes frères.

Il nous faut des jours, confinés dans ce train qui fait vibrer chacun de nos muscles, avant d'atteindre ce que nous pensons être notre destination. Les plus jeunes se vissent à moi, même si mon frère cadet a le regard mauvais, fixé sur la porte. Les deux plus grands sont prêts à se battre corps et âme pour se défendre et la brunette s'interpose avec le blond entre les aînés et moi. D'abord, je fronce les sourcils, je suis parfaitement capable de me défendre, mais je ne dis rien car j'ai quatre gamins contre moi, qui comptent sur moi. Je me dis qu'on pourrait échanger les rôles mais mon frère tremble comme une feuille au point de déchirer ma manche et je me demande si ce n'est pas lui qui cause ce bruit dans le fond du wagon où deux boîtes de conserve s'entrechoquent.



Les portes coulissantes sont protégées par des barreaux qui ne sont pas sans nous rappeler certaines roulottes de cirque que nous croisions sur notre tournée. Elles contenaient des lions, des tigres, des animaux sauvages... Des bêtes. Aujourd'hui, c'est nous. Les deux aînés sont prêts, ils ont trouvé des armes au sol : une planche de bois mal coupée avec des pointes effilochées et acérées comme des multitudes de lames de rasoir, et une barre à mine. Lui, il a sa musculature mais elle, elle est fine et rapide. Les portes s'ouvrent et ils rugissent comme des bêtes enragées, faisant reculer nos assaillants. Nous sommes là depuis des jours, nous avons faim, froid et nous sommes fatigués de dormir à même le sol, les uns contre les autres pour palier au manque de couverture. Nous n'avons, en tout, eu à manger que des miches de pain et des bouts de fromage. Bien sûr, pas assez pour assouvir l'appétit des plus jeunes. Mais nous avons rationné, nous sommes habitués à vivre ensemble et en communauté. Je suis affamé, faible et terrifié. Finalement, je suis content que les autres prennent les devants.

Et ils ne se laissent pas faire. On essaye de les bloquer, de les maîtriser mais ils rendent coup pour coup, à croire qu'ils ont fait ça toute leur vie. Ils mettent à terre deux de nos gardiens et alors je perçois des cris qui, jusque là, avaient été couverts par la course du train. Nous n'étions pas seuls. D'autres adolescents sont extirpés des wagons et quand les deux aînés sont enfin immobilisés au sol, c'est au tour des deux autres, mais ils sont trop faibles pour résister plus de deux secondes. On les maltraite, on les frappe et je me tasse de plus en plus dans le fond du wagon, mon coeur s'emballe à l'idée que je suis le prochain sur la liste. Même mon frère à la lueur meurtrière dans le regard se plaque dans mon dos et ils en deviennent minuscules, acculés derrière moi. Mais ça suffit à me donner la force.

Ils sont deux à approcher de moi, ils ont des griffures sur tout le visage et l'un d'eux a le nez qui saigne. Ils sont méfiants, nous sommes inoffensifs mais nous avons peur, ce qui nous rend dangereux et imprévisibles. D'autres attendent derrière pour empêcher les plus petits de se faire la malle. Quant à moi, je rugis et je fonds sur mon assaillant. Mon poing s'abat dans son sternum et lui coupe le souffle une seconde, laissant l'autre me balancer un coup de matraque dans les côtes. Le premier m'emprisonne dans ses bras mais je lui écrase le pied et lui mord la main aussi fort que possible, avant d'envoyer mon genou dans l'entrejambe du second. Mes frères sont apeurés et les autres n'osent pas bouger. Aussi, on envoie deux gardes de plus pour me maîtriser. Ma tête embrasse le nez du premier pour qu'il me lâche mais je sens qu'on se saisit de mes chevilles et qu'on me fait chavirer sur le dos. Mon coeur rate un battement quand ma tête heurte le sol et je gémis de douleur pendant que des étoiles dansent dans mes yeux. C'est mon tour de me faire laminer et j'entends les autres hurler de me laisser tranquille mais je suis le seul à les comprendre, ici.

Finalement, ils nous détiennent tous. Mon oeil est gonflé, je ne vois pas bien. J'entends mon plus jeune frère pleurer à côté mais je ne perçois plus les filles. J'ai perdu connaissance suffisamment de minutes pour rouvrir les yeux sur un nouveau véhicule bâché, un camion militaire. La route est chaotique, le bruit assourdissant, pire que le train mais on nous emmène quelque part à nouveau. J'entends les essieux grincer sous nos pieds et ma tête me tourne chaque fois que mon épaule rencontre la paroi. Dans ce camion, il n'y a que mon jeune frère et moi. J'ignore où sont les autres et ça me terrifie plus que n'importe quoi d'autre. Avec nous sont entassés d'autres enfants, dans le même état que nous et je vois d'autres camions qui nous suivent, il y en a sûrement devant aussi. Nous formons un cortège, au milieu d'une toundra que je vois défiler dans l'interstice entre la bâche et l'habitacle en fer du camion.

A destination, nous sommes jetés dans des cellules en béton. Trois par cellules, seulement, ils veulent nous diviser et empêcher qu'on puisse se défendre les uns les autres. En hauteur, sur le mur du fond, il y a une meurtrière qui laisse entrer l'air frais. Nous sommes en été mais ici, on se croirait déjà presque en hiver. De chaque côté de la cellule, les murs sont en béton aussi mais il y a un espace d'environ 30cm au sol, avec les armatures apparentes des fondations. Je me demande si c'est voulu, cela dit... Mais nous pouvons voir les autres enfants des cellules voisines, et même celles encore après. Je les entends pleurer, hurler, mais certains demeurent silencieux. En plus de mon frère et moi, ils ont jeté avec nous l'aînée de notre village. Elle se débat, elle crie, elle les menace tous, les insulte ouvertement, elle se déchire les ongles sur les murs et c'est à moi qu'elle fait peur, maintenant. Mais j'ai bien retenu la leçon et je reste sage dans le coin, mon frère dans mes bras. Je n'ai pas la force de regarder nos voisins, j'ai peur de ne pas y voir mon cadet.

Irina est la première qu'ils viennent chercher. C'est le matin et elle s'est enfin endormie contre moi pendant la nuit. Je crois même qu'elle m'a embrassé. En fait, j'en suis sûr, parce que j'ai répondu, mais je préfère essayer d'oublier, c'est moins douloureux de cette manière, se dire que c'était la première fois qu'une fille franchissait cette distance jusqu'à mes lèvres.

L'ouverture de la porte ne nous a même pas réveillés, nous étions pourtant alertes mais lovés les uns contre les autres, nous avons baissé notre garde. Ils me l'ont arrachée des bras quand j'ai essayé de la retenir. Sa main a glissé entre mes doigts alors qu'on me retenait pour m'empêcher de faire quoi que ce soit. J'ai hurlé son nom et elle a crié le mien à l'aide mais ils l'ont emmenée et je n'ai rien pu faire pour la sauver. "Fais tout ce que tu peux, protège-les quoi qu'il arrive", elle me dit. Ses mains se referment sur les barreaux ce cellule de prison qu'est notre porte et ses yeux fous ne quittent plus les miens pendant plusieurs secondes. Elle est dévastée, elle se met à pleurer en m'appelant. Je me débat comme un beau diable mais on me tient fermement. Ils la frappent pour la faire lâcher prise. Elle a un relent de survie et joue des coudes et des genoux pour se libérer. Je n'ai jamais connu personne plus forte et plus agile qu'elle et je me demande où elle a appris à se battre comme ça avant de me souvenir qu'elle était la meilleure danseuse acrobate de notre compagnie. Je déguste pour me forcer à rester éloigné de la porte, afin qu'ils puissent la refermer et m'abandonner à nouveau. Je ne peux m'empêcher de me mettre à pleurer moi aussi quand je la vois disparaître dans le couloir. Et puis à un moment, sa voix se coupe subitement. Nous sommes à nouveau seuls. Ils l'ont emmenée on ne sait où, ni pourquoi...

Irina. Ils ont tous très vite oublié son visage et son nom. Probablement une protection de leur esprit. Moi pas. Ses cris hantent chacune de mes nuits, ses yeux dans les miens et la terreur qui la rendait hystérique. Elle a essayé de me dire quelque chose ce jour-là. Ils la ramènent dans la cellule le soir venu alors que le soleil est déjà couché depuis des heures, mais je ne sais pas où nous sommes, les journées me semblent si courtes en étant si longues. Elle n'est que l'ombre d'elle-même. Ils la jètent à mes pieds, mais elle est immobile. Son teint est pâle, grisâtre, même, elle est visiblement malade. Son nez est encore plus épais qu'avant, ses yeux vitreux, sans plus aucun éclat, et ses cheveux font de la paille. Elle a des marques sur la peau mais même si elle respire, toute force l'a quittée. J'attends qu'ils aient refermé la porte et je me rue sur elle pour la prendre dans mes bras. Elle n'a pas semblé me voir d'abord et puis elle s'est mise à tousser. Son corps se met à trembler comme si elle était frigorifiée. Tout ce qui me vient en tête, c'est une infection diabolique qui la plonge dans un état critique. Quoiqu'ils lui aient fait... Ca la tue en deux jours.

Pendant tout ce temps, je la garde contre moi, je caresse ses cheveux, je tente de la rassurer, je lui raconte des histoires, lui fredonne quelques chansons. Mais elle ne s'arrête plus de pleurer et de gémir, elle est épuisée, elle tousse de plus en plus et sa peau est en feu. Les marques sur sa peau sont pires que tout et me confirment une infection comme je n'en ai jamais vu. Je peux bien être contaminé, je m'en moque. Irina est tout ce qui m'importe. Je suis dingue à l'idée de la voir partir, s'enfuir de ce cauchemar et me laisser là à le subir sans elle. Je n'ai pas le courage d'affronter ce qui nous arrive et je veux m'enfuir, aussi. J'ai beau appeler à l'aide, personne ne vient à mon secours. Jusqu'à ce qu'elle me supplie de la laisser partir. Je la cale contre moi et je secoue la tête. Je veux me convaincre qu'elle va s'en sortir. Qu'on va tous s'en sortir. Ce n'est qu'un mauvais rêve. La nuit, elle empêche tout le monde de dormir tant elle souffre jusqu'à vomir mais rien ne la soulage. Elle me dit que ses poumons la brûlent et elle me supplie à nouveau de faire quelque chose et de l'aider.

Mon frère ne veut rien savoir. Il me tourne le dos à l'autre bout de la cellule et il est recroquevillé contre lui-même. Entre deux quintes de toux, elle gémit, répétant inlassablement mon nom. Elle m'implore, sa voix est à peine audible. La vérité, c'est que j'ai peur de lui faire mal.

Au beau milieu de la deuxième nuit, c'est tout à coup le silence et j'entends quelques soupirs de soulagement. Irina ne pleure plus ni ne gémit. Elle ne bouge plus non plus. Elle a le visage imbibé de larmes et ma main est griffée ainsi que mon cou. Pendant tout ce temps, j'ai regardé un morceau de la lune par la meurtrière. Je ne respire plus non plus, je suis aveugle parce que j'ai crispé les paupières, me refusant à rouvrir les yeux pour la voir inerte dans mes bras. L'aîné de notre village l'appelle. Puis moi quand elle ne répond pas. Mais je n'ai pas la force d'ouvrir la bouche non plus. Il hurle son nom et je rouvre enfin les yeux pour regarder Irina. Ma main glisse de son visage qui maintenait fermement son nez et sa bouche pour l'empêcher de respirer et un sanglot rauque s'échappe brusquement de ma gorge. Je réalise ce que j'ai fait.

Je la secoue légèrement mais elle ne réagit pas. Ses paupières sont closes et sa main glisse de ma nuque à laquelle elle s'est raccrochée en y enfonçant ses ongles. Je lui frictionne les doigts et je la berce en espérant qu'elle se réveille, mais je dois me faire une raison. Elle n'a jamais semblé si paisible et je regrette de ne jamais l'avoir remarquée avant. Je la serre contre moi, mon visage contre le sien et je l'embrasse une dernière fois.

