[CLOS] [Sky/Bogdan] Un jour, une histoire

Je ris à son histoire parce que je ne peux pas m'empêcher de trouver ça... Mignon. J'ai toujours trouvé que les souvenirs étaient importants et nous permettaient justement d'avancer et de nous sortir des plus mauvais pas. Alors si cette fille avait encore de quoi sourire et rire, rien n'était perdu pour elle.

Sa nouvelle question me démange la nuque et je me gratte en regardant le ciel.

"J'ai aussi voulu jouer dans la cour des grands alors j'ai moi-même pris mon sac et je suis venu m'installer ici. J'ai suivi un ami ! Je n'ai jamais revu ni les uns, ni les autres. J'en ai cherché quelques uns... Mais dix ans, c'est long. Ca passe comme qui dirait, mais c'est dingue tout ce qui se passe en dix ans."

Je lui donne un léger coup de coude dans le bras pour changer de discussion. Il va arriver un moment où je ne vais plus pouvoir mentir sans être en désaccord avec ce que Tibor et Six lui ont dit. Ne connaissant pas leur version, je ne peux pas la manipuler à la perfection.

"Et il est où ce John, maintenant ? Il pourrait peut-être nous en raconter d'autres ! J'aime bien dire des histoires, mais j'aime aussi les écouter."

Bref, j'aime les enfants.

C’est vrai, elle avait quand même quelques histoires mignonnes à raconter. Après tout c’est ce qu’il y a de magique dans l’enfance, c’est que même au milieu du chaos, il y a toujours de petits moments de grâce. Bogdan avait sans doute raison d’aimer la compagnie des enfants et d’entretenir son côté juvénile. Est-ce qu’il le faisait délibérément ?
Sky s’en voulut presque de devoir plomber l’ambiance.

- Il est mort.

Elle fit une petite d’excuse.

- Y’a des moments dans la vie, c’est comme si on était à un carrefour et que tout va changer à partir de là. La mort de John ca a été ca. C’était déjà pas brillant avant, mais après…

Elle haussa les épaules.

- J’dirais que d’une certaine manière ca a été mieux en fait. Ca a été une nuit… je sais pas… décisive ? ouais décisive c’est bien.

Sky regarda Bogdan dans les yeux et ses tâches sur son visage. Elle s’étonnait d’avoir prononcé ces mots et se demandait même ce qu’il lui avait pris. Pourquoi ne s’était-elle pas contentée de lui dire qu’il était mort et point à la ligne ? Elle n’en avait jamais parlé. C’était inutile ca ne le ramènerait pas à la vie et comme elle avait un jour dit à Angela, la culpabilité c’était juste un poids à trainer, ca ne servait à rien. Le fait qu’il parle de ses amis d’enfance, de ces 10 ans qui les avaient séparés et pendant lesquels il s’était passé tellement de choses… ca avait ravivé quelque chose en elle.
Sky visa ses poumons face au vent et sourit de nouveau au jeune homme.

- T’as pas envie de les retrouver ? juste comme ca ? refaire un feu de camp avec quelqu’uns au moins pour le plaisir d’être ensemble ? J’suis sure même Tibor il viendrait !

J'avais bien raison de me sentir indiscret. Je savais que le moment venu, je ferais une bourde de ce genre.

"Tu m'en vois navré."

Et je le suis. Mon sourire est toujours là, mais il est plus faible, plus compatissant, je dirais. J'acquiesce d'ailleurs à ses dires. Je suis bien placé pour comprendre de quoi elle parle. A la différence que je ne vois pas en quoi c'est mieux. Pour moi, en tout cas. Ma prise de conscience n'a pas été la chose la plus facile à digérer. Je retrouve un peu plus mon sourire quand elle mentionne Tibor.

"Tu as l'air de bien le connaître."

Et je secoue doucement la tête. J'inspira profondément en regardant l'horizon, serrant le muret entre mes doigts.

"On a le temps de temps de changer en dix ans. J'ai changé. Qui sait ce que Six penserait de ce que je suis devenu. Et qui sait si je reconnaitrais Tibor, aujourd'hui. J'ai perdu quelqu'un, aussi, comme toi, ça a été un tournant décisif dans ma vie. C'était pas brillant avant non plus. Ca s'est amélioré. J'ai envie de les revoir. Tous. Mais ils ont passé tellement d'années à rester loin, cachés, à faire en sorte qu'on ne les retrouve pas ni les uns, ni les autres... J'entends parfois les dires de Six - on l'a surnommée comme ça à cause de son nom de famille - qui me met en garde, qui m'incite à être un bon garçon, à ne pas me laisser ronger par des pensées obscures. Je ne sais pas ce qu'elle dirait de moi si elle me voyait maintenant."

Et puis je lui souris, malicieux.

"Je suis un peu froussard sur les bords. Je n'ai pas répondu à Six parce que je crois que je veux garder une image d'elle, d'eux, et que je voudrais qu'elle garde cette même image de moi qu'avant."

Je la dévisage à nouveau. Quitte à parler des sujets sensibles...

"C'est un peu comme... Si on te demandait de retourner à une période de ta vie décisive, sur laquelle tu avais déjà mis difficilement le cap. Tu ne rechignerais pas à y retourner ? Même si tu sais que le pont est solide ?"

C'est un peu métaphysique pour une adolescente de 17 ans, non ? Mais encore une fois... Ma nuit décisive, je l'ai eue à 15 ans. Et mon tournant décisif, j'avais un peu plus de 20 ans. Alors je défie quiconque viendrait me parler d'immaturité pour décrire un adolescent. Sky n'est pas n'importe quelle adolescente, je suis certain que c'est pour ça que Tibor n'est pas loin, ou même Maze, ou que Sunny et Matt prennent soin d'elle. Ils savent. Elle est l'une des nôtres.

Sky apprécia que Bogdan n’épilogue pas sur John. Elle n’en avait pas envie de toutes manières, ca tombait plutôt bien. C’était sorti tout seul en fait, dans le feu de la conversation.
Est-ce qu’elle connaissait bien Tibor ? Franchement elle ne pensait pas mais le jeune homme avait ce comportement sauvage de diamant brut qui considérait sans doute la subtilité comme superflue. Il était aisé de le comprendre quand on le prenait comme il était.
Les propos de Tibor au sujet de ce que le MSS avait influencé l’attitude de Six lui revint soudain en tête quand Bogdan parla de « rester caché, à faire en sorte qu’on ne les retrouve pas ». Ils devaient partager d’autres expériences que leur camp d’été pour appréhender à ce point de se retrouver ensemble et de ce que le temps leur aurait infligé.
Elle ne sut pas vraiment quoi répondre à ce qu’il exprimait et pour une fois depuis le début de leur conversation, ca lui parut plus que sensé. D’une certaine manière, elle trouvait cette façon de voir les choses particulièrement pertinente.

- Ouais je comprends ce que tu dis. J’aurais pas envie d’y retourner non plus sauf si on m’obligeait. Je suis navrée aussi… pour la personne que t’as perdue, ajouta-t-elle doucement.

Ce qu’elle avait vécu cette nuit là prit alors une dimension particulièrement cuisante parce qu’elle entendait complètement ce qu’il voulait dire. Non pas que sa propre expérience soit comparable mais le choc émotionnel avait été tel qu’elle ne souvenait pas avoir été maître de quelques décisions que ce soit. Elle avait été juste une victime sidérée du destin, avait réagi instinctivement sans réfléchir. Sauver sa peau, se jeter en avant, comme elle l’avait toujours fait, sans comprendre que cette fois, ce serait différent. Tout du moins, c’est comme ca qu’elle le ressentait quand elle se remémorait.
Au fond d’elle, elle percevait une vérité corolaire.

- … mais imagine que tu retournes à cet instant, après tout ce temps… et que tu as l’opportunité de finir ce que t’as pas pu finir ou de faire ce que t’as pas eu le temps de faire… peut-être juste de dire des trucs… que t’aurais pu dire… à des gens… tu le ferais toi ?

C’était une vraie question qui sous-entendait « le ferait-elle, elle ? ». En aurait-elle seulement le courage ?

- Je trouve pas que ce soit être froussard…

Sky secoua la tête, très convaincue.