J'annonce qu'elle est partie. J'entends l'aîné au fond hurler de rage et cogner les barreaux de sa cage. A cet instant, je remercie le ciel d'avoir mis plusieurs murs entre nous car s'il avait su, il m'aurait tué lui-même à la simple force de son esprit.

Quand vient mon tour, je ne me débats pas. Je ne veux pas qu'ils s'en prennent à mon frère en punition. Ils ont déjà été plusieurs à être emmenés. Certains sont revenus, d'autres non. Mais seule Irina nous a été rendue mourrante. Je le sais car nous avons fini par communiquer entre nous, mais ça nous oblige à parler fort. Cependant, nous sommes certains que personne ne nous comprend. Quant aux autres adolescents, ils ne sont pas nombreux à parler notre langue mais nous arrivons à nous faire comprendre, d'une manière ou d'une autre.

Ca pue dans cette pièce, ça sent la mort mais c'est la première fois que je marche sur de longs mètres sans être entravés depuis qu'on nous a jetés dans ce train, alors je ne me plains pas. On me fait asseoir sur un tabouret rembourré, vert bouteille et je constate qu'ils sont tous asiatiques, sauf l'un de mes gardes. Aucun ne parle ma langue mais tout le monde s'en fiche. J'ai beau baragouiner quelques mots d'anglais à force d'avoir crapahuté à travers l'Europe, personne ne me répond. On m'étire le bras et je ne sais pas pourquoi mais je ne me débats pas. Je crois que c'est ma curiosité ou peut-être ai-je simplement peur des représailles. J'ai bien vu que combattre l'inévitable est peine perdue. Ou bien peut-être que je veux savoir de quoi il retourne pour me trouver les bonnes armes. Ils me piquent le doigt et je tressaute. Mon sang est analysé à une vitesse incroyable et l'un des asiatiques hoche le menton.

Que je sois coopératif ou non, ça leur est égal. Une fois le signal d'approbation reçu, on m'attrape sous les bras et on me soulève pour me plaquer à une chaise longue molletonnée. Je saisis l'importance de leurs gestes et je sens que ma vie est en danger, alors cette fois, je m'agite. Mes jambes les bousculent mais j'ai mis trop de temps à réagir et ça leur a suffit pour me maintenir sur la chaise. Je commence à crier, même à les supplier mais ils m'attachent aux poignets fermement. L'un d'eux dégaine une énorme seringue, des comme j'en avais jamais vu et mes yeux sont captivés, ronds comme des billes. Je passe de la seringue au médecin avec un regard affolé. Mon coeur cesse de battre alors que je suis la trajectoire de l'aiguille, pourtant je le sens tambouriner dans mes veines, cogner dans ma poitrine. Cette fois, je me défends, j'essaye d'arracher mes liens, je me secoue dans tous les sens, mes poumons sont en feu à force de crier et de chercher de l'air. Une main plaque mon front et ils s'y mettent à deux pour retenir mon bras de bouger pendant que l'aiguille s'enfonce dans mes veines.

C'est la douleur la plus vive, la plus atroce et la plus insurmontable que j'ai jamais connue. Mon corps est pris de convulsions et je n'ai pour échappatoire que la voix. L'air finit par quitter totalement mes poumons et je me remets à pleurer comme un bébé en pensant à Irina. Je suis convaincu que c'est le sort qui m'attend mais que personne ne sera là pour mettre fin à mes supplices. Je pense à mon frère qui va subir la même chose. Survivra-t-il à la douleur ? J'espère que non, que ce cauchemar prendra fin pour lui, avant.

Je ne vois plus rien, que du noir, je ne sens plus rien non plus mais je suis toujours révulsé par la douleur. Ma peau est brûlante et j'ai une migraine atroce. Quelque chose se passe en moi mais je n'ai aucun moyen de savoir quoi. Je suis aveugle pendant des heures et quand ma vue revient, ils sont cinq au-dessus de moi à balayer un faisceau lumineux dans mes yeux. J'ai sombré pendant un temps alors, une fois réveillé et la lumière de retour, je recommence à me débattre. Ils me parlent mais je ne comprends pas un traître mot de ce qu'ils disent, pas plus qu'ils ne doivent saisir la signification de mes mots. Ils m'injectent un calmant et autant pour la douleur que pour mes nerfs, c'est un soulagement. Je m'apaise, peu à peu et parcourt la pièce du regard. Le cuir de la chaise dans mon dos grince, j'ai transpiré comme un boeuf et d'ailleurs, je sens toujours les perles de sueur sur mon front, je dois avoir un peu de fièvre en prime.

Mes mains sont noires. Mes bras aussi. Tout est noir, ma peau est presque invisible dans la faible lumière, tant elle est sombre. Cette drôle de nécrose me couvre des pieds à la tête. Même mes cheveux sont noirs de geai, mes yeux, mes ongles, ma langue. J'ai réinventé la définition du complet noir. Alors je panique, mais ça ne me libère pas et on me ramène à ma cellule pour me jeter aux pieds de mon frère, comme ils l'avaient fait pour Irina. Il est tellement choqué qu'il ne vient pas vers moi, il retourne se cacher sous le banc, sous la meurtrière. Je doute même qu'il me reconnaisse vu mon look. J'ouvre les yeux, incapable de bouger, drogué pour la douleur et je la vois.

L'autre fille du village, Magda, s'est baissée à ras du sol pour réussir à me voir, mais je ne la reconnais pas. Ils l'ont emmenée la veille et elle est rentrée quelques heures plus tard. "Rentrée". Comme si cette cellule était chez nous maintenant. Son visage est déformé, mais elle est toujours aussi belle. Elle a dû se défendre, elle a pris des coups, je ne décèle en elle que ses yeux qui ont changé de couleur et sa peau qui est plus foncée, mais elle est loin d'être aussi sombre que moi. Ses lèvres tremblent quand son regard croise enfin le mien et que je percute qui me fixe avec tant d'intensité. Elle tend le bras vers moi et agite les doigts pour essayer de m'atteindre à travers les barres de cuivre des fondations, s'écorchant la peau dans son entreprise, tout ça pour moi. Je ferme les yeux, fatigué, mais elle m'appelle et sa supplique me rappelle celle d'Irina. Je la regarde à nouveau et je tends le bras, à mon tour, pour joindre mes doigts aux siens. Elle me tire vers elle et cela me donne la force de bouger, de me hisser sur mes coudes pour arriver jusqu'à elle. Ses mains sont brûlantes. De plus près, je m'aperçois que ses cheveux ne sont plus bruns, ils sont roux, d'une couleur chaude. Elle m'embrasse la main et me demande si je vais bien.

"Je vais bien."

Mon premier mensonge et d'un coup, la douleur s'estompe. J'ai soupiré de soulagement en refermant les yeux.

Tout le temps que nous restons dans ces cellules, à chaque mensonge, ma peau redevient un peu plus normale. Quand je comprends enfin ça, je mens des heures durant jusqu'à me sentir bien et que cette impression d'étouffer me quitte. C'est ainsi que je garde la force de survivre. Magda me pose des centaines de questions, parfois stupides et je réponds en mentant à chacune d'entre elles. Mes yeux reprennent leur teinte verte, mes cheveux leur châtain. Elle rit parce que mes réponses sont aussi débiles que ses questions. Ca nous donne du courage et nous oublions notre cauchemar pendant quelques minutes.
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Bogdan Lupescu
Bogdan Lupescu

Padurea version courte Padure_12

Centre Russie
Février 2065


Les jours sont interminables jusqu'à ce qu'on fasse sortir des cellules pour nous amener dans des dortoirs en nous expliquant que désormais, nous vivrons ici, tous ensemble. Ne nous sommes franchement pas nombreux comparé à tout ceux que j'ai vus sortir du train ou que j'ai entendu. Je me demande où sont passés les autres pendant longtemps. Mais mon moyen de survivre, c'est d'obéir. C'est ce que je fais, pendant des mois et cela rend les choses bien plus faciles, quand bien même cela fait de moi un couard aux yeux de certains. Mais je n'oublierai jamais ce qu'ils ont fait à Irina.

Magda est à côté de moi, elle se tient debout et elle est prête. Des neuf enfants de notre village, il ne reste que quatre d'entre nous. Magda, mon frère cadet et Tibor, le petit blond au visage maigre. Il a bien changé, maintenant il est plus grand que moi, ses yeux se sont rétrécis en deux fentes, ce qui le rend aussi menaçant que mon frère. Ses traits sont comme taillés dans de la roche et je le sais très résistant. Tous les autres sont morts. L'aîné de notre groupe a été tué en essayant de s'évader, ce que, avec le recul, je me félicite de ne pas avoir tenté. Un autre s'est suicidé, je ne sais comment, un matin un de ses compagnons de cellule a juste hurlé en le découvrant. Quant à mon plus jeune frère... Alors que nous devenions des bêtes de course, des mutants assoiffés de vengeance, plus forts les uns que les autres, il est tombé malade. Une grippe violente l'a emporté en moins d'une semaine. J'ai supplié... Mais ils l'ont laissé mourir.

J'aime à penser que ce sont les plus forts d'entre nous qui ont survécu mais chaque fois que je me rappelle Irina, je me dis que je me leurre et j'essaye de ne pas me mentir à moi-même.

Nous avons tout prévu et notre plan repasse dans notre tête alors que nous fixons la porte de notre dortoir. Nous sommes ici depuis que la "Moisson" s'est achevée. 29 d'entre nous, tous réunis, ont survécu jusqu'ici. Parfois, nous avons un ou deux nouveaux qui arrivent mais cela fait deux ans qu'il ne se passe plus rien et nous avons appris à vivre ensemble comme on règle une pendule. Au réveil, nous nous levons, nous faisons notre lit et nous partons pour le petit déjeuner. Nous avons tous compris qu'il ne sert à rien de se battre et la majorité s'en est même rudement bien accommodée. Nourri, logé, blanchi, renforcé par des dons surnaturels... Ca a de quoi séduire, je le reconnais.

Tibor et un autre garçon sont devant nous, ce sont les aînés maintenant. Nous nous tenons en rangs par deux en attendant le signal des portes qui nous autorisent à sortir. Mon frère est un peu plus loin derrière et je regarde par dessus mon épaule pour m'assurer qu'il est toujours d'accord avec le plan. Il hoche la tête pour confirmer et je prends un coup dans le dos qui me force à me redresser dans le rang. J'assassine du regard la fille au visage rond derrière moi mais elle plisse les paupières pour bien me faire comprendre qu'elle ne m'aime pas et qu'elle n'hésitera pas à me dénoncer si je ne reste pas tranquille.

Tous n'ont pas notre désir de survie et d'évasion. Magda me lance un regard pour m'inciter à ne pas répondre. Elle m'a vu changer au fil du temps, elle sait que je ne suis plus le jeune garçon terrifié dans le coin de sa cellule. Le temps de l'observation est terminé. Elle sait que je n'hésiterai pas à faire ce qui est nécessaire pour sortir d'ici, à présent. Si j'ose le penser, elle est encore plus belle qu'avant. Ses cheveux ont viré en une teinte cuivrée aux reflets d'or et sa peau est couleur caramel. Ses yeux sont d'un bleu si pâle et brillant à la fois qu'on dirait qu'ils sont entièrement blancs. C'est une pyromane. Une vraie, rien à voir avec nos numéros de cirque de la compagnie. Je lui offre un léger sourire et mes yeux se reportent sur la sortie jusqu'à ce qu'on nous autorise à aller manger, faire nos corvées, et poursuivre nos entraînements.

C'est notre routine. Le matin, nous nous réveillons pour apprendre à nous battre. Ils nous forment au combat pendant des heures durant, enrageant la majorité d'entre nous. Je fais partie des plus calmes et des plus dociles, malgré tout, je rends coup sur coup. Nous nous battons entre nous, parfois dans des conditions extrêmes. Neige, pluie, tempête, canicule, en hauteur, sous pression… Ils brident nos dons pour que nous apprenions les arts du combat sans eux si un jour ceux-ci venaient à disparaître. De quoi en angoisser plus d'un. L'après-midi, ils aident nos pouvoirs à se développer, nous apprennent à les utiliser. Ils en font sortir ce qu'il y a de plus virulent, du moins pour les actifs. Pour les dons passifs comme le mien, c'est différent, il nous faut plus de stratégie pour nous défendre face aux monstres de foire en face de nous. Une partie est douée au combat, l'autre à la stratégie et la logique et nous unissons nos forces pour réussir chaque défi qu'ils nous lancent. Notre esprit d'équipe nous joue parfois des tours lorsqu'ils en prennent un pour punir l'autre. Chaque fois que nous leur demande à quoi tout ça va nous servir, ils nous répondent de rester en rang et de nous taire. Certains n'ont pas la force de survivre. Pourtant, à présent plus forts que jamais, nous sommes prêts à réclamer notre liberté.

Nous sommes douze. Les Douze Dégénérés. Pendant cinq années, ils m'écoutent leur raconter des histoires et me posent plein de questions. Est-ce que c'est vrai ? Où as-tu trouvé ça ? Et chaque nouvelle invention soulage ma peine comme un mensonge, me rendant plus fort et m'aidant à mieux respirer, jusqu'à ce qu'il ne reste des taches noires sur ma peau que de sombres grains de beauté. Mon frère m'a surnommé "La Iele". Chez nous, c'est une créature fantastique, issue de notre mythologie populaire. D'anciennes jeunes filles, des plus pures, qui ont été noyées ou assassinées. Elles apparaissent plus souvent la nuit et on dit qu'elles maudissent les lieux. Pour ma part, je les vois plus comme des nymphes. Elles chantent pour conter des histoires ou réciter des poèmes. J'aime le côté romantique de la créature, et mon frère aime se moquer parce que j'ai un don passif alors que celui de Magda, qui est une fille, est destructif. Mais ils sont nombreux la nuit à me retrouver sur mon lit pour un nouveau conte fantasmagorique. J'aime y mettre les formes, leur faire peur, les faire rire aussi. Avec eux, je me sens un peu plus chez moi, je retrouve mes habitudes de farceur à laisser couler mon imagination, comme l'eau entre mes doigts.

Nous sommes prêts, mais nous devons rester vigilants car les autres peuvent encore avoir des soupçons et nous dénoncer. Il nous faut nous méfier d'eux. C'est la dernière journée dont nous avons besoin pour nous organiser. Cette nuit : nous fuyons. Je suis en première ligne. Je suis celui qui sème tous les mensonges pour induire nos gardiens en erreur. Je leur donne de fausses alertes qui permettent à d'autres d'aller récupérer des outils pour dévisser jour après jour une fenêtre du dortoir, puis ses barreaux. Ce que nous réussissons au bout de deux mois. C'est une journée sortie pour entraînements dans la neige. Que je méprise du plus profond de mon âme, mais pas autant que Magda qui supporte très mal les basses températures et tout ce qui s'apparente à de l'eau.

Pendant des mois, ils nous ont entraînés comme des militaires, ils nous ont forcés à la discipline, nous ont appris à nous battre. Parce que nous obéissons comme de bons petits soldats, ils ont lâché un peu prise les derniers temps, ce qui nous permet de nous enfuir plus facilement. C'est notre première sortie à l'air libre depuis qu'il a cessé de neiger mais nous avons d'autres plans. Nous nous rendons malades, tous les douze, sous la seule surveillance d'une infirmière qui ne parle pas un mot d'anglais. Nous avons tous appris à parler cette langue, ainsi que le chinois et le russe. Nous préférons éviter ces deux dernières car ce sont les plus parlées dans le camp. Car nous vivons dans un camp, oui. En béton armé, mais un camp.

Malades et contagieux. C'est ce que je leur fais croire au fil des jours où je mens sur des détails, créant des symptômes que nos gardes seront les seuls à voir. Nous attendons patiemment que l'infirmière finisse son tour pour nous lever et faire des noeuds avec nos draps. La fenêtre est un peu haute et certains ont déjà le vertige, rien qu'à l'idée. Mon frère passe le premier et on l'intime de se dépêcher avant que l'infirmière ne revienne. Mais nous sommes fatigués. Nous nous sommes réellement rendus malades et même si c'est loin d'être aussi grave que je leur ai fait croire, ça nous ralentit. Je suis censé passer en dernier, pour mentir à l'infirmière au cas où. Je crois que je lui ai tapé dans l'oeil, en plus, c'est la personne à qui c'est bien le plus facile de mentir. Il me suffit de lui sourire et elle est mienne. Au dernier moment, Magda me dit d'y aller avant elle.



Je fronce les sourcils et je la force à passer devant, mais elle insiste. Je ne sais pas pourquoi son seul but est de me protéger. Ou bien d'insulter ce dont je suis capable. Parfois, quand je la regarde, il y a un peu d'Irina et de cette folie qui l'anime par la destruction et la rage. Ca me désole et je finis, excédé par ce comportement, par passer devant. Je descends aussi vite que je peux et je l'attends en bas, les yeux rivés sur elle. Et puis, je comprends pourquoi elle voulait passer en dernier.

Il fait un froid à congeler des pingouins, pourtant l'air est bien plus doux que ces derniers jours. Elle met un temps infini à se décider et je lis sur son visage le doute. Elle tire les manches de sa chemise pour se couvrir les mains et attrape la chaîne de draps pour se hisser. Elle descend lentement. Beaucoup trop lentement. Le drap s'embrase peu à peu et je me demande si c'est dû à la peur de la fuite ou au froid qui l'agresse. Sûrement les deux. D'abord, ce n'est qu'une petite mèche. Et puis bientôt, les flammes montent jusqu'en haut, menaçant de rompre les liens et de la faire tomber d'une dizaine de mètres. Nous ne pouvons pas l'encourager, ni crier son nom pour l'inciter à se dépêcher. Elle est seule là-haut et nous sommes impuissants, au sol. Soudain, elle se laisse glisser, un cri de surprise s'échappe de ses lèvres et les draps prennent totalement feu.

Elle a forcément alerté l'infirmière qui n'est que dans la pièce à côté. Mon frère et moi la rattrapons de justesse, mais sa peau nous brûle alors nous la laissons tomber dans la neige et un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres avant qu'un rire, s'évadant de sa gorge, ne nous surprenne. La nuit commence déjà à tomber et les autres ne vont plus tarder à revenir, il est temps pour nous de partir. Nous aidons Magda à se relever et courons dans la neige qui nous fait oublier que nous avons un rhume carabiné.

L'un de nous est très rapide, l'autre crame n'importe quel obstacle, un qui ment pour faciliter les passages, un qui se transforme en de petits animaux, un résistant au froid, un illusionniste, un homme invisible, un avec des lames à la place des ongles... Nous avions fait le plus dur, maintenant, il nous suffisait de nous enfuir. Je mens aux gardes de la sécurité alors qu'ils pensent parler à un officier supérieur... Dans un gros camion... Chargé de mes Douze Dégénérés. Quand l'infirmière sonne l'alerte, notre illusionniste commence à avoir des difficultés à maintenir son propre mensonge et ma douce aimée m'empêche d'alimenter le mien à force de crier dans la radio. Magda s'énerve et embrase les gardes.

Ils hurlent en agitant les bras enflammés dans l'air et courent partout dans la neige mais le feu ne se dissipe pas, Magda l'entretient. Ce n'est pas prévu dans le plan mais nous fuyons pour de vrai, cette fois. Il se remet à neiger et certains restent en retrait pour achever les gardes avant qu'une nouvelle salve ne nous pourchasse.

Seuls onze d'entre nous ont réussi à s'enfuir. Je pense que le douzième s'est suicidé avant d'être torturé pour le forcer à révéler notre plan et notre destination. Sauf que nous n'en avons pas. A partir de maintenant, le but est de nous séparer pour ne jamais nous retrouver. Vivre notre vie pour protéger celle des autres. Je leur dis au revoir à tous, on se fait promettre de ne jamais se laisser attraper. Quant à moi, je pars avec mon frère et Magda. Nous sommes devenus inséparables. Tibor a hâte de voler de ses propres ailes et il veut rentrer chez nous. Quoiqu'il y reste, nous autres sommes convaincus qu'il n'y a plus rien pour nous trois. De plus, nous ne voulons pas mettre nos familles en danger, si jamais ils tentaient de nous retrouver. Chacun notre tour, nous lui disons au-revoir, mais une part de nous espère le retrouver, en paix.

Avant de nous mettre en route, nous faisons le nécessaire pour extraire nos puces de nos poignets. Mon frère est le seul dont le pouvoir ne s'est toujours pas manifesté, malgré les multiples tentatives du MSS. Il a souffert et son caractère en est diminué, il n'est plus si tire au flanc et s'est assagi avec l'âge ce qui, en soit, n'est pas une mauvaise chose. Le MSS a une technique très subtile pour révéler des pouvoirs ou pour les faire fonctionner : la torture. J'ai eu beau tenir le choc, quand ils ont compris de quoi j'étais capable, ils ont testé mes limites. Ils m'ont forcé à dire la vérité pendant des jours. Chaque fois qu'il se passait quelque chose dans les rangs et que j'étais susceptible de connaître le fautif ou le rebelle, ils m'attachaient et m'injectaient un sérum de vérité. J'en ai balancé des compagnons, de cette manière… Jamais l'expression "Il n'y a que la vérité qui blesse" n'aura pris une telle dimension grâce à moi.

Libérés, nous passons par les montagnes, restant loin des routes en espérant qu'aucun des autres Dégénérés n'a eu la même idée que nous de rester le plus près des camps du MSS.

La nuit, quand tous les deux dorment et qu'on entend les ronflements de mon frère résonner dans la grotte, je me demande s'il y a d'autres évadés des camps du MSS et où ils sont. Je tourne la tête pour voir Magda dormir contre moi. Elle nous tient chaud à tous les deux mais elle me réchauffe d'autant plus. Elle a changé, elle aussi. Elle est plus maussade, plus sarcastique. Elle est vive et je lis parfois de la rage dans ses yeux. Les miens sont emplis de colère mais elle est animée par un feu sacré qui agite un voile obscur devant elle et la désoriente de son véritable but. J'ai beau l'aimer, quelque chose, doucement, m'éloigne d'elle. Le fait que nous nous disputons de plus en plus est sûrement un signe, mais je préfère l'ignorer. Magda et mon frère sont tout ce qu'il reste de moi et de ma vie, je ne suis pas prêt à les abandonner, ni eux, ni leurs souvenirs.

Nous traversons la Mongolie durant des mois. Ici, tout est si calme, si pur… Nous sommes soulagés d'avoir quitté la Russie, mais nous ne comprenons plus aucun panneau. Nous naviguons longtemps avec une famille nomade qui nous rappelle la nôtre. Mais Magda s'ennuie. Très vite. Elle veut agir, elle veut faire quelque chose. Elle veut détruire le MSS et mon frère a des cicatrices sur tout le corps qui nourrissent le même désir de vengeance. C'est une erreur, je le sais… Mais je ne peux pas vivre sans eux. Alors je les suis.
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Bogdan Lupescu
Bogdan Lupescu

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Tibet, Chine
Septembre 2071


Il nous faut plus d'un an pour atteindre le Tibet et à dire vrai, nous sommes même arrivés en Chine sans trop savoir comment. Mais nous y restons, jamais ils ne viendraient nous chercher ici.