Pour la personne que j'avais perdue... Laquelle ? C'était la véritable question. Je coule un regard vers elle et soudain, j'ai vraiment envie d'arrêter cette discussion. Je n'ai pas du tout envie de parler de ça. Encore moins avec elle, qui qu'elle soit, je ne la connais pas. Elle ne fait pas non plus partie de l'Underground. Quand elle remet le couvert, avec sa question, je déglutis en regardant ailleurs. Repenser à Six, Tibor, mon frère... C'est repenser à tout ça, et j'ai l'impression qu'une rivière quitte son lit en régurgitant tous les débris d'arbres et les déchets de ses fonds.

"Je crois... Que je ne voudrais pas retourner à ces instants. Ce qui est fait, est fait. Si c'est arrivé, c'est que ça devait arriver. Je ne me pose pas ce genre de questions sinon je n'avance plus. Je n'ai aucune envie de revivre les moments les plus pénibles et les plus difficiles de ma vie. Ils m'ont construit, transformé, c'est ce que je suis maintenant qui découle de ce que j'ai vécu."

Je fronce les sourcils, perché dans ma réflexion et je me racle la gorge, laissant passer quelques secondes de silence. Finalement, je tape le muret avec un sourire. Ah ça oui, je suis doué pour passer d'un visage à l'autre.

"Et je suis très fier de ce que je suis !" Et c'est mon plus beau sourire, Jean-Pierre. "Je suis grand, beau et fort !"

Comment avaient-ils seulement pu en arriver là ? à cette conversation qui prenait une tournure dérangeante et de ce qu’elle en voyait, autant pour Bogdan que pour elle ? Il prit quand même la peine de lui répondre. C’était ce à quoi elle s’attendait. C’était ce qu’elle pensait aussi quand elle se retrouvait seule dans son lit le soir, à ces heures propices où l’on pense sans pouvoir s’arrêter. Avant, c’était les heures où elle allait chercher Deniz ou Bip pour partager la dernière bouteille d’alcool qu’ils avaient choppé ou bien parler de tout et de n’importe quoi avec Six.
Depuis qu’elle était au Casino, elle avait du temps pour l’introspection et même si elle l’esquivait la plupart du temps, elle n’y échappait pas toujours.
Toutefois, ce qu’il avait dit avant, la façon dont il avait amené le sujet, un je-ne-sais-quoi dans son attitude peut-être ou juste le contexte, bref… tout ca l’avait amenée à reconsidérer ses questions.
Sky hocha la tête avec un sourire en guise de réponse mais… le doute s’était installé.
Bogdan reprit son ton léger et retourna dans son monde psychédélique ce qui était plutôt bienvenu en fait.
Elle ne put retenir un rire de le voir faire.

- Tout ca pour être garde du corps ! Alors qu’avec autant de qualités t’aurais pu être… j’sais pas moi… chanteur ? acteur ! Oh vache un grand acteur ouais ! Dès que t’ouvrirais la bouche sur grand écran, on serait tous comme ces gamins qui gobent tout ! T’imagines ? T’as raté ta vocation ca s’trouve. C’est peut-être pas trop tard…

Je me sens mieux, donc je ris. Chanteur, acteur, très peu pour moi.

"Et me retrouver sur le devant de la scène ? Ouah, tu fais quoi de mes chevilles, après ? Attends, je suis un mec super fier !"

Je fais une moue en penchant la tête, attristé par ma pauvre condition de vie.

"Mon pouvoir, y marche pas par écran interposé. Ni par téléphone. C'est moche, quand on y pense. Ce grand pouvoir qu'est le mien, je pourrais mettre le monde à mes pieds, et bien non ! Je suis un grand mégalomane, en fait. C'était ça, ma vocation."

Je continue de rire doucement en regardant le ciel à nouveau.

"Ouais et ben... Des vocations, je suis sûr que j'en ai ratées plein. Je voulais être magicien, tout petit. Tibor, il voulait être équilibriste. Et mon petit frère, dresseur de singes. Aujourd'hui, je joue les nounous, Tibor sauve des vies et mon petit frère parle aux lucioles. Un jour, on a fait un tour de table qui voudrait devenir quoi. Six a répondu..." Mon sourire s'agrandit doucement au souvenir. "'Je veux chanter avec les elfes.' C'est vrai qu'elle chante bien, de ce dont je me rappelle. D'une certaine manière, elle chante avec les elfes, elle hurle à travers la ville comme une sirène attirant le pécheur."

Et puis, je la regarde à nouveau, l'air bien plus léger.

"Et toi ? Tu voulais faire quoi, tu fais quoi maintenant, tu voudrais devenir quoi ?"

Avec le sourire elle tourna son regard vers Bogdan.

- Bah justement ! si t’es super fier t’aurais une autre raison de l’être ! C’est pas si désagréable d’être le centre d’attention de tout le monde. Bon ok, ca dépend peut-être des moments. Y’a des moments on s’en passerait…

Elle extirpa de sa bouche le bâton de sa sucette maintenant consommée et le rangea dans sa poche. Mike l’avait dévalisée et elle n’en avait plus à se caler entre les dents. Cette addiction-là devenait pire que la cigarette. A ce rythme, le diabète la guettait aussi surement que le cancer autrefois. Un rein en moins et un diabète en plus, elle se promettait une vieillesse heureuse.
Bogdan lui expliqua rapidement les limites de son pouvoir. Ca ne marchait pas par écran, ni téléphone. Qu’est-ce qu’il voulait faire apparaitre sur un HP ?

- Bah par écran tu t’en fous ! y’a le réalisateur pour mettre en scène, t’as pas besoin de faire apparaitre des trucs. Et par téléphone…

Elle haussa un sourcil interrogateur.

- Je disais ca rapport au fait que t’es un super conteur. Mais c’est marrant… Six voulait chanter alors ? tu m’en diras tant !

Prochaine soirée aux ruines ? Karaoké ! Elle y coupera pas, ca non !

- Quand j’étais petite je dessinais bien. Je voulais être « tatoutrice ».

Elle rit de sa propre bêtise.

- Ca m’a tenu longtemps en fait. Tenir un crayon c’était un des trucs que je faisais le mieux. J’ai toujours été agile en fait. Bon la plupart du temps j’utilisais ça pour piquer des bonbons mais… ouais j’me débrouillais pas mal.

Sans parler qu’à l’école, le crayon c’était l’arme ultime pour piquer le dos des merdeuses et des merdeux qui lui cherchaient des crosses. Menacer les yeux aussi, elle avait appris assez tôt.

- Un bon sens de l’observation… enfin… de la vigilance plutôt… et pas mal de dextérité. John était mon plus grand fan mais franchement, j’crois qu’il était pas super objectif.

Quand a ce qu’elle voulait devenir ?

- Plus tard je serai hmmm… collectionneuse ! Collectionneuse d’art ? ouais, des jolies choses quoi ! M’enfin pour ca faudrait déjà que je révise un peu mon casier…

Il était clair que son prochain objectif de cyber serait de s’occuper de ses casseroles. Ca lui demanderait encore de la pratique et surtout qu’elle se fasse oublier assez longtemps. Vaste perspective.

- Comment t'en es venu à être garde du corps ? ca a pas grand chose a voir !

J'éclate de rire.

"Mais je sers à quoi si c'est un autre gars qui fait tout ? Ou alors, tu as cru qu'il ne s'agissait que de mon charisme ? C'est ça ? Tu me trouves si charismatique, en fait... C'est un grand compliment que tu me fais là."

Je suis malicieux, à n'en point douter, mais elle est bonne joueuse.

"Tatoutrice." Je ris à nouveau. "Et tu ne dessines plus ? T'imagines, si ça se trouve, je peux donner vie à tes dessins ! J'ai jamais essayé ça !"

Ce qui m'avait poussé à être garde du corps ? Quel garde du corps ? Je hausse les sourcils en me pinçant les lèvres à la réflexion avant de me souvenir que j'avais parlé de collègue de Maze. C'est une grande question à laquelle je décide de répondre avec une empreinte de vérité.

"Et bien... Maze m'a vendu le poste. Il était là, à parler avec son charisme fou à m'en faire virer gay... Je me suis dit 'Tiens, ça m'irait bien !'. J'arrivais d'Europe, je savais pas quoi faire ni trop où aller. Je m'étais disputé avec mon meilleur ami à cause d'un autre ami..."

Garin... Vous remettez ? Faut suivre, vous savez ?