Nous savions qu'une des antennes les plus importantes du MSS était cachée dans les montagnes du Tibet. Je traîne les pieds mais Magda et mon frère semblent avoir retrouvé la vie. Ils ont maigri, tous les deux. Elle, n'a plus que la peau sur les os et lui m'inquiète. On dirait qu'il est plus vieux que moi et j'ai parfois l'impression de trahir la promesse faite à Irina de prendre soin de chacun d'eux, quoi qu'il arrive. J'ai échoué pour la moitié et ce qu'il en reste est en train d'escalader une pente ardue devant moi. Si je ne mentais pas à tour de bras, ils sauraient probablement le véritable fond de ma pensée. Mais quelque chose me dit que même avec ça, ils n'en feraient tout de même qu'à leurs têtes.

Mon frère s'avère être un foutu radar. Il peut sentir une présence à des kilomètres et nous réalisons que c'est sûrement grâce à ça que nous avons échappé au pire pendant notre fuite, il nous a gardés hors des foules. C'est aussi comme ça qu'il perçoit la présence du MSS dans un ridicule monastère, perché à flanc de montagne. Il sait que c'est eux, il reconnaît leur odeur. Nous restons à distance deux jours afin de voir un peu comment ils fonctionnent, mais il ne se passe pas grand chose. J'en viens à demander à mon frère s'il est sûr de lui et il me répond que oui. Jusqu'à ce qu'un camion, semblable à celui qui nous avait conduit à notre prison, freine devant la grosse double porte en bois massif. A l'intérieur, mon frère y perçoit des Candidats et nous décidons d'agir. Pour une fois, je suis même le premier à me lever et à attendre que les gardes aient fini leur fouille pour ramper sous le camion et m'accrocher aux essieux, suivi par Magda. Mon frère prend un autre chemin. Il est agile et il peut sentir des présences humaines à des kilomètres. Il est nos yeux et nos oreilles.

A peine avons-nous fait quelques mètres que Magda sent une forte odeur de pétrole. Je crois que son pouvoir l'aide à naturellement trouver les ressources nécessaires à son expression endiablée. Mais elle perçoit autre chose, qui la dérange, cette fois, mais elle suppose que cela vient de la neige alentour, éternelle à cette altitude qui nous donne mal à la tête. Le camion s'immobilise et je la regarde. Elle m'observe une seconde et je vois ses bras trembler sous l'effort. Elle fatigue. Je lui fais signe de tenir bon alors que je vois des pieds toucher le sol. Je me demande où est la deuxième paire de bottes qui devrait normalement accompagner le premier homme. Il marche lentement vers le bout du camion et Magda grimace, je ne sais pourquoi. N'y tenant plus, elle se laisse retomber au sol et je prie pour que le camion ne bouge plus. Elle soupire en fermant les yeux et se frotte les mains pour les soulager. Finalement, je l'imite et me rapproche d'elle pour éviter que l'on nous voie. Quand je suis sûr que l'homme est de dos, je m'empresse de nous faire sortir de l'autre côté alors que j'en entends un autre arriver, parlant chinois.

Il demande ce qui a pris si longtemps pour arriver, qu'ils les attendent depuis la veille, déjà. Nous nous cachons derrière les débris d'une vielle carcasse de maison à côté de laquelle le camion s'est garé. Recroquevillés sur nous-mêmes, je garde Magda contre moi et seuls nos yeux dépassent ce qu'il reste du pilonne en bois armé qui soutenait jadis les fondations. Nous haussons les sourcils en constatant que le conducteur du camion est caucasien. Nous n'en avons plus vu depuis des mois ! Mais si c'est un agent du MSS, comme son uniforme l'indique, ça ne nous étonne que quelques secondes avant d'attiser notre curiosité de savoir ce qui amène un collabo jusqu'ici. Le camion est calme et avec Magda, nous trouvons ça étrange.

C'est là que je la vois. Je tapote l'épaule de Magda pour désigner le dessous du camion d'où nous venons. Ils sont un… Puis deux… D'abord une fille dont je perçois les immenses yeux bleus de là où je me tiens. Avec ses longs cheveux bruns dans le vent, elle ressemble un peu à Magda, quand elle était encore Négative. Puis deux hommes. Ils portent tous les trois des sacs à dos mais il m'est impossible d'en deviner le contenu alors qu'ils les envoient sur leur dos et qu'ils se faufilent plus discrètement encore que Magda et moi. Le Chinois du monastère est de dos et il ne les voit pas se déployer, pendant qu'il appelle du renfort pour décharger le camion. Je cherche mon frère des yeux mais je ne le trouve nulle part et ça commence à m'inquiéter. Sentait-il les Candidats dans le camion ? Ou percevait-il quelqu'un d'autre ?

Au bout d'un temps, l'agent du MSS siffle et tous mes sens sont en alerte. Le silence fait loi sur le monastère et seul le vent parvient à nos oreilles. Le son résonne à travers les montagnes et Magda et moi levons les yeux au ciel. Un autre sifflement, plus lointain, répond. Quelque chose vibre dans mes tripes. Un pressentiment. Nous ne comprenons rien à ce qui est en train de se passer alors qu'un troisième sifflement s'élève. Le Chinois braille quelque chose dans un dialecte que j'ai du mal à comprendre et il commence à poser des questions à l'agent du MSS. Je regarde autour de moi. Il n'y a plus un seul moine dans ce monastère depuis des lustres, ce sont des ruines. Certains toits sont percés et les fanions déchirés. Nous sommes nous-mêmes cachés derrière ce qu'il reste d'une cabane construite en briques et le muret en dents de scie ne dépasse pas un mètre cinquante de haut. Mon frère ne nous a pas conduit à une base du MSS. Mais alors, où sommes-nous ?

Quelqu'un hurle en nous montrant du doigt et je sursaute. Nous ne sommes plus à couvert depuis que d'autres officiers sont arrivés. L'agent du MSS sursaute à son tour et se tourne pour nous voir. J'ai le temps de voir ses yeux s'arrondir. De toute évidence, il ne nous attendait pas. Je percute une seconde qu'il ne doit pas être plus âgé que moi et j'ai eu 26 ans quelques semaines plus tôt. A nouveau, ça me fait tout drôle. Je me sens vieux à le regarder et je me demande s'il pense la même chose pendant qu'il me dévisage aussi. Son attention se reporte sur Magda qui s'est levée et qui a ouvert les bras. Ses cheveux s'embrasent, je ne l'avais jamais vue comme ça et elle me donne froid dans le dos. Mais contrairement à elle, je ne possède que mon entraînement pour défense. Elle s'énerve et hurle avant de jeter des boules de feu sur des arbrisseaux dégarnis à côté des officiers du MSS.

Je n'ai pas d'autre choix que de me baisser et de me protéger derrière le muret alors qu'elle vise le camion, cette fois. C'est une planque du MSS et elle a décidé de tout brûler. Elle se sait puissante, elle est la meilleure d'entre nous. Les autres ne l'intéressent pas, elle sait que mon frère est à l'abris et elle me protègera des flammes. Elle le fait toujours. Mais alors l'agent du MSS lui hurle quelque chose et au lieu de se mettre à courir pour s'éloigner du camion, il se dirige vers nous, les bras tendus vers Magda.

J'entends la montagne gronder et je perçois comme une avalanche. Des gouttes d'eau me tombent sur la nuque et me glacent le sang. L'eau est gelée. En flammes, un des agents se jette de la falaise et son cri retentit entre les rochers. Le camion n'explose toujours pas sous la force de Magda et quand je me tourne, c'est pour voir son corps atterrir dans de la neige boueuse. Mon cœur se soulève. Ses cheveux blonds sont trempés et son corps est pris de soubresauts, elle a des marques de brûlures sur le visage et ses yeux sont blancs comme jamais. Je relève la tête pour voir l'agent du MSS s'approcher. Je suis alors à nouveau dans ce train à destination de la Russie. Je n'ai pas quatre enfants à protéger, mais une femme qui est tout ce qu'il me reste à cet instant précis. Alors, je rugis et je m'élance vers lui sans me demander pourquoi il n'a pas encore sorti son arme pour me liquider. Il en a pourtant le temps.

Malgré ma force, il ne recule pas. En revanche, il m'arrête en tenant mes épaules entre ses mains. Son genou s'engouffre dans ma poitrine et j'en ai le souffle coupé. Il est rapide et agile, je ne possède qu'une seule de ces qualités. J'attrape son poignet et lui tord pour le faire chavirer avec un coup de pied dans la cheville. Encore une fois, il est beaucoup plus agile. J'ignore où il a été entraîné, mais alors que j'étais plutôt bon au camp, je m'aperçois que je n'étais rien. Il manque de me mettre KO à plusieurs reprises, mais ma rapidité me sauve à chaque fois. Quand je comprends son fonctionnement, je me redresse et je pare chacune de ses attaques. Je me baisse de justesse, je dévie ses poings, je déséquilibre ses forces… Finalement, je me défends bien mieux que je n'attaque. Pour lui, c'est l'inverse, et nous ne sommes pas à forces égales.



Je n'entends pas les cris qui proviennent d'un peu plus loin mais ça suffit à perturber l'agent qui tourne la tête, visiblement inquiété. C'est sa seule erreur et cela m'offre une ouverture. J'attrape l'arme à sa ceinture et d'un même geste, je me redresse pour l'abattre sur son visage. Je le force à se tourner de plusieurs degrés. Je le maintiens par les épaules, son dos contre mon torse et le canon sur sa tempe. Je lui hurle en Chinois de ne pas bouger, sinon je le tue. Il hésite, ce qui m'intrigue. Je n'ai pas du tout la tête d'un Chinois. Les choses se passent trop vite et je suis aveuglé par ma colère. On m'appelle et je me retourne avec l'agent. Un projectile atteint ce dernier à la poitrine, près de l'épaule et il tressaute sous l'impact. Mes yeux s'écarquillent et il me faut deux bonnes secondes pour réaliser que la balle n'a pas traversé pour me toucher également. A ça non plus il ne s'attendait pas, mais ça suffit à nous déstabiliser et nous tombons en arrière. Il a beau être de ma corpulence, il est nettement plus lourd et m'écrase les poumons.

Partout, on crie, on hurle, on s'agite. Des coups de feu fusent dans tous les sens. Je vois des officiers du MSS tirer sur des cibles invisibles. Bientôt, je finis par comprendre qu'ils tirent sur ceux qu'on a vu descendre du camion. Et probablement mon frère. Je demande à l'agent s'il est du MSS. Il hésite une seconde, qui me paraissent une éternité, puis secoue la tête. Des perles de sueur naissent sur son front et il lutte contre la douleur de toutes ses forces. Je lui demande ce qu'il fait là, alors et il me montre le camion avant de m'apprendre qu'il est bourré d'explosifs dissimulés dans des fonds de caisses de vivres, et que d'autres charges ont été posées dans le monastère. Notre embardée a réveillé tout le MSS. Quelqu'un a sûrement reconnu Magda et je commence à penser que notre histoire s'arrête ici, que je vais mourir ici. Un hélicoptère bat des hélices et le vent s'engouffre dans le monastère. Il y en a deux, même. Je n'entends plus les cris de bataille, couverts par les aéronefs mais je vois les autres se mettre à courir en dévalant les marches pour nous rejoindre. Ils ont l'armée aux fesses et au bruit de pas de course qui se rapprochent, je me dis que nous aussi.

Malgré la balle et qui le déchire de douleur à chaque mouvement, je suis admiratif devant la force de volonté de cet homme. Il se redresse et récupère son arme pour tirer sur les officiers avant qu'ils ne le fassent. Je m'oppose à un autre et nous nous battons tous les deux comme si c'était notre dernière chance. Il balaye plusieurs officiers d'une avalanche qui explose en un torrent d'eau. Et moi qui pensais Magda surpuissante. Ses bras et ses jambes sont comme des troncs d'arbre et il pulvérise chaque officier du MSS dans son champ de vision. L'un d'eux menace de me tirer une balle dans la tête mais Magda lui brûle les doigts. Je me retourne et lui décoche un uppercut qui le met KO immédiatement avant même qu'il ne touche le sol.