"Et... C'est ce que je fais depuis. Je suis arrivé ici en 71, il s'est déjà passé 4 ans et j'ai l'impression que ce n'est que le prologue d'un grannnnnd livre de ma vie. On dit souvent que le passage à la trentaine, ça te dévisse des têtes. Je vais voter pour ! Et je t'ai entendue tout à l'heure ! Selon toi, j'ai pas la carrure d'un garde du corps ! Tu serais étonnée... Je sais faire un tas de trucs. Même ramener ma jambe derrière ma nuque..."

J'acquiesce parce que le pire... C'est que c'est vrai. Bon, d'accord, je SAVAIS le faire. Mais c'est pas dit que je sache plus ! Ce n'est qu'une question de souplesse. Je me tâte discrètement le ventre si c'est possible. Ouais, bon, d'accord. Je suis quand même plus un poids plume. C'est l'effet Underground, ça vous avachit un homme, même sportif.

"Alors comme ça, t'as un casier, hein ? Je connais une flic, elle a des cases en moins vu ses fréquentations, je te dirais bien. C'est une copine de Maze. Et même plus, si tu vois ce que je veux dire. Ca c'est le bon côté des fréquentations. Je te le dis, c'est au cas où tu veuilles pas qu'on s'intéresse de trop près à toi, mais si tu la croises, elle fera peut-être un beau geste ! Elle fait partie de ces gens qui ne résistent pas à une âme perdue. Tu lui fais des yeux de chien battu et bim, t'as un casier vierge."

Charismatique ? c’est ce qu’elle avait dit ? Peut-être bien. De prime abord elle avait pensé à son élocution, sa façon d’emmener son public avec lui dans ses histoires mais…

- Non je dessine plus. Plus trop envie et pas trop le temps non plus. J’pique plus de sucettes c’est tout. Ca entretient !

Dit-elle en agitant ses doigts.

- Ou d’autres trucs débiles pour pas perdre la main. Mais le dessin non.

Genre piquer la lame entre vos doigts écartés le plus rapidement possible. Un jeu stupide auquel elle s’adonnait dans sa tanière parfois, juste pour le fun. Avec la lame nettoyée. Elle n’était pas complètement conne non plus. Juste ce qu’il fallait.

- C’est marrant quand j’vois Maze c’est pas son charisme qui me saute aux yeux mais ca doit être parce que je suis une gonzesse.

Sky tata ses poches par reflexe, ayant déjà oublié qu’elle n’avait plus de sucettes. Elle soupira puis se retourna pour s’assoir d’un petit bon sur la balustrade, dos à l’Océan. Elle sourit à Bogdan qui lui vantait ses mérites de garde du corps et ses compétences éprouvées. Pour ce qu’elle connaissait du métier, il pouvait bien être tout à fait capable, elle n’en savait absolument rien.

- Ca sert à quoi de savoir passer sa jambe derrière la nuque pour protéger des gens ?

Question très sérieuse, non ?

- Ouais j’ai un casier et tous les flics de la basse, ou presque me connaissent. Suffit pas de vouloir l’effacer tu sais. Y’a tout un historique avec quelques périodes pas très reluisant. J’me demande même si des fois mon dossier médical et judiciaire se croisent pas. Un véritable merdier quoi ! Faudra plus qu’une flic sympa pour y faire quelque chose. Mais t’inquiète !

Sky lui adressa un sourire plein de malice, l’œil pétillant

- J’y travaille. Un jour je serai aussi innocente qu’une oie blanche.

Elle ouvrit les yeux et haussa les sourcils

- Comment qu’elle s’appelle ta copine qui veut s’envoyer Maze ?

Décidément, elle a le chic pour me faire rire.

"Oui, Maze n'est pas conscient de son succès. Moi, oui, en revanche. Mais je suis au regret de t'annoncer qu'il est plus vieux qu'il n'apparaît. Tu es beaucoup trop jeune pour lui, il t'ennuierait avec des envies d'enfannnnts, de mariaaaage, bla bla bla etc. Tu vois ?" Je balaye l'air d'une main en plissant le nez. "C'est un grand romantique qui s'ignore."

Quand je suis parti, je ne sais plus m'arrêter. C'est une telle... Délivrance, tous ces mensonges que les taches de ma mâchoire se mettraient presque à scintiller comme une constellation. Cependant, il y a bien plus de moqueries que de mensonges dans mes dires. Quoiqu'il en soit, ce n'est pas la vérité. Bien que je suis certain que Maze soit un grand romantique qui s'ignore. Je lève un index, incrédule, avec un sourcil haut.

"Tu serais étonnée des pré-requis pour protéger les gens."

Je secoue la tête en riant.

"Tu es une commère. Si je te dis son nom, tu vas y aller tout droit lui poser des questions." Je me penche vers elle en agitant mon index près de son nez, un grand sourire sur les lèvres. "Je le vois dans tes yeux."

Je me redresse, un bras accoudé au muret, l'autre main dans ma poche.

"Tu me payes combien pour l'élue de son coeur ? Parce que c'est réciproque. Je l'ai vu. Je suis pas con. L'amour, c'est mon truc, tu vois ? Ils se tournent autour depuis des années. C'est une information qui coûte cher. Eux-mêmes sont pas encore au courant qu'ils peuvent pas vivre l'un sans l'autre."

Sky prit un air faussement offusqué quand il la targua de commère.

- J’suis pas une concierge ! juste je m’occupe comme je peux quand j’m’ennuie. Et puis c’est toi qui as commencé à papoter comme une fille sur son dos j’te ferais dire.

Elle pencha le buste en avant et balança ses pieds en rythme. Ses yeux se perdirent sur le bâtiment monumental tandis qu’elle réfléchissait. Dos au vide, elle ne semblait pas avoir le vertige.

- Tu sais… j’retrouve des trucs qui sont censés avoir mystérieusement disparu en quelques heures. Si tu le croises un jour tu demanderas à Tibor, lui dit-elle en lui adressant un clin d’œil malicieux. Des gens aussi… c’est juste un peu plus long.

Sky soupira théâtralement.

- Alors te payer pour un truc que je peux savoir par moi-même en peu de temps juste si je m’en donne la peine ? Franchement ?

Ses yeux bleus se tournèrent vers lui et répétèrent silencieusement la même question.

- Mais tu sais, y’a un autre truc que j’aimerais bien savoir parce que je collectionne aussi les informations utiles. C’est quoi ton prix ? tu prends quoi, toi, pour balancer la vie sentimentale d’un pote ?

"Ouah, je crois que tu connais Tibor mieux que moi."

Ca me dérange, alors que je regarde le ciel, pour ma part. Si elle est face au bâtiment, je le suis à la mer. Des murs, j'en vois tous les jours, le ciel, un peu moins. Ca me fait du bien d'être sorti, en tout cas. Et pas au Sanctuaire où il fait trop chaud. Mais je ne veux pas demander à Tibor de me confirmer ce que je ne sais pas. Peut-être que je vais chercher à le retrouver, finalement. Mais une petite voix dans ma tête me dit que ce ne serait pas juste envers l'Underground. J'ai toujours ce sentiment de... Trahison. Comme si je devais tout à l'Underground.

Je souris parce qu'effectivement, si j'ai remarqué le manège de Maze et Maddison, probablement que d'autres aussi. Je ne sais pas où mène cette histoire avec Liberation, mais je suis certain qu'elle ne peut rien apporter de bon.

"Je veux juste le taquiner, pas balancer sa vie sentimentale. Pour ce que j'en sais, je me trompe, en plus. J'ai pas de prix. J'aime bien parier des tours gratuits de manège, des défis stupides comme chiper une sucette à la caisse d'un magasin sans me faire toper. J'aime bien vivre, c'est tout. Il est tellement soucieux la plupart du temps, j'aimerais voir une autre expression sur son visage."

Attention, vous êtes prêts ?

"Ok, admettons que tu trouves avant que lui-même trouve ! Je ferai tes devoirs pendant une semaine."

Une courte seconde de réflexion.

"Mais s'il se rend compte que cette donzelle est plus que ce qu'il pense qu'elle est... avant toi..."

Je réfléchis, l'index en l'air, le visage concentré sur l'horizon. Que pourrait-elle faire pour moi ?! Lentement, mon index se tourne vers elle et mon sourire grandit jusqu'à ce que je la regarde.

"Tu me dessines un mouton."

Je vous avais prévenus.

Sky eut un peu de mal à suivre les pensées de Bogdan. Elle fronça les sourcils essayant de raccorder les bouts mais définitivement, elle ne comprenait pas.

- Tu veux que je trouve quoi en fait ? Maze je sais où il est j’ai même pas besoin de le chercher ! Tu veux que je trouve le nom de la gonzesse ? C’est ca ?

Elle haussa les épaules.

- J’suis pas sure que Maze soit autre chose que soucieux. C’est son état naturel. Mais…

Elle leva un index et prit un air très sérieux

- Il sait comment causer aux adolescentes de 17 ans ! Enfin les sales gosses qui ont pas leur langue dans leur poche.

Sky se pencha légèrement en avant et murmura sur un ton de confidence.

- Le répète pas. Je sais ce que je suis. Et j’interdis aux autres de le dire.

Elle reprit sa position initiale et le balancement de ses pieds.

- Bon admettons. Une semaine de devoirs et moi un mouton. Ca va, c’est pas non plus la mort. T’es pas super exigent comme mec en fait. Précise-moi ton enjeu par contre, que je saisisse bien.

Je le sens mal. Je partais juste sur de la taquinerie. Si je me plante, c'est Maze qui me plantera.

"Je suis certain que Maze n'est pas indifférent à une certaine personne. Et je suis aussi certain que cette dite certaine personne n'est pas indifférente à Maze. Je ne suis pas exigent parce que ce n'est que de la taquinerie."

Je suis surtout profondément stupide parce que je sais que Maze n'approuverait absolument pas ce genre de démarche. Ce qui me fait rire, toutefois et je souris en levant les yeux plus haut dans le ciel.

"Si Maze savait que je t'ai parlé de ça, il me maudirait sur dix générations."

Et puis je tourne la tête vers elle à nouveau.

"Et toi ? Quelqu'un t'a trouvée, déjà ? Tu m'as pas l'air spécialement timide, plutôt du genre à savoir ce qu'elle veut, quand elle veut et comment elle le veut. Tu sais que plus d'hommes qu'on le croit aime les femmes qui se prennent en main ? La misogynie a laissé place à la misandrie."

Elle rumina quelques instants ce que Bogdan lui avait dit. Trouver la fille. Ca allait être coton. Elle ne savait pas grand-chose de Maze. Elle ne lui connaissait même pas d’amis ou de relations. Il vivait dans un placard, passait son temps au boulot. En fait Bogdan était le premier proche de lui qu’elle rencontrait. Il lui faudrait y penser à tête reposée et compiler les éléments qu’elle avait à sa disposition avant de s’y jeter.

- Misogynie ? Misandrie ? c’est des maladies ?

Oh ouais elle exagérait un peu, elle avait bien trouvé le premier terme au détour d’un bouquin mais elle ne l’employait pas tous les jours non plus.
Sky eut un sourire amusé en regardant Bogdan et secoua la tête.

- Merci pour le compliment.

Elle se pencha légèrement en avant et regarda par-dessus son épaule

- Techniquement parlant, le seul qui m’a trouvée c’est Tibor, dit-elle dans une petite moue. Sur le ton de la confidence elle ajouta : mais il a triché un peu quand même. Il me suivait déjà et forcément il était plus au courant que n’importe qui de mes petits secrets.

C’est vrai ca. En y réfléchissant, avec toutes ces histoires qu’ils avaient partagées bon gré mal gré, le blondinet devait être actuellement le plus au fait de ce qu’était Sky et de ce qu’elle savait. De là à dire qu’elle n’avait plus de secrets pour lui, il n’y avait qu’un pas. C’était rageant de penser que même son propre chéri en savait moins que lui.

- Après si ta question est de savoir si j’ai un petit copain…. Non, lui mentit-elle effrontément.

Son sourire devint radieux et les yeux brillant de malice elle ponctua

- Mais si tu veux postuler je peux considérer la question !

"Tu sais, les gros machos hommes comme femmes..."

Elle ment et ça me rend curieux. Mais pas indiscret. Je souris et plisse le nez.

"Je vois, c'est... Compliqué ?"

C'est ce que je dis toujours, moi aussi pour éviter le sujet Gen. Et puis j'éclate de rire en me retournant, dos au muret.

"Hum, non, je ne suis pas candidat à la proposition. Mais c'est gentil, j'accepte le compliment dans mon âme et conscience !"

Je porte ma main à mon torse et me penche légèrement en avant. Néanmoins, cette histoire avec Tibor me dérange de plus en plus. Pour qu'il la suive, c'est qu'elle a un véritable intérêt pour lui. Comme Maze. Deux protecteurs. De quoi ? Je fronce les sourcils en étudiant la jeune fille. Et si...

"Il est pas un peu vieux Tibor, pour toi ? Il est déjà plus vieux que moi... Ouahou..."

J'ai presque honte de penser un truc pareil. Dans le genre introverti, Tibor se posait déjà là quand on était gamins, encore plus quand on était adolescents, et je l'ai vu se muter en moine à notre évasion. Je ne lui imagine pas une seule femme obtenir son intérêt, à moins que ce soit stratégique. Mais encore une fois, dix ans... C'est long. Et qu'il ait répondu à l'appel de Six ne me semble pas incohérent pour le coup, même, je dirais... Logique.

"Finalement, des amis t'en as ! Ils ont juste le double de ton âge."

Bon visiblement son petit coup de bluff n’était pas passé inaperçu. Dommage. Il avait assez de délicatesse pour lui tendre une main et qu’elle puisse esquiver. Non pas qu’elle veuille cacher sa relation avec Garin, elle aurait même envie de le hurler sur tous les toits, mais elle devait admettre que oui… c’était compliqué.
Pour Maze, Sunny et Matt, il l’avait larguée méchamment au pied du Casino. Suite à quoi elle avait cru sa vie terminée et… tout le monde connait la suite. Si Garin devait se repointer maintenant, il y avait de fortes chances que Sunny l’accueille chaleureusement. Très très chaleureusement. Cuisant même. Pas loin des 200 degrés Celsius. Voire plus.
Et puis il y’avait cette histoire avec Hyun et la clé… et puis Angela… et puis… pfff…

- Ouais. C’est compliqué.

Sky baissa le nez sur ses boots qu’elle faisait danser. Pour autant elle avait ce petit sourire amoureux quand elle pensait à lui. Stupide surtout. Compliqué mais… bon. Stupide.
Ce qui la surprit en revanche c’est que Bogdan puisse penser à Tibor.
Elle releva la tête et éclata franchement de rire. Ca lui semblait tellement incongru ! Pas tant l’âge (elle aurait été incapable de le déterminer) mais par son comportement.

- Tu rigoles ! Tibor rien qu’en lui faisant un câlin la dernière fois j’ai cru qu’il manquait de s’étouffer.

Techniquement Garin aussi.
Elle se calma et reprit en secouant la tête

- Non ! Tibor c’est mon ange gardien. C’est tout. Et le connaissant c’est déjà pas mal !

C’est à peu près tout ce qu’elle obtiendrait de lui d’ailleurs, là-dessus elle ne se faisait aucune illusion. Encore qu’il avait pu manifester à son encontre quelques signes d’affection, certes discrets mais tout de même. Quoiqu’il en soit, il ne dérogeait pas à ses objectifs. Au mieux, elle n’était qu’une distraction.

- Ouais t’as raison. Mes amis sont plus vieux en fait. C’est la vie, c’est pas que j’ai choisi. Juste les gens de mon âge, je les trouve tellement… j’sais pas… pour la plupart ils sont stupides ou creux.

Je pouffe de rire en imaginant Tibor se faire prendre au piège par un gros câlin. Ca ressemble un peu plus à l'image qu'il me reste de lui. Et ça m'apaise aussi de me rendre compte que quoiqu'il arrive, je le connais encore.

"Ton ange gardien, hein ? Deux gardes du corps, rien que pour toi ? Ca fait beaucoup, t'es genre la fille du Président ? Qu'est-ce que tu as bien pu faire pour qu'on te protège ainsi ? Tu vois, j'ai pas d'ange gardien et bien je suis jaloux ! Je suis pourtant pas du genre à réclamer l'attention, j'aime mon intimité et ma vie privée ! Mais je serais pas contre une Wonder Woman pour assurer mes arrières !"

Désolé, chérie, j'ai des fantasmes, aussi. Je hausse les épaules dans une moue compréhensive.