Et puis les hélicoptères se mettent à tirer eux aussi. Sur les autres, puis sur nous. S'ils touchent le camion, nous sommes tous morts. Le cri de douleur de Magda me terrifie et je la vois s'effondrer, ses jambes s'imbibant de son sang. Mon frère s'est élevé sur un muret et agite les bras pour attirer l'attention. Je hurle en voyant l'appareil le viser, mais il réussit à se laisser tomber pour se mettre à couvert avant que les balles ne l'atteignent. Un type se redresse à sa place et quelque chose émane de ses mains. C'est invisible ou presque mais ça ondule. Une onde de choc va percuter l'appareil pour le faire chavirer et j'en reste pantois. Néanmoins, les appareils sont bien trop bas, ils sont un danger pour nous comme pour eux mêmes. L'hélicoptère menace de s'écraser trop près du camion et une nouvelle onde de choc le fait dévier pour qu'il percute le flan de montagne. Le souffle de l'explosion du réservoir nous ébranle et je me laisse tomber sur Magda pour la protéger.

L'autre hélicoptère s'éloigne et nous pensons avoir gagné. Il nous faut nous enfuir avant que la cavalerie de secours ne débarque. L'imposteur du MSS tente de me redresser pour m'emmener avec lui, profitant que le silence soit retombé sur le monastère. Celui-ci s'est embrasé de part en part. Soit à cause de Magda, soit avec les débris de l'hélicoptère. J'ai tellement peur que ce soit encore un de ces gars qui viennent me chercher que ma seule réponse est un coup de coude dans son nez et je suis à nouveau prêt à me battre. Il en retombe au sol, les mains sur son visage et il grogne de douleur. A bout de souffle, les yeux rouges de colère, les poings levés, je lui ordonne de se relever pour se défendre. Il est blessé et j'ai une chance de gagner. Au lieu de ça, il proteste d'un violent coup de pied dans le sol et il me hurle qu'il faut partir. Il est agacé mais surtout enragé. Il est dans cette situation à cause de moi parce que je n'ai pas été assez prudent. Il a pris une balle qui m'était destinée et je continuais de le frapper. Pourtant, sa rage n'est pas dirigée contre moi. Plus tard, il dira que mon pouvoir c'est de mentir, mais que mes yeux disent toujours la vérité. Si c'est vrai alors il le comprend à cet instant pour la première fois, c'est pour cette raison qu'il ne riposte pas.

J'entends l'hélicoptère qui revient et mes yeux scrutent le ciel mais je ne vois toujours rien. Lui non plus. Je me tourne vers Magda. Sa peau est anormalement rouge. Elle est brulante, je sens sa chaleur émaner d'elle. Ses cheveux sont d'un blond éclatant. Si jusque là nous pouvions encore lui donner des origines insulaires, cette fois, il est clair qu'elle n'est pas humaine. J'observe son corps et je me rends compte que nous ne pourrons jamais sauver ses jambes. Une rafle de balles a mitraillé ses genoux et elle tousse à cause de sa propre chaleur qui la brûle de l'intérieur. Elle a du mal à respirer et sa poitrine se secoue de soubresauts irréguliers. J'ignore si c'est l'attaque de l'imposteur du MSS qui l'a tant affaiblie ou bien les balles. Sûrement un cumul des deux. Magda n'ira plus nulle part et je comprends que je vais devoir la laisser ici si je veux retrouver mon frère et échapper au MSS.

« Ne vous laissez pas prendre, compris ? » La voix de Tibor résonne dans mon esprit comme un avertissement. Pourtant, cette idée me révulse et je me penche sur elle en la soulevant dans mes bras, sa tête reposant contre mon épaule. Elle pleure, mais ses larmes s'évaporent au contact de sa peau. Elle est toujours aussi belle et je regrette que mes parents ne soient pas là pour constater qu'ils avaient raison, nous étions faits pour être ensemble et nous nous sommes mutuellement protégés au cours des dix dernières années. Nous avons vaincu ensemble alors qu'elle m'était toujours apparue comme une fille banale, la perfection à l'état pur.

« Merci », me dit elle et je lui demande pour quoi, bien que je sache que la réponse va lui coûter la vie tant elle puise dans ses dernières forces. Elle porte sa main à mon visage et me caresse la joue. Tout de suite, les larmes montent. Je sais qu'elles sont noirâtres, comme diluées dans de la peinture noire. Elle dessine quelque chose sur ma joue, de son index et je devine qu'elle suit une constellation de petites taches sombres qui s'animent lorsque je mens. Dans un souffle, elle me répond.

« Tout ce temps, j'ai vécu dans l'ombre d'un fantôme, mais je te remercie de m'avoir fait croire que tu m'aimais. »

L'imposteur s'impatiente dans mon dos. Je fronce les sourcils et serre Magda un peu plus contre moi en lui demandant de quoi elle parle, mais elle n'arrive pas à me répondre, sa respiration est saccadée. C'est le seul instant où je ne pense pas à Irina, alors que je la vois partout, tout le temps. Sa main dans la mienne, je l'embrasse comme jamais. Sa chaleur me gagne et bientôt, elle me repousse. Elle demande à l'imposteur de m'emmener. L'hélicoptère se rapproche et gronde au loin. Il ne revient pas seul. Malgré sa blessure, l'imposteur me tire brutalement sous les bras et je me mets à hurler de panique à l'idée d'être séparé de Magda. Je ressens alors la panique qui animait Irina lorsqu'on l'a arrachée à moi dans notre cellule en Russie. Je me débats et d'autres mains m'emprisonnent pour me tirer en arrière. Mes talons raclent le sol et quand je réussis à me défaire de l'emprise, Magda dresse une barrière de feu entre elle et moi.

Nous sommes quatre à courir pour sortir du monastère. Mon frère nous attend devant la grande porte qu'il a faite ouvrir pour nous. Je me retourne mais je ne distingue pas Magda, quelque part à couvert derrière des débris. Nous nous recroquevillons légèrement sur nous-mêmes alors que de nouveaux hélicoptères arrivent. Des jours que nous arpentons ces montagnes et nous n'avons aucune idée d'où ils peuvent provenir, mais c'est suffisant pour nous indiquer qu'il y a une base pas loin. Qui sait… Sous nos pieds. Alors que les appareils s'approchent dangereusement du camion, la fille aux yeux bleus sort des détonateurs de sa poche et appuie sur chaque bouton pour faire exploser les bombes qu'ils avaient posées plus tôt à travers le monastère. Les sifflements visaient à confirmer la pose. Deux détonations font trembler le sol mais il en manque une, je le sais, j'ai entendu trois sifflements. Quatre avec l'imposteur. Je ne sais pas pourquoi nous restons là, immobiles au lieu de nous enfuir. Il faut croire que nous savons tous ce qui va se passer et que nous voulons tous être témoins du spectacle.

L'hélicoptère arrive et au moment où il survole le camion, j'entends le cri déchirant de Magda. Une colonne de feu soulève le véhicule, qui va embrasser l'appareil dans les airs. En voulant l'éviter, un deuxième hélicoptère va percuter le flan de montagne. Quelque chose explose et nous valsons en arrière sous l'onde de choc avant de heurter le sol. Quelque part, je suis réconforté par l'idée que Magda ne soit pas la seule à se sacrifier. Toujours est-il que cela nous donne suffisamment d'avance pour échapper aux troupes armées.

Nous nous replions dans une petite grotte après que mon frère se soit assuré de sa tranquillité intérieure. Une tempête se lève, nous sommes tous blessés, affamés et épuisés. Peu importent les risques, nous devons nous reposer. Mon frère monte la garde à l'entrée, emmitouflé dans une couverture que la fille lui a donnée, issue de son sac à dos. Nous sommes là, à périr de nos blessures après avoir fait sauter un camion de vivres et nous avons faim… Elle retire délicatement la balle de la poitrine de l'imposteur et je vois bien que malgré son immunité à la douleur, il menace de tourner de l'œil. Leurs regards se croisent et je comprends qu'ils sont proches. Elle caresse son front d'une main et il ferme les yeux un instant, la laissant recoudre la plaie. Il me dit qu'il est désolé pour Magda et je secoue la tête. Je lui fais alors mes excuses pour la balle… Et il secoue la tête.

J'ai rarement eu autant de respect pour quelqu'un que je n'en ai pour lui à cet instant. Il m'avoue être un ancien agent du MSS, élevé depuis l'enfance dans des camps comme le mien, avec sa sœur, entraîné comme une machine de guerre jusqu'à ce qu'il trouve la force de s'y opposer. Cela fait peu de temps qu'ils se sont évadés et ils cherchent à sortir du pays. S'ils peuvent faire du bruit au passage, c'est encore mieux. Je souris car c'est exactement ce que Magda disait. Je leur dis que je connais un moyen de quitter le pays, mais qu'on doit se reposer avant et il acquiesce. Nous n'avons pas vraiment le choix, de toute façon.

Une nuit que je viens relever la garde de mon frère, il m'avoue vouloir rentrer à la maison, retrouver nos parents, laisser tout ça derrière nous. Il ne veut plus se battre, il veut vivre, il veut regagner notre foyer, danser dans nos cirques, jouer avec nos chiens, faire la course à dos de vache avec notre sœur… Je le comprends mais je lui rappelle que c'est là-bas qu'on ira nous chercher en premier. A son tour, il me rappelle que c'est là-bas que Tibor a foncé en sortant de notre prison. Ca suffit à me convaincre. Moi aussi, j'ai envie de rentrer. Je le serre contre moi et nous attendons que le soleil vienne réchauffer nos visages.
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Bogdan Lupescu
Bogdan Lupescu

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Sud ouest de la Roumanie,
Décembre 2071


Je suis l'enfant prodigue de retour à la maison, mais Tibor n'est pas là. Il n'est même jamais rentré. Mon frère et moi sommes les joyaux de notre village. Celui-ci a bien changé depuis. Ce ne sont plus des familles qui vivent ici mais un clan. Les roues des chariots sont enfoncées dans la terre et des fleurs ont fleuri çà et là. Je découvre qu'ils n'ont plus jamais fait de tournée en Europe depuis que nous avons été enlevés. Mon père a été emporté par le chagrin quelques mois après notre enlèvement. J'ai changé et ma mère me reconnaît à peine, mais elle ne remarque pas que des taches noires de rousseur dansent sur mon nez alors que je la serre contre moi.

C'est à moi qu'il revient d'annoncer la mort d'Irina, de Magda et de tous les autres. Je dis qu'ils n'ont pas souffert et c'est le premier mensonge que je fais aux miens. Ma mère a pris la tête du village. Elle est bien en chair, maintenant, et elle conserve des cicatrices de la nuit où on l'a battue pour essayer de me protéger. Il n'y a plus beaucoup d'enfants par ici… Je leur présente nos amis. Harald a bien guéri de sa blessure à la poitrine, ce qui est un miracle. Je leur invente une histoire qui n'inclut pas le MSS ni des pouvoirs magiques. A l'exposition de mon plan de retour à la maison, Harald m'a bien fait comprendre qu'il était contre, qu'il ne voulait pas que ça se sache, que nous étions en fuite et que nous n'avions pas le droit de mettre nos familles en péril, que nous avions une mission, même. On aurait cru entendre Magda… Il a fini par accepter quand je lui ai fait remarquer que nous serions plus forts tous ensemble et que de toute façon, il ne s'agissait pas de sa famille à lui et que s'il voulait repartir, je ne l'empêchais pas.