"Ou moi assurer les siennes, peu importe..." Je plisse le nez dans une grimace et secoue la tête en regardant Sky. "Je suis pas un garçon difficile." Je soupire. "Dans mon souvenir, Six avait quand même ce qu'il fallait où il fallait... Et un de ces regards... Et ce sourire..."

Et je soupire à nouveau, le regard dans le vague. Une chose qui n'a jamais changé : j'ai toujours aimé les femmes. Pour moi, c'est le sel de la terre, ce sont les racines de notre oxygène. Je me reprends en baissant la tête et me racle la gorge.

"Enfin, elle a dû changer depuis."

J'espère que Gen n'est pas dans les parages.

Sky eut un sourire amusé.

- La fille du président rien que ca ? Dans un foyer pour délinquants juvéniles ? La bonne planque ! Bon ouais deux anges gardiens mais pas pour les mêmes raisons. Maze j’suis allée le chercher pour l’embaucher !

Elle tendit un index dans la direction de Bogdan et hausse les sourcils et le ton

- Rigole pas ! c’est vrai. Il a pas voulu que je le paie c’est tout. Peut-être que j’avais un peu trop agacé certaines personnes et j’voulais être sûre de pouvoir leur montrer mon Sasquatch si ces personnes se mettaient en colère.

Sky pencha a tête et ouvrit la main.

- J’t’ai dit, j’suis une sale gosse. Tibor… c’est pas pareil.

Elle tordit la bouche dans une moue contrite et poursuivit sur un ton plus bas.

- J’sais pas trop comment dire ca sans avoir l’air ridicule en fait.

Aborder le sujet la mettait assez mal à l’aise. Elle cherchait encore une esquive sans pour autant amoindrir la valeur de ce qu’avait fait Tibor. C’était une gymnastique compliqué.

- Disons que je me suis un peu laissé submerger par mes émotions et que mon ange gardien m’a trouvée avant que la noyade soit irréversible.

La métaphore lui semblait assez adaptée pour être claire. Bogdan enchaina sur sa vision de garde du corps. C’était marrant de l’entendre parler alors que c’était son métier.

- Six est jolie je trouve. Après j’suis pas super objective. Contrairement à ce qu’elle raconte c’te grognasse, les filles c’est pas mon truc. Elle a les lèvres douces en tous cas… ajouta-t-elle d’un air malicieux et gratifiant Bogdan d’un clin d’œil amusé. Vous avez pas de filles garde du corps dans votre boîte ? ca doit bien exister quand même !

C'est un aveu qu'elle me fait. Il est étrange, je n'en demandais pas tant. mais je suis surpris. Sky ne m'apparaît pas comme une adolescente déprimée ou submergée par ses émotions. Elle m'apparaît même comme quelqu'un d'assez droit et de solide. Mais après tout, tout le monde peut se tromper, non ? Je ne suis moi-même pas franchement toujours très... équilibré. Cela dit, ça ne m'étonne pas tellement de Tibor. En tout cas, pour moi, il a toujours été en première ligne pour protéger les autres des vagues, quitte à s'en prendre plein la face le premier. Ce qui avait d'ailleurs été le cas, ça m'avait permis de déguster un peu moins quand ça a été mon tour.

"Bah, tu as flanché une fois, ça arrive même aux meilleurs d'entre nous. Le principal, c'est de se relever."

J'étais content d'avoir la confirmation que Six était toujours aussi jolie. Je ne pourrai m'en faire que ma propre idée, après tout. Plus tard. Je fronce les sourcils et je tourne la tête vers elle avec une légère grimace. Ses lèvres ? Douces ?

"Tu sais quoi, je ne veux même pas savoir. Et si, il y a des femmes gardes du corps, autre que les escorts girls. Sauf qu'elles font ma taille, mon poids et qu'elles sont parfois plus douée que moi en tir comme en combat rapproché. Et qui plus est, elles pourraient m'étouffer rien qu'avec leur poitrine. Ce n'est pas du tout mon genre ! Je les préfère petites, mignonne, fines, et si possibles, qu'elles ne manquent pas de m'assassiner en inspirant un peu trop fort, tu vois ? Si je voulais d'un Sasquatch pour protéger mes nuits... Je te l'ai dit, je virerais gay avec Maze..."

Je garde les sourcils hauts à cette pensée qu'elle vient de m'infliger. Gen, définitivement, c'est une fille parfaite pour moi.

Oui c’est à peu près ca. Elle avait flanché une fois. Sky avait ses émotions à fleur de peau et il était inutile d’utiliser une arme pour la blesser profondément. Il suffisait te taper juste et au bon endroit. Et Garin avait été extrêmement doué pour ca. Par ailleurs, elle était assez jeune pour se croire invincible mais si elle n’était pas dupe, elle savait qu’elle flancherait d’autres fois. Fallait-il juste espérer qu’elle saurait toujours se relever.
La suite de la conversation la fit rire. Sincèrement. Bogdan jouait son jeu et s’en amusait autant qu’elle. En fait, vous lui auriez demandé, elle vous aurez dit qu’il était typiquement le genre de personne avec laquelle il ne fallait pas s’arrêter aux premiers abords.
Sky se doutait qu’il pourrait repartir dans ses délires fantasmagoriques en un claquement de doigts et… oui d’accord, peut-être même qu’elle le croiserait en pleine nuit dans un bois sombre avec un panier de montres elle n’irait pas lui demande l’heure.
Elle l’écouta parler des femmes, de ses préférences.

- T’es conscient que tu parles de tes gouts féminins à une gamine de 17 ans quand même ? Après tu dis Maze... Maze… mais t’as essayé au moins ? peut-être que l’élu de son cœur c’est pas cette gonzesse ! Même à ton âge c’est pas trop tard pour faire ton coming out !

Elle lui retournait un sourire en demi courge.

- Tu sais quoi ? Si un jour tu te décides quand même à revoir Six, juste comme ca, va donc faire un tour du côté du Sanctuaire et des courses de bagnoles. C’est elle qui les organise. T’as pas besoin d’avoir une caisse on t’en fournira une…. Tu verras c’est fun. En plus je crois que depuis ils ont instauré des règles.

Sky haussa les épaules avec une petite moue qui signifiait un truc du genre « oui bon ok il en faut bien un peu quand même ».

Je jète un oeil au hall. Pas de Sunny en vue. Je sors mon paquet de ma poche arrière pour joindre une cigarette à mes lèvres.

"Ouais, ça va, j'irai voir, ça te va ? Je lui ferai la surprise."

Je hausse les épaules en allumant ma drogue douce et je reprends.

"Et alors, que tu aies 17, 27 ou 77 ans, ça fait quoi que je parle de mes préférences ? Tu veux que je te donne un cours d'éducation sexuelle, c'est ça ? C'est ce qui faut pour parler sexe avec un mineur, ok. Alors voilà comme ça se passe. Ouvre tes grandes oreilles de mineure parce que je le dirai qu'une fois avant que ton Dragon ne revienne. J'ai pas envie de reprendre son ciel sur le coin de mon baigneur."

Je range mon briquet et me réinstalle contre le muret en croisant les chevilles.

"C'est franchement pas compliqué. On en fait tout une histoire, c'est de la connerie. Franchement, j'ai pas réfléchi." Je penche la tête vers elle en haussant les sourcils. "Et elle non plus, si tu veux mon avis, on a pas vraiment eu le temps de prendre notre temps à réfléchir. Mon frère était pas parti loin ni très longtemps. Bref." Je me redresse et je continue. "Fin de la leçon. Faut pas réfléchir. Je n'ai utilisé ni de banane, ni de savon, ni rien, je ne t'ai dit que la stricte vérité et écoute-moi quand je te la dis, parce que c'est un luxe que je peux pas me payer tous les jours. Au passage, je t'ai pas prise pour une demeurée, en 50 ans, l'âge moyen pour la première relation sexuelle est d'environ 13 ans. 12 suivant les pays. T'en as quatre de plus. Je sais compter, t'as vu ? Si je m'en réfère aux chiffres, j'ai une chance sur quatre de deviner si oui ou non, tu sais de quoi je parle. J'ai envie de dire oui. Pourquoi ?"

Je tourne à nouveau la tête vers elle, les sourcils hauts et je pince les lèvres. Je fais marcher ma déduction, mon savoir faire et ma propre expérience.

"Parce que pour en venir à des extrêmes comme les tiens, tes émotions, c'étaient pas des contes de fée pour midinette en manque de protecteurs à longues dents. Tu as souffert. Et on souffre pas avec de l'eau claire. Je me trompe ?"

Je secoue doucement la tête en prenant une voix douce.

"Mais je comprends. Je suis passé par là aussi. C'est moche l'adolescence. Affreusement moche. Ca nous fait faire des trucs qui nous ressemblent pas."

Mais comme je peux pas m'en empêcher, je hausse les épaules avec un air badin.

"Les hormones. Un sale truc, ça te prend au vif et ça te lâche plus pendant des années. Moi, j'ai de la chance, je suis un mec. Toi, en revanche, t'as pris perpet'."

- 13 ans c’est pour les garçons. Les filles c’est 17. Donc statistiquement mon mec est un mouflet de 13 ans.

Sky ne quittait pas la cigarette des yeux. Depuis sa rencontre avec Edwige elle n’en avait pas fumé une seule. Quand vous avez tenu votre première clope à 10 piges, résister relevait de la tentation ultime. La donzelle avait envie de le secouer comme un prunier pour lui piquer sa putain de clope ! C’était un vrai supplice.

- Après j’ai toujours été un peu en avance sur mon âge et mon copain adore jouer les attardés. J’pense qu’à nous deux on redresse les statistiques.

Mais après son petit laïus sur ses parties de jambe en l’air il prit un ton particulièrement sérieux. Sky détourna le regard de sa cigarette et accrocha ses yeux aux siens, les sourcils froncés.
Non, ce qu’elle ressentait pour Garin et ce qu’elle avait ressenti lors de leur rupture n’avait rien d’un petit pamphlet romantique pour conte de fées. C’était... inexplicable, même pour elle, mais d’une intensité dévastatrice.
Elle ouvrit la bouche et resta quelques secondes comme un poisson hors de l’eau avant de répondre.

- Non. Tu te trompes pas.

Sky détourna les yeux. Ce qu’il dit après, elle n’y accorda pas vraiment d’importance. Ca n’avait rien à voir avec l’adolescence ou les hormones. Bon, peut-être un peu avec la première mais certainement pas la seconde. Elle ne saurait pas dire en quoi mais elle le ressentait dans son ventre. Ce n’était pas la première fois qu’elle se retrouvait face à elle-même mais comme de coutume, elle fuyait l’introspection. C’était plus facile de botter en touche et du coup, elle murmura, interrogative

- Une banane ?

Quand il tourna les yeux vers Sky, elle affichait un petit sourire en coin.

"Ah, la tendance est remontée ? Ca fait un moment que je n'ai pas regardé."

Pensif, d'une voix éloignée, je souris.

"Hinnnn, tu as bien un copain, donc. Tu as raison, cache-le bien. La vie privée, c'est sacré."

Oui, c'est tout ce que je retiens. Je ne relève pas, tout simplement parce que moi-même, je suis hors statistiques. Et ce n'est pas une question de précocité. Cependant ! Je me suis bien rattrapé sur les années qui ont suivi. Si j'ose dire... encore plus depuis que je suis à l'Underground. Quant au reste, j'en reste interdit. Je recule la tête en me figeant, et je la regarde, intrigué. Je hausse les sourcils et retire ma cigarette de mes lèvres pour lui parler.

"Une seconde..."

Je désigne le sol d'un geste.

"On t'a jamais fait ce cours avant ? Le lycée, le Casino... Non ? Diantre !" J'en reste pantois. "On vous apprend quoi, alors... A regarder par-dessus votre épaule pour les pickpockets ? Au moins, tu as échappé à cette supplique qu'est la démonstration de cette ancestral objet de malheur qu'on appelle un préservatif. Ces machins m'ont toujours beaucoup mieux servi à faire des ballons pour les fêtes."

Je reporte la cigarette à mes lèvres et j'inspire profondément.

"J'espère que ton Jules a pas vraiment 13 ans, ou alors dans sa tête... Sinon t'as vraiment un casier de merde, je confirme. Nannnnnn"

Je la regarde en souriant à mon tour malicieusement.

"T'es du genre à les aimer plus vieux... La petite maligne... Comment s'appelle l'heureux élu ?" J'ai dit que la vie privée, c'était sacré. Je n'ai pas dit qu'elle ne m'intéressait pas. "Promis, ton secret est bien gardé avec moi. Je ne suis pas Six, je ne suis pas obligé de dire la vérité. Je suis même tout l'inverse !"

Ah oui, la banane...

- J’suis pas allée beaucoup au lycée. J’y ai même mis les pieds à peine 6 mois. L’école et moi… j’apprends mieux toute seule. Pis en matière de contraception, Sunny préfère des méthodes plus radicales. Enfin bref. Si on pouvait…

Ce sujet là de discussion, franchement pour sa part elle aimait autant éviter. Ses yeux clairs suivirent le trajet de la cigarette quand elle quitta sa bouche et eurent toute les peines du monde à s’en détacher.
Elle se passa la langue sur les lèvres et regrettait plus qu’amèrement de ne plus avoir de sucette. Le balancement de ses pieds s’interrompit quand il lui demanda le nom de l’élu de son cœur, même si son regard ne quittait pas la tige.
Le pire avec Bogdan ? C’est qu’en lui affirmant que son secret serait bien gardé elle en fut persuadée. Pourtant, il venait ouvertement de lui dire qu’il n’était pas obligé de dire la vérité et « même plutôt l’inverse ». De quoi vous troubler. Alors elle lui lâcha son nom, comme ca, sans l’ombre d’une hésitation.

- Garin.

Maze le connaissait de toutes manières. La seule différence c’est que…

- … en fait depuis quelques temps y’a plein de gens qui pensent qu’on n’est plus ensemble. Alors on la ferme.

Elle fronça les sourcils

- Toi aussi d’accord ?

Je manque de m'étouffer. Je me mets à tousser en même temps que je ris.

"Putain de merde, tu connais tout le monde !"

Je la regarde, un sourire moitié accroché aux lèvres, moitié soufflé. Je suis pas sûr d'avoir bien entendu mais Garin n'est pas exactement non plus un très répandu. Je hausse les sourcils. Ca devient glissant. Maze est le seul à connaître mon passé avec Liberation. En dehors de certains membres de Liberation. Mais Garin était surtout un nom que je n'avais plus entendu depuis... Un long moment. Je ne sais pas si je dois rire ou la craindre. Cette fille connaît plus de monde que moi et bizarrement, je me sens bien au milieu, comme un point commun.

"Tu les aimes vraiment plus vieux que toi..."

Je ne dis pas si souvent la vérité mais je pense que pour Garin, je vais faire une entorse. Après tout, il est la raison de mon départ de Liberation, non ? Bon, pas exactement, mais indirectement... Il l'est. Son nom ne me fait pas le même effet que Tibor ou Six, mais... Quelque part, je suis content de savoir qu'il va bien, même si nous n'étions pas des plus proches.

"Je ne dirai rien... C'est promis."

Je fronce les sourcils et je baisse d'un ton.

"Pourquoi... C'est un secret ? Il a des ennuis ?"

Ce ne serait pas la première fois... Garin n'est pas non plus le mec super expansif mais Gen n'a pas non plus été hyper informative. De toute façon, Gen et moi ne parlons pas de nos factions respectives.

"Qui es-tu..."

J'en oublie ma cigarette entre mes doigts.

Sky ouvrit la bouche comme un poisson hors de l’eau. Qu’est-ce qu’il en savait qu’il était plus vieux qu’elle ? Et pourquoi il se souciait de savoir s’il avait des ennuis ? C’était peut-être elle qui en avait ? Un comble !

- Hey ! à t’entendre j’tape dans la maison de retraite. Mes amis, mon mec… ca va aller ? Et puis d’abord j’te ferais dire que moi j’risque pas la taule pour détournement de majeur ! Et qu’est-ce t’en sait qu’il est si vieux d’abord ? Il est pas SI vieux non plus. Juste quelques années d’écart et dans pas longtemps j’suis majeure…

Elle sauta de la balustrade sur laquelle elle était assise et fronça les sourcils.

- J’suis Raiponce. J’vis en haut d’une tour gardée par un Dragon. De temps en temps mon prince charmant escalade les murs pour venir me voir en loucedé et quand je sors j’ai au moins deux chevaliers pour protéger mon petit corps frêle des méchants. Ca te va ?