Solveig, sa sœur, est bien plus docile. Elle gambade déjà avec ma mère à la recherche des lucioles près du lac. Elle sait comme moi que nous ne sommes pas pour rester longtemps, juste de quoi reprendre des forces et établir un véritable plan d'attaque, alors elle en profite, chaque seconde qui passe, elle rit et s'émerveille des couleurs et de la paix qui émane de l'endroit. Elle jardine, porte les fleurs à ses narines, danse et chaque jour qui passe, je me demande si elle est vraiment la sœur de Harald, tant ils sont différents. Il est froid, calculateur et silencieux. Elle est tout aussi déterminée, mais n'en demeure pas moins vivante. J'inspire profondément en l'observant car je me rends compte à quel point c'est rassurant et que cela me soulage de voir quelqu'un d'heureux. Je sais bien qu'elle ne l'est pas. Aucun de nous ne l'est, mais elle a bien plus de ressources, il faut croire. Je l'ignore mais Harald ne me voit pas d'un très bon œil à fixer ainsi sa sœur. Pour autant, il ne dit rien et de toute façon, je me détourne d'elle. Je tombe si facilement amoureux que je me demande à chaque fois si ce sont de véritables sentiments ou bien des histoires drôles que je me raconte à moi-même parce que je m'ennuie.

Pour faire leur deuil, nos parents respectifs ont érigé des pierres dans un coin du lac bordé de plantes d'eau, en cercle, une pour chacun d'entre nous. Ils les ont appelées les pierres chantantes. Ici, sous les arbres, ils ont veillé sur nous comme ils ont pu. Irina et Anton, les aînés, côte à côte, Magda et Liviu, son frère, notre propre frère, Vlad et Petru, le petit grassouillet. Nous cherchons quoi faire pour commémorer leur absence et finalement, nous décidons de coucher nos propres pierres à mon frère et moi. Il sera toujours temps de la redresser le jour où nous ne serons vraiment plus de ce monde. Quant à Tibor, nous réfléchissons. Nous n'avons aucun moyen de savoir s'il s'est perdu, s'il a été tué, ou s'il a simplement changé d'avis. Nous savons qu'il est le plus malin d'entre nous. Si nous sommes vivants, il l'est aussi. J'échange un regard avec mon frère et nous acquiesçons.

Ma mère m'apprend que ma petite sœur a bien grandi, maintenant, et qu'elle est partie à Bucarest pour étudier. Ce dont je me réjouis. Je ne sais pas si elle lui révèlera notre venue ou si elle la laissera dans le doute, mais je sais que ce n'est pas ma décision, bien qu'Harald fasse promettre de ne rien dire à personne sur notre présence. Cela pourrait les mettre en danger, et il a raison, mais l'idée que ma sœur ne sache pas que nous allons bien me déplaît. Cependant, je me range du côté de Harald.

Le soir, à l'heure du repas autour du feu, éclairés par les luminaires étendus d'une roulotte à l'autre, je dis à ma mère qu'on me surnomme La Iele parce que je raconte toujours autant d'histoires. Je lui avoue même que la plupart de mes contes sont inspirés de ceux que mon père me racontait étant enfant. Elle me dit dans un grand sourire taquin qu'elle a toujours su que je serais très beau avec une jupette de cuir et un cache-cœur en guise de brassière pour chanter comme les sopranos. C'est la première fois que je ris depuis des années. Harald n'est pas d'humeur et il quitte le cercle sous le regard soucieux de sa sœur. Je veux le rejoindre mais mon frère me retient et je laisse Solveig le rejoindre.

Si nous restons deux jours de plus, c'est parce que Solveig a réussi à convaincre son frère. Il ne sait visiblement pas lui dire non. Je le comprends, elle est tout ce qu'il lui reste. Un matin, il vient nous réveiller brusquement. Mon frère et moi sursautons, les cheveux hirsutes et je fronce les sourcils en ramenant une couverture sur mon torse nu en voyant la grande brunette aux yeux bleus débarquer, et mon frère m'imite, d'ailleurs. Il jette des sacs sur nous et nous dit de nous préparer, que nous partons. Puis il ressort. Solveig coule un regard sur nous et un sourire naît au coin de ses lèvres. Elle fait un clin d'œil à mon frère et sort en gloussant.

Ni une ni deux, j'enfile un pull et rejette le sac sur le lit de mon frère pour sortir à mon tour. Comprenant que mes pas le provoquent dans son dos, Harald se retourne vers moi et brandit un index. Il a été bien gentil, me dit merci, il a recouvré des forces, mais il ne veut pas s'attarder, qu'il a du pain sur la planche. J'ai beau lui demander de quoi il parle, je sens que ses traits sont rigides. Sa sœur ne dit rien, elle est visiblement de son côté. Je ne sais pas pourquoi il m'attend pour partir, je ne le retiens pourtant pas. Et enfin, il me demande si je veux venir avec lui, oui ou non.

Je suis désarmé par sa question. Dans mon dos, mon frère me demande ce qui se passe et pourquoi on doit partir. Je fixe Harald sans rien répondre. A lui, je ne mens pas. Jamais. Je sais qu'il est l'un des rares à pouvoir lire mon regard et deviner quand je mens. Ce n'est pas un pouvoir qu'il a, mais un don naturel, celui de percer les âmes. Je ne sais pas quoi dire. J'ai enfin retrouvé ma famille, je suis chez moi, et je me sens bien. Alors Solveig penche la tête et me dit que je me mens à moi-même. Tout ça n'est qu'une illusion nostalgique d'une vie que j'ai perdue depuis longtemps. Je crois qu'elle essaye de me convaincre.

Des Douze Dégénérés, nous ne sommes plus que dix. Neuf, si Tibor est mort en chemin. Si c'est le cas, alors c'est à présent moi l'aîné. Je regarde autour de moi. On l'appelle la Forêt des Ombres. Elle est grande, belle, lumineuse et sombre à la fois. Autour de ce village, il n'y a que des ténèbres, à croire qu'il est perdu dans une région oubliée, comme sinistrée. Chaque luciole est considérée comme un esprit, une âme disparue du clan. J'aime à penser que celle que j'ai vue virevolter dans la jardinière de ma roulotte hier soir est une représentation de Magda qui veille sur moi. Est-ce que Solveig a raison ? Est-ce que je me voile la face ? Est-ce que tout ce qui est ici est le fruit de mon imagination ? Je n'ai pas vu mon frère sourire. Les membres du clan m'apparaissent comme des fantômes.

Je baisse la tête et j'acquiesce doucement. Il s'approche de moi. Nous avons quasiment le même âge, mais j'ai l'impression qu'il est bien plus vieux que ça. Il pose ma main sur son épaule et que l'univers soit témoin car ce n'est pas un grand maître de l'expression sentimentale. D'une voix basse, qui se veut plus douce, il me répète de préparer mes affaires. Je lui demande alors où nous allons et il me répond « Aux Etats-Unis ».

Ma surprise est entière. J'ignore comment il veut y arriver. C'est une chose de franchir des montagnes, de marcher pendant des jours et de voler de la nourriture. C'en est une autre de traverser un océan à la nage ! Il me dit que nous prendrons l'avion et je tombe des nues. Alors, je demande comment il compte faire sans puce, là-bas, car eux aussi les ont retirées de leurs poignets. Il me regarde fixement et je sais qu'il a déjà tout prévu. Il semble tellement plus au courant que moi que ça me frustre. J'insiste et revient sur le fait que le MSS a nos visages parqués à travers toute l'Asie. Il me sourit et s'humecte les lèvres, comme chaque fois qu'il va dire les choses une fois. Mais pas deux. « Avant de te servir de ton pouvoir, sers-toi de ta tête. »

Je suis vexé, je le reconnais, mais son sourire m'adoucit. Il est fin, à peine perceptible, moqueur et même un peu taquin, franchement sarcastique, mais il est là, au coin de ses lèvres. Je me tourne vers mon frère et il comprend. Pour la première fois de ma vie, je le vois pleurer. Il ne veut pas partir, il ne veut plus fuir, il veut rester ici, avec notre famille, il veut retrouver la paix. Je franchis la distance qui nous sépare et je le serre dans mes bras. Je lui dis qu'il peut rester, qu'il le doit pour veiller sur notre mère et revoir notre sœur. J'ajoute qu'il doit veiller sur nos pierres et attendre le retour de Tibor. Pour la première fois de sa vie, il m'enlace et m'étreint de toutes ses forces. Il sait que j'ai tout fait pour le garder en vie. J'ai pris des punitions pour lui, des gages, j'ai subi des corvées, j'ai pris des coups pour lui éviter de tomber. Nous n'avons qu'un an d'écart à peine, nous sommes presque jumeaux et il m'est toujours apparu si grand et fort. Parfois, il semble même que l'aîné, c'est lui. Je me suis souvent reposé sur lui et ce que j'ai fait, c'était avant tout pour me prouver quelque chose. Pour honorer la promesse faite à Irina, encore et toujours. Ce jour-là, je suis bel et bien son grand frère et je ne prends pas soin de lui pour me le prouver, ni pour Irina. Je le fais parce que c'est mon devoir et ma responsabilité.

Je ne dis rien à ma mère. J'ai honte mais je pique dans la caisse. Harald, Solveig et moi partons avant les premières lueurs du jour. Je m'arrête quand je n'entends plus notre cadette marcher derrière moi. Son frère s'immobilise quelques mètres plus loin et la regarde sans comprendre. Ses yeux bleus parcourent le village endormi. Elle aussi va être nostalgique de cet endroit, tout comme je l'ai été pendant dix ans. Je fais quelques pas vers elle et je lui prends la main pour l'attirer avec moi. Si Harald voit toujours ça d'un mauvais œil, il ne dit toujours rien.

J'ai dit à mon frère de redresser ma pierre. Je ne reviendrai pas. Je le sais. Cette fois, je pars, mais je l'ai décidé.

Sur le chemin, Harald m'explique qu'il a utilisé une connexion internet au village. Je me demande bien comment il a réussi avec un débit pareil et une antiquité comme celle-ci, mais ça ne l'a pas arrêté. Il me raconte que les Etats-Unis connaissent un fort vent de changement depuis que la tempête Autumn a ravagé la côte est en modifiant le visage des Appalaches. Megalopolis est notre nouvelle destination. La catastrophe climatique a noyé une grande partie de New-York et a fait disparaître la moitié du New Jersey. Philadelphie a été touchée par les terres. Toute cette zone a été unifiée, deux ans plus tôt, pour former un seul et même état : Polis District. La ville de Megalopolis, allant de Philadelphie au quartier de Brooklyn à New-York, est devenue la capitale économique du pays et c'est là que la Waleman Dynamics, après le rachat du PRD, a établi son siège. Leurs révolutions de technologies de pointes sont craintes comme adorées. En somme, une entreprise corporatiste, un écran de fumée.

Harald veut faire tomber des têtes. Mon frère m'a demandé où était passé mon refus de me battre et tout ce que j'avais crié sur Magda pour endormir sa soif de vengeance. Si je ne fais rien, c'est comme si sa mort était vaine. De plus, je m'étais menti encore à moi-même en pensant que le MSS ne nous retrouverait jamais. Je me suis trompé. Magda avait raison depuis le début, je le vois, maintenant.

Nous débarquerons à Megalopolis avec de nouvelles identités que nous avons trafiquées à Bucarest. Alors que nous nous apprêtons à monter dans cet avion, je m'immobilise, hésitant, au milieu du couloir, remontant mon sac à dos sur mon épaule. C'est au tour de Solveig de se retourner pour me dévisager. Elle m'attend quelques secondes et Harald demeure encore patient. Elle revient vers moi et me prend doucement par la main pour que je l'accompagne en me répétant avec un sourire que tant que nous resterons ensemble, il ne nous arrivera rien.