Sky soupira mais elle ne voyait vraiment pas où Bogdan voulait en venir. Elle essayait de réfléchir mais il devait lui manquer un élément parce que le puzzle ne s’emboitait pas. D’une certaine manière, cela raviva sa méfiance. Elle plissait les yeux tout en parlant.

- Tu le connais aussi en fait… mais pas des camps d’été. Alors d’où ?

Si c’était vrai – et la vérité était un bien grand mot avec Bogdan – ca lui faisait poser bien plus de questions qu’elle aurait aimé. Il y avait beaucoup de choses qu’elle ne savait pas de Garin et, d’un commun accord avec lui, le respectait, mais on se chargeait régulièrement de le lui rappeler. Et les surprises, le concernant, elle n’aimait pas trop ca.

Je secoue la tête.

"Non... Je l'ai connu quand il est arrivé ici, pas longtemps après moi, je crois. Juste, un jour, je suis parti faire autre chose de ma vie, j'ai changé d'environnement, d'amis... Je ne l'ai tout simplement jamais revu. On n'a jamais été très proches, mais il a toujours su se trouver des ennuis. Il les cherchait bien, d'ailleurs..."

Je plisse les yeux. Une seconde. Si c'est elle, sa copine, alors Eve, c'est qui, maintenant ? Je hausse les sourcils.

"Oh... Oups." Je me racle la gorge. "On a... Une amie en commun."

Bon sang, on n'a pas que ça en commun, mais je vais pas lâcher à Sky que j'étais de Liberation, ce n'est pas parce qu'elle joue franc jeu avec moi sur le nom de son petit copain que je vais lui livrer ma vie sur un plateau d'argent. Je fronce les sourcils.

"Quoique visiblement, plus maintenant."

J'ignore toujours ce qui s'est passé à Liberation, Gen ne me dirait rien, je n'irai pas vers Abel, j'ignorais le lien entre Tibor et Eve... Quant à moi... Je fuyais Eve quand je le pouvais. Depuis qu'elle était de retour à Liberation, plus besoin de frôler les murs. Les mots de Libby me reviennent en tête et quelque chose me dit que ce n'est ni l'endroit, ni le moment pour questionner Sky sur Garin. Qui plus est, ça ne me regarde pas. Je regarde le ciel et j'y jette mon mégot.

"Tout à l'heure, quand tu m'as décrit Tibor, j'ai d'abord pensé à Garin."

Je la regarde à nouveau, et cette fois, j'ai un grand sourire.

"Mais quelque chose dans la taille m'a fait changer de direction."

Elle sourit à la description succincte qu’en fit Bogdan.

- Ouais on a pas mal de points communs. Les ennuis ça en fait partie.

Sky disait cela avec une certaine forme de fierté, une façon de marquer qu’ils ne s’étaient pas trouvés QUE par hasard. En revanche, elle ne connaissait pas d’amie à Garin en dehors d’Angela. Possible qu’il ne les lui ait pas toutes présentées mais il vivait quand même assez reclus compte tenu de ce qui constituait sa vie. Il évitait de s’exposer, d’autant plus maintenant, depuis que son ex à Libération l’avait trouvé.
Pourtant, Sky ne lui demanda pas s’il connaissait Angela. A son gout cela faisait beaucoup de coïncidences et même s’il s’agissait de personnes en qui elle avait placé sa confiance, à tort ou à raison, elle ne pouvait empêcher cette petite voix stridente paniquée de lui siffler dans les oreilles.
Qu’il ait pensé à Garin quand elle lui avait parlé de Tibor l’étonnait. Ils n’avaient pas grand-chose en commun selon elle et même sa boutade sur leur taille tomba à plat.
Ses yeux suivirent le trajet du mégot puis elle revint à leur discussion.

- Quand je décris Garin, je commence par ses yeux.

Elle tira sur la bride qu’elle avait autour du cou pour en tirer les deux petites ambres qu’elle leva à hauteur de son regard. Dans la lumière du soleil splendide de la journée, elles renvoyèrent ce scintillement singulier.

- Ils ont la même couleur et le même éclat que ces pierres…

Son visage souriait avec tendresse tandis que ses yeux s’absorbaient dans la contemplation des bijoux.
Elle soupira puis rangea son collier sous son tee-shirt.

- Va falloir que j’aille chercher une sucette j’en peux plus !

Se tournant vers Bogdan elle reprit

- Garin comme moi on pourrait avoir des emmerdes si certains nous trouvaient ensemble. Pas graves je pense… mais chiantes. Enfin remarque, pour ce que j’en sais ! Y’a tellement de trucs que je croyais « pas grave » et qui ont été…

Elle s’interrompit et roula des yeux. Quel mot serait vraiment approprié ? qu’avait-il dit déjà ?

- …. Compliqués ?

Ses yeux ? Ils avaient quoi ses yeux ? Je fronce les sourcils en étudiant ses boucles d'oreille.

"En fait, je suis pas sûr qu'on parle du même. Le Garin que je connaît a les yeux bleus. Ou verts, je me souviens plus. Clairs, quoi !"

Après tout, elle ne réagit pas non plus à la blague sur la taille. Il y a une forte chance qu'on ne parle pas du même type. Dans le doute, en tout cas, je n'avance pas plus la description. Pour ce que j'en sais, Garin n'est pas dans les petits papiers de Liberation.

"Qui plus est, c'est pas le genre de gars qui change facilement de fille."

Amis de la délicatesse quatre pieds dans le plat, bonjour... Je hausse les épaules.

"J'ai rarement vu un mec foutre autant la merde au sein d'un groupe que ce gars-là, juste pour une fille."

Voyez-vous, le problème de mon pouvoir, c'est qu'en effet, j'entends les mensonges, je les perçois. Mais jamais je ne connais la vérité si personne ne me la dit. Je ne la devine, je ne suis pas Six. Alors... A moins qu'on me dise les choses, je n'en sais pas plus que n'importe qui. Je reste donc un affreux maladroit.

"Pourquoi tu veux des sucettes ? Tu les shootes au whisky ?"

Sky le regarda, intriguée.

- Ah bah c’est pas lui alors, non. Mon Garin à moi il a pas des yeux communs, tu peux me croire. C’est drôle parce que c’est un prénom original en fait mais je lui dirai qu’il y’en a un autre à Megalopolis, ca le fera marrer !

Elle se dit même que l’autre devrait avoir de sacrées casseroles au cul sans même savoir d’où ca venait. Ca lui arracha un sourire.

- Pourquoi tu voudrais qu’il change de fille ? J’suis pas si chiante ! Un peu possessive juste. Enfin surtout avec lui. Bon ok. Que avec lui. Mais j’ai même pas fait de scène quand il m’a dit qu’il retournait causer à son ex. Enfin si mais plus tard… longtemps plus tard.

Sky secoua la tête et ouvrit les mains.

- Mais pourquoi j’te raconte ca moi ? putain il me faut vraiment une sucette !

A sa question elle donna l’explication

- Ca fait 6 mois que j’essaie d’arrêter de fumer alors je bouffe des sucettes pour compenser. C’est juste… elle se dégonfla en soufflant par la bouche. Les mots lui manquaient. J’en ai dans ma chambre j’vais refaire le plein de mes poches.

Prudemment elle avisa la marmaille qui s’était éloignée et surtout le dénommé Mike. Il ne lui fallut pas longtemps pour le ravitaillement mais quand elle se repointa, une sucette calée dans la bouche, elle avait l’air comme… soulagée.
Machinalement, comme elle le faisait avec tout le monde, elle en offrit une à Bogdan.

- Alors dis-moi, j’adore les potins. Quel genre de merde il a foutu ton Garin ?

"Et tu me dis rien quand je fume devant toi ? Fallait me le dire, je l'aurais rangé."

Malgré tout, je ris.

"Non, ce n'est pas le même. Le Garin que je connais ne se séparerait jamais de cette fille. Qui est une bonne amie à moi, d'ailleurs ! Non et s'il avait des yeux comme tu dis, c'est clair que je m'en serais souvenu, d'un truc pareil. Je me souviens d'un jour où son frère - à ma pote - l'a surpris chez elle. C'est un très bon ami à moi, aussi, mais autant il est pas du genre sympathique, autant avec une batte de Baseball dans la main, il fait carrément flipper. Mon Garin a détalé par la fenêtre de la cuisine à vitesse grand V, j'étais mort de rire ! Ce mec court plus vite qu'une antilope."