C’est la dernière fois que j’appelle Harald par son prénom. Dorénavant, c’est Abel Henoch et Solveig a suivi l’inspiration biblique en choisissant Eve Ezechiel comme nouvelle identité. Ces noms parcourent la toile depuis des jours, maintenant. Harald a lancé un appel sur Internet appelant les Positifs et Candidats, assujettis à un monde qui n’était pas fait pour eux, à se joindre à lui, que le jour de leur libération viendrait, mais qu’il faudrait la conquérir. Nous ne nous étions pas attendus à recevoir un tel accueil et c’est Internet qui a créé la rumeur de « Liberation », cette personne ou ce groupe qui mènerait les Positifs au sommet. Dès cet instant, Harald a préparé le projet de s’attaquer aux symboles de l’oppression pour marquer notre existence.

Quant à moi, je ne change que mon nom de famille. A la place de la cicatrice dans mon poignet, une tache sombre s'est formée pour la dissimuler. Elle représente une tête de loup et, parfois, elle danse sur ma peau. Je crois qu'il s'agit en fait de la manifestation de mon pouvoir et de mes mensonges. Il n'est pas rare que je raconte des histoires avec des loups et nous en entendons souvent dans la forêt autour de mon village natal. Quelque part, cette représentation me rappelle qui je suis, c'est une de mes vérités qui nourrit mon imagination et bientôt, d'autres se dessineront sur mon corps. Alors, malgré les risques que l'on me reconnaisse ainsi, je choisis me nommer ainsi, le Loup. Je m'appelle à présent Bogdan Lupescu.
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Bogdan Lupescu
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Megalopolis, PD
Etats-Unis d'Amérique
Septembre 2072


Après quelques semaines de recherches, Abel arrête le choix de notre cible sur la personne d’Howard Stenton, ancien directeur du PRD, réputé pour sa chasse aux Positifs. Abel le soupçonne en prime d’avoir gardé des informations utiles dans les coffres de la Waleman Dynamics après avoir pris sa retraite.

Nous vivons dans le Sanctuaire, une zone de non-droit, conséquence d’Autumn. C'est un micro climat où il fait toujours chaud. Une cuvette pleine de sable, de cailloux et de trafics en tout genre. Abel et moi avons rénové un Saloon pendant des mois. Nous nous amusons encore d'en avoir trouvé un ici. Depuis peu, nous sommes six. Six membres de « Liberation » comme on nous appelle sur Internet et on nous accueille comme les rois du pétrole.

Il y a une rousse à nos côtés maintenant qui me rappelle Magda. Elle s'appelle Libby et elle est russe. Contrairement à nous, elle s'est portée volontaire auprès du MSS afin de garantir la sécurité de sa famille. Je ne sais toujours pas si je trouve cette idée brillante ou franchement suicidaire. Toujours est-il qu'à mes yeux, c'est Abel… En fille, mais avec une douce pointe de malice en plus. Quand elle lève les yeux sur moi, je suis obligé de détourner le regard et mes joues s'empourprent. Elle en joue de temps en temps. Elle est silencieuse, mystérieuse et secrète et j'admets que cela m'attire, mais c'est avant tout parce qu'elle me rappelle quelqu'un que j'ai perdu.

Il y a aussi un garçon, plus jeune que nous, Garin, un Anglais qui n'a pas attendu avant de lancer des sourires à Eve et cette fois, Abel fait savoir qu'il est contre. Il ne l'aime pas du tout et c'est vite un sujet de discorde entre lui et sa sœur. Les regards sont réciproques. Garin est un produit de la CIA. Les agences gouvernementales ont le sens de l'humour. Il semblerait que les Etats-Unis jouent sur le même terrain que la Chine pour se défendre et encore une fois, j'ignore si c'est une idée brillante ou de la pure stupidité de jouer ainsi avec la génétique et la vie des gens. Au fil du temps, nous recrutons d'autres agents déserteurs de la CIA, comme Gen.

Gen me rappelle énormément Irina. Elle n'est pas très jolie, elle a le visage étiré, des yeux de fouine, des lèvres fines et ses dents ne sont pas bien serrées. Elle a de longs cheveux bruns et des yeux marron. De petite taille, elle est toute en muscle. Pourtant, elle a une voix cristalline et quand elle sourit, elle me réchauffe le cœur. Des fois, j'ai aussi l'impression d'entendre Irina à travers elle quand elle s'enflamme et s'énerve. Elle a ce feu en elle mêlé à une grâce inouïe et une force protectrice. Pour autant, je m'amuse à la voir tourner autour d'Abel comme un ours reniflant un pot de miel. Je l'aime bien.



Quoiqu'il en soit, nous sommes bien loin de nos plans d'attaque d'il y a un an. Abel est méthodique, il applique scrupuleusement ce que le MSS nous a appris, la stratégie, le timing, la prudence et la patience. Il lui faut plusieurs semaines pour mettre au point son plan d'action et quelque chose me dérange. Plus que d'habitude. Je me sens tellement différent d'il y a un an, je me demande si c'est la bonne tactique. J'ignore toujours d'où vient Abel, par quelle agence du MSS il a été entraîné, mais il est évident que nous n'avons pas été créés à partir du même moule.

Là où on en faisait un agent secret hors pair, entraîné au combat comme à la mort, même si je sais qu'il a été torturé avec sa sœur comme nous, je me trouve chanceux. Dans notre camp, on nous a surtout appris la discipline et l'ordre, on nous a endoctriné, on nous a menti. Abel a connu la force physique, j'ai appris la persécution mentale. C'est assez ironique lorsque l'on sait que Gen a la faculté d'entendre nos pensées, nous contrôler. Libby agit comme une interface visuelle de nos mémoires. Il lui arrive de mal maîtriser son don quand elle nous touche et elle revit certains passages de nos vies, en plus des siens. Un jour, elle me confie que malgré tout ce qu'Abel a traversé, le pire qu'elle ait vu est en Garin. Elle me confesse ensuite que cela l'inquiète, qu'il est instable. La CIA lui a fait subir plus que le MSS nous a infligé. J'ai beaucoup de mal à la croire mais l'inquiétude sur son visage n'est pas une comédie, et depuis que Abel a mentionné le terme d'exécution de l'homme, je frissonne moi-même.

Deux jours avant le lancement de l'action, je le prends à part. Je lui dis que Garin ne tirera jamais, que ce n'est pas dans sa nature. J'essaye de le mettre en garde mais il ne m'écoute pas. Je lui parle de mes craintes et de celles de Libby, du fait que je ne suis pas sûr que ce soit la bonne méthode. Nous avons été battus et torturés et je recommande à Abel d'être plus intelligent que ça, d'employer d'autres moyens qu'une exécution aussi sommaire qui fera passer Howard Stenton pour un martyr sans servir les Positifs ni les Candidats, bien au contraire. Il me rappelle alors d'où je viens, les cris que j'ai entendus, ceux que j'ai perdus. Plus il parle et plus j'entends Magda. Je n'arrive pas à m'énerver contre lui, je n'arrive déjà pas à lui mentir… Nous connaissons juste une divergence d'opinion mais je ne veux pas le décevoir. Ce que nous avons ici, nous l'avons bâti ensemble, après tout. Il est le leader naturel de Liberation, mais dans l'armée, je serais probablement son second. Il lui arrive de me demander conseil. Mais pas cette fois. Il est déterminé. Je le vois à ses yeux. Je lui répète que je suis contre. Il me répond que Libby fera le nécessaire si Garin s'avère être une mauviette. Après tout, elle est du MSS aussi, elle sait ce qui est en jeu. J'ai des sueurs froides. Ce n'est pas pour ça que je me bats. Je ne veux pas être comme mes bourreaux, je veux être plus intelligent qu'eux et pas me rabaisser à eux.

Je déclare à Abel que je ne veux pas le faire et il ne répond rien. Je sais qu'il brûle de me montrer la porte de sortie tant il est déçu, mais il ne le fait pas. Il doit avoir peur que je quitte Liberation par pur défi d'autorité. Ce n'est pourtant pas mon genre, mais Abel ne prend jamais de risques inconsidérés. Avant leur départ, je quitte le Saloon sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller. Malgré tout, je me doute qu'il m'entend, depuis sa chambre à l'étage. Je lui laisse le soin d'annoncer aux autres que je suis parti. Je suis le roi des départs en douce. Il sait qu'il peut avoir confiance en moi, je ne dirai jamais rien sur lui, ni sa sœur. Elle va me manquer, d'ailleurs. Il m'a confié une partie de sa vie et malgré mon pouvoir, il est celui envers lequel je suis le plus loyal.

Un jour, le MSS débarquera. Ils me trouveront et ils me séquestreront pour me faire parler. Ils me demanderont où sont Harald et Solveig Freyersson. Ils me forceront à dire la vérité et j'en sentirai mes entrailles se déchirer. Ils feront amener mon frère pour me menacer. Mais je ne dirai rien. Jamais. Abel le sait. Pour cette raison, il me laisse partir sans rien dire.
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Bogdan Lupescu
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Megalopolis, PD
Etats-Unis d'Amérique
Octobre 2072


Peu de temps avant Liberation, un autre groupe de protection des Positifs et Candidats est né à Megalopolis : l'Underground. Ils sont cloitrés dans ce qu'on appelle la Ville Basse, l'ancienne New-York, dans les fondations d'un centre commercial dont la construction s'est brutalement interrompue après l'Epidémie de Yu. Abandonné, il s'étend sur plus de six étages et relie les réseaux de métros aux hauteurs de la ville. De quoi accueillir une grande communauté. Ils sont installés depuis environ un an et beaucoup les cherchent mais leurs accès sont secrets et bien protégés.

En errant dans la ville, je remarque des messages sur les murs et je les décrypte aussitôt. J'ai une bonne faculté à déceler la vérité, c'est bien pratique. Une suite de chiffres annonce une date, une heure et une localisation. Perdus au milieu des graffitis, ces messages passent inaperçus pour ceux qui ne savent pas regarder, ou qui ne cherchent pas.



Je me fraye un chemin jusqu'à eux, je veux entendre ce qu'ils ont à dire, quelque chose d'irrépressible m'attire à eux. Je me rends à une de leurs réunions dans un vieux hangar de la Ville Basse alors que le soleil se couche. J'apprends alors que tout ce qu'on sait de l'Underground n'est qu'une légende urbaine pour faire peur aux enfants. Ils sont trois à sa tête. Reese et Maddison, deux anciens militaires et Maze. Une organisation bien mieux huilée que je ne le pensais. Respectivement, la défense, la stratégie et l'attaque, un Négatif, une Positive et un Candidat. Naturellement, je me tourne vers Maze. Il fait bien deux mètres de haut et une carrure imposante, cela dit, qu'il s'agisse de Reese ou de Maddison, ils ne sont pas en reste, on les sent formés, robustes et puissants. Maze a une voix grave qui porte sur des kilomètres, des yeux verts et vifs et j'imagine que toutes les filles sont à ses pieds. Quand il parle, il me rappelle Abel. Il est fier, déterminé, charismatique. Quand il parle, l'univers se tait. Il a de la force, je le vois à ses bras, bien plus qu'Abel et Anton réunis. Sur le moment, je me demande bien de quoi il est capable, mais en tout cas, il m'impressionne. Il force mon admiration.

Nous ne sommes pas nombreux et pour la plupart, ce sont des gamins des rues. En tout et pour tout, douze. Je souris. Maze m'entend glousser et il me demande ce que je trouve de si drôle. Je n'ai malheureusement pas écouté les trois dernières minutes et je crois que je l'ai vexé. Son regard dans le mien est sombre, il ne sourit pas et sa sévérité me fait culpabiliser, mais je ne me laisse pas démonter. Mes lèvres s'étirent d'autant plus et lui réponds que je suis content, tout simplement, au risque de le dérouter. Cette pointe de vérité fait gargouiller mon ventre, mais je n'y prête pas attention. Il m'inspire la même chose qu'Abel et je n'ai pas envie de lui mentir.

Il me pose un tas de questions. Mon nom, ce dont je suis capable, d'où je viens. Il veut me tuer, c'est évident. Je ne peux pas répondre la vérité à l'intégralité de ces questions, je vais finir par me développer un ulcère et ma peau va se tinter d'un noir nécrosé à faire peur. Alors je contourne. Iele, j'espère qu'il a une semaine de libre devant lui parce que c'est complexe, et peu importe d'où je viens, je n'ai pas de famille. Je lui avoue simplement que je peux manipuler les gens et je me doute bien que j'attise d'autant plus sa curiosité. Peut-être pourtant voit-il la vérité dans mon regard ?

Malgré tout ce que j'ai vécu, mon visage n'est pas aussi marqué que le sien ou celui d'Abel ou même de mon frère. Je fais plus jeune que je ne le suis. Reese, celui que j'estime être le leader des leaders à sa façon de se tenir et de parler, engage les conditions. Respect, entente, esprit d'équipe, loyauté, honnêteté. Je connais la discipline sur le bout des doigts et quand ils me demandent de montrer mes aptitudes au combat en me mesurant à Maze, je suis étonné de sa propre rapidité alors qu'il doit peser deux fois mon poids. Il ne mesure pas ses coups comme les miens, il fait plus attention. Pendant des mois, je me suis entraîné avec Abel et il m'a appris à mieux passer à l'offensive, à ne pas attendre qu'on m'attaque pour montrer ce que j'ai dans le ventre. Je ne veux pas défier l'autorité de Maze, aussi, je me contente de lui montrer mes mouvements et d'esquiver les siens, mais il est clair que cela nous suffit à comprendre que nous n'avons pas suivi de simples cours d'arts martiaux. Néanmoins, je suis frustré par sa force. Je pensais qu'en ça résidait ma puissance, mais je me suis fourvoyé.

Je veux toujours être comme Irina, rugir comme un lion et me montrer bestial pour intimider mes ennemis. Mais je demeure celui qui protège les plus faibles, à l'arrière. Ma force, c'est ma rapidité et ma réflexion. Je le sais, maintenant. Je l'ai compris grâce à Abel.

Je rejoins l'Underground le même jour. Divisé en trois quartiers bien distincts, je suis Maze et j'entre à la Resistance : l'attaque. Il me présente aux personnes les plus populaires, qui sont là depuis le plus de temps, notamment Amber avec qui il a fondé ce quartier sous le signe de la famille. Il m'apparaît pourtant bien jeune pour occuper une telle importance mais elle dégage une chaleur qui m'est familière et je me retrouve à lui sourire, à elle aussi.

Il y a plus d'enfants ici que je n'en aie jamais vu. Chaque magasin est devenu une chambre pour les membres de l'Underground. Resistance se situe au premier étage. C'est le plus grand centre commercial que je connaisse. Je ne me suis plus jamais autant senti chez moi qu'ici. Je me vois déjà reprendre mes histoires pour endormir les plus jeunes, personne ne veut assassiner qui que ce soit et quand bien même on les traite d'utopistes, je me rends compte que quelque part… C'est un peu ce que je suis. C'est ce qui m'a gardé en vie. Mon imagination débordante.

Howard Stenton est exécuté le 11 septembre et je continue de croire qu'Abel fait fausse route, qu'il est aveuglé par la même rage et le même désir de vengeance que Magda. Parfois, je fais des cauchemars et ce n'est pas elle que je vois brûler, mais lui, bien que je sache que son pouvoir le protège des flammes. Je me demande simplement jusqu'à quel point.
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Bogdan Lupescu
Bogdan Lupescu

Padurea version courte Padure_eve

Megalopolis, PD
Etats-Unis d'Amérique
Mai 2074


Je revois Eve quelques temps plus tard, et j'ai du mal à la reconnaître. Elle est plus maigre, son teint est pâle, elle a une bosse sur la tête. C'est un garçon de Salvation qui la porte dans ses bras jusqu'à l'infirmerie en bousculant tout le monde. J'en déduis alors qu'elle respire encore. J'ai hâte de revoir ses immenses yeux bleus et en même temps, je redoute le moment où elle va me reconnaître.

Liberation et l'Underground ne s'entendent pas si bien et pourtant, je doute qu'ils communiquent réellement entre eux. Ils ont les mêmes buts mais leurs méthodes sont radicalement opposées. Quand le premier agit pour la révolution et le combat des libertés, le second tente de faire valoir ses droits en prenant des chemins plus détournés en se faisant des alliés au gouvernement, comme le Maire de Megalopolis. Ils sont aussi en lien avec plusieurs associations d'aide, ils font leur possible pour l'égalité des genres, afin de prouver que les Positifs ne sont pas les dangers que l'on croit. C'est malheureusement plus compliqué que ça. Nous n'avons pas tous des dons inoffensifs.



Je sais que les trois leaders de l'Underground s'en donnent à pleine voix quant au sort de cette nouvelle recrue dont ils ne savent rien. Doit-on la garder, d'où vient-elle, qui est-elle ? Je commence à redouter qu'on me pose ces questions. Quand elle émerge, tout l'Underground la regarde d'un œil curieux. Son visage n'est pas le même, elle est soucieuse, elle semble apeurée, ou au moins craintive, ce qui ne lui ressemble pas. Elle ne sourit pas non plus, j'y suis pourtant assez habitué. Ses yeux se posent sur moi et mon cœur s'arrête. Je ne suis pas bien en vue, je me tiens au fond de l'infirmerie. J'ai tenté le diable, je suis venu la voir. Si elle doit leur révéler d'où je viens, autant en finir maintenant. Entre nous, il y a les leaders. Je cesse de respirer mais son regard est déjà porté sur autre chose.

Elle ne me reconnaît pas.

Eve n'est pas une championne pour dissimuler ses émotions, elle est passée sur mon visage comme on regarde un mur blanc. J'apprends alors qu'elle est amnésique et je suis soulagé. Je me demande ce qu'elle fait là et quand je suis libre, je vais revoir les vidéos de surveillance de l'Underground. J'aperçois alors une bagarre en pleine rue et Eve, laissée pour morte dans le caniveau avant qu'on vienne la chercher. Lecture, pause, retour en arrière, lecture, pause… Je fais ça pendant des heures jusqu'à m'énerver, parce que je ne trouve aucun indice. Eve ne circule jamais seule, pas en Ville Basse, en tout cas, Garin est toujours avec elle, ils sont inséparables. Si Liberation y est mêlé, je n'ai aucun moyen de le deviner.

J'hésite à aller trouver Abel pour le prévenir. Je suis curieux, tout à coup et l'infirmière de l'Underground pense que Eve va recouvrer la mémoire dans les semaines qui viennent, quelques mois, tout au plus. Je suis curieux, et inquiet. Néanmoins, je ne bouge pas. Je garde un œil sur elle même si je reste éloigné, je m'assure que personne ne fait le lien avec Liberation. Je fais de mon mieux pour ne pas éveiller de soupçon à mon sujet non plus et en ça, je suis plutôt doué. Je suis bon menteur, n'est-ce pas ? Alors, tant que Maze ne me pose aucune question directe, je ne me sens pas en danger.

Pendant près de six mois, je l'observe. Quand quelqu'un s'en aperçoit, je rougis instantanément. Je suis assez réputé pour mon cœur d'artichaut, tout le monde croit que toutes les filles m'attirent et je suis forcé d'admettre que c'est assez vrai. Pendant tout ce temps, je me repasse en mémoire tout ce que nous avons vécu en Chine, notre chemin de retour en Roumanie, nos difficultés à Bucarest pour nous fournir de nouvelles identités, notre arrivée à Megalopolis...

Eve a un pouvoir exceptionnel qui endort Yu au sein de son hôte. Elle le rend humain à nouveau, Négatif, le soulage d'un fardeau invisible. Au début, je n'aimais pas beaucoup qu'elle me touche, c'était désagréable de ne plus ressentir mon pouvoir dans ma poitrine. Je m'y étais très bien fait, même si les premiers temps ont été douloureux. Et puis j'ai apprécié ce soulagement d'être à nouveau normal. A son contact, mes taches de rousseur reprenaient une teinte brune et je ne ressentais plus le besoin vital de mentir pour respirer. Eve est comme une drogue. Le bien être qu'elle procure assouvit ceux qui la touchent sans qu'ils en soient conscients. Moi y compris.

Si elle finit par me reconnaître, elle n'en dit rien. Un jour, je rentre à l'Underground et elle n'est plus là. Les leaders hurlent à nouveau qu'une inconnue amnésique, sachant à présent tout de nous, ait été libérée dans la nature, sans qu'on sache où. L'ironie est risible, mais j'ai confiance en Eve, je sais qu'elle ne dira rien. Je suis nostalgique de Liberation. D'elle et de son frère, de notre liberté, même complexe, en Asie. De la même manière, je me demande où sont les survivants des Douze Dégénérés. Je scrute les journaux du monde entier, notamment les chinois et les russes mais ils ne font pas de bruit. Comme moi, ils se sont fondus dans la foule pour disparaître à jamais. Je garde un œil sur les satellites qui survolent la Forêt des Ombres. Mon frère sentira un danger à des kilomètres, il les protègera quoi qu'il arrive. Je suis moi-même en sécurité, ici. Je romps notre promesse faite à tous de ne jamais essayer de nous retrouver, mais je ne peux pas m'empêcher de chercher Tibor.

J'espère qu'ils sont vivants. J'espère qu'ils vont bien.
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Bogdan Lupescu
Bogdan Lupescu

Padurea version courte Padure_15



Quelque part dans le Maine
Etats-Unis d'Amérique
Juillet 2075


J'ai quinze ans quand ils viennent me chercher.

Aujourd'hui, j'en ai trente et je pars en excursion pour fêter mon anniversaire, seul. Je roule pendant des heures, jusque dans le Maine où je souhaite retrouver la nature, les forêts et les légendes urbaines. Je veux me sentir chez moi ce jour-là. J'arrive en milieu d'après-midi et je gare la voiture contre un arbre avant de la cacher sous une bâche verte avec des motifs de feuillus. Je m'enfonce dans la forêt avec mon sac à dos qui contient quelques vivres, un sac de couchage et de quoi faire un feu.

Je me trouve un endroit qui m'attire, où la vérité est la plus claire, comme des fissures dans l'espace… Des endroits où le moins de mensonges ont été prononcés. Du moins, c'est ainsi que mon esprit le perçoit, j'ignore encore si ce sont des illusions ou véritablement les manifestions de mon pouvoir. Je m'installe confortablement et soudain, je me sens tellement apaisé. A la nuit tombée, je sors de la poche avant du sac des cailloux que j'ai limés soigneusement. Ils font à peu près la hauteur de mon pouce et j'y ai gravé les noms de chacun d'entre nous. Contre un arbre, j'y enfonce d'abord celui d'Irina, mon guide à travers les ténèbres. Et comme dans le lac de mon village natal, je dispose les pierres en cercle, suivant un rituel bien précis. Quand j'en suis à Magda, mes mains tremblent légèrement et ses mots ne cessent de revenir dans mon esprit, ils me hantent. A l'entendre, je ne perçois plus mes propres vérités de mes propres mensonges et ça m'inquiète. J'ai peur de me perdre.

J'ai deux nouvelles pierres. Une pour Harald et une pour Solveig. Je les dispose de part et d'autre de celle qui représente mon frère cadet, Vasile. L'émotion me gagne, mais il me reste une dernière chose à faire.

Je serre les poings et délie mes muscles, puis j'attrape un minuscule carnet et un crayon à papier. J'y gratte quelques mots, je plie la feuille en quatre et lève un briquet vers un coin. J'inspire profondément et je laisse enfin les flammes gagner le papier. Lentement, elles le consument au milieu du cercle de pierres.

Mon très cher Père,
Je pense à toi tous les jours.
A la fin de ton monde et le commencement du mien.
A toutes ces lumières qui se sont éteintes en l'espace de six mois. Autant de vies abandonnées à un mystère.
A ces quinze années emplies de ton absence.
Mais à travers mes mots, tu vis.

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