Mmhhh, je ne suis pas si sûr que ce soit deux personnes différentes. Mais en fait, je vais me contenter de changer de sujet. Je hausse les sourcils.

"Tu me racontes tes trucs parce que tu m'aimes bien."

Immense, mon sourire.

"Je fais souvent cet effet. Surtout aux filles."

Je sais pas ce qui me prend, mais j'ai l'habitude de prendre des retours de manivelle, alors je me protège d'un bras. Juste au cas où.

Sky écouta l’anecdote et sourit. Mais même en imaginant la scène, elle ne comprenait pas vraiment pourquoi le frangin voulait frapper le copain de sa sœur. Son Garin lui avait parlé de l’extrême violence de celui de son ex aussi. D’ailleurs il avait fini par le tuer, même si c’était pour d’autres raisons.

- La vache ! J’suis contente de pas avoir de frangin ! Pourquoi il voulait le faire fuir ? Ca le regardait pas qui sa sœur fréquentait !

Elle se repositionna face à l’Océan accoudée sur la balustrade. Le buste en avant et les pieds croisés, elle gesticulait comme si elle avait des fourmis dans les jambes.

- J’te parle parce que tu me dis que je peux avoir confiance et je le crois.

Elle haussa les épaules. Elle aurait été bien incapable de dire pourquoi elle le croyait, toujours est-il que c’était bien la première fois qu’elle parlait autant qu’elle écoutait avec un inconnu. Quelque chose dans son attitude aussi, mais quoi ?

- Tant que c’est qu’aux filles…

Et se tournant vers lui, elle lui adressa un clin d’œil.

- Et toi ? t’as une copine ? Celle dont tu me parlais ?

"Le frère est du genre... Protecteur. Un peu trop, je pense. Et puis mon Garin est un sale môme, rebelle. Un pur adolescent en crise du non. Il a le dont pour énerver les autres. Moi ça me faisait surtout rire."

Je la regarde et je lui souris. Qu'elle me croit ou non, ça n'a pas d'importance pour l'instant. Elle peut vraiment avoir confiance pour ne rien dire. C'est une vérité, à moins que Six me demande quoi que ce soit... Je suis tranquille. Et elle aussi.

"Je n'ai pas parlé de..."

Je fronce les sourcils. Quelle copine ? Et puis, j'ouvre la bouche, me demandant bien pourquoi moi, je lui parle. J'ai probablement dit plus de vérités que de mensonges dans cette conversation. Mais ce n'est pas trop grave, ce ne sont pas de gros secrets, de toute façon.

"Ah... 'Elle.'"

Je souris en perdant mon regard à nouveau sur l'horizon et je m'accoude sur le muret.

"Elle est morte. Il y a quelques années, maintenant. 5... 6... Quelque chose comme ça, avant que j'arrive ici."

Je me racle la gorge en me grattant le menton.

"Mais non, sinon, je n'ai personne. Pas en ce moment. J'ai pas mal de choses à faire, du boulot, je n'ai pas vraiment le temps de m'ennuyer, de toute façon. Même si j'avoue qu'un peu de chaleur humaine, ça me manque."

Je hausse une épaule, très sérieux.

"Me demande si Maze serait pour me réchauffer, un peu..."

De ce qu’il lui décrivait du caractère du jeune homme, il ressemblait un peu à son Garin à elle. C’était peut-être le prénom qui voulait ca. Mais en matière d’adolescent en crise du non… elle ne voyait pas vraiment ce qu’il voulait réellement dire. Non sincèrement.
Sky se morigéna d’avoir abordé le sujet de sa copine. Après lui, voici que c’était elle qui mettait les pieds dans le plat et à son instar comme il y a quelques secondes, elle s’en excusa.

- J’en suis navrée.

Elle secoua la tête, la sucette dans la bouche

- Avec 200 ou 300 copains tu dois pas en manquer de chaleur humaine. Après j’dis pas que Maze t’en donnerait pas mais j’ai pas l’impression que ce soit le genre. Et puis tu risques d’entrer en concurrence avec celle qui lui court après. Ca va vite devenir compliqué, non ?
Déjà les gens sont compliqués avec ces histoires là alors…

D’un petit mouvement du menton, elle montra le Casino dans son dos et baissa le ton.

- Tu vois Sunny ? ca fait des lustres qu’elle est à deux doigts de tomber dans les pommes chaque fois que mon prof, Matt, il lui dit salut. Un jour j’les ai piégés tous les deux autour d’un verre histoire de leur créer une occasion de se parler, tu vois ?

Elle roula des yeux et les ouvrit grand

- Si t’avais vu la scène !! Ils m’ont pourrie ! Comme quoi je me mêlais de ce qui me regardait pas… blablabla. Enfin bref. Sauf que j’ai une autre copine comme ca. Et elle, c’est avec son patron. Limite elle suffoque dès qu’il lui sort le grand jeu du séducteur de bac à sable. Et bah pareil ! elle veut rien dire.

Sky ouvrit les mains et haussa une épaule.

- Ca m’dépasse. Si tu tentes rien, t’as rien ! Surtout en amour. Moi j’suis pas comme ca.

Elle se tourna vers Bogdan et malicieusement lui proposa

- Tu veux que je t’arrange un coup avec Maze ?

Au moins, elle avait une conversation facile. Le genre bien élégant qui me forçait à parler d'autres choses, avec un autre ton, moins d'urgence, plus de légèreté. Du calme. C'était bien suffisant. Même si c'était les potins de l'Underground... Ca me fait sourire, en tout cas. Je suis son regard vers la bâtisse en imaginant cette tempête du siècle en train de rougir face au type le plus placide que je connaisse... Et je ris. En tout cas, je crois que je préfère garder Gen secrète avec elle. Ca vaut sûrement mieux. S'il lui vient l'envie de se mêler de ma vie amoureuse... De toute façon, quand je veux quelque chose...

"Au moins, tu n'aurais plus à chercher bien loin, tu aurais gagné ton pari, c'est pour ça que tu veux me caser, hein, pas vrai ? Ouais, t'as raison, je vais laisser la place à la grande gigue, comme je l'appelle. Tu sais ce qu'on dit ? Belle bouche, grande gueule."

Et mes yeux se baissent sur les lèvres de Sky et je hausse un sourcil. Belle bouche, j'ai du mal à juger sur une lopette de 17 piges, mais grande gueule, à n'en point douter. Je secoue la tête et je finis par inspirer profondément l'air frais.

"En tout cas, rien à craindre avec moi ! Quand j'ai une fille dans le viseur, que ça lui plaise ou non, je lâche rien tant que j'ai pas mes trois barrages !"

Deuxième leçon.

"On t'a déjà appris ça en cours d'éco ou un truc du genre ? Dans le domaine de la vente, un vendeur a trois essais. Pas plus, c'est interdit. Je suis pareil. Je demande une fois, non, deux fois, non, trois fois non, ça veut dire que la fille ne veut vraiment pas, alors je n'insiste pas."

Grand, le sourire.

"J'ai rarement plus d'un non."

- On dit que aussi que c’est pas ceux qui en parlent le plus… C’est à peu près valable dans tous les domaines.

Bogdan lui démontrait en peu de temps qu’il était capable de passer des sujets graves aux sujets légers en un claquement de doigts et plus elle conversait avec lui, plus elle finissait par ne plus savoir ce à quoi elle devait accorder de l’importance ou non. Il lui donnait l’impression de toute traiter d’une égale mesure.

- J’sais pas où t’as été à l’école mais entre ta banane et tes règles commerciales, ca en fait des leçons que t’as bien retenues.

Elle retroussa le nez, perplexe.

- Drôle d’école en tous cas.

Puis se tourna vers lui avec un sourire amusé. Il s’effaça et elle haussa les épaules.

- J’ai pas ta grande expérience dans le domaine. J’ai pas eu beaucoup de garçons mais aucun que j’ai voulu m’a dit non.

Pas assez vieille, pas assez d’opportunités sans doute. Et s’il n’y avait pas de sentiments, elle préférait faire battre son cœur autrement avec des choses plus dangereuses et beaucoup moins légales.
Comme de coutume Bogdan parlait et comme de coutume Sky avait pris bonne note. Elle gardait dans sa tête les informations qui pouvaient être utiles pour les réutiliser le moment opportun.

- En fait… je crois que je donnerai à peu près n’importe quoi pour vous voir draguer Tibor et toi dans un bar. Le grand tombeur avec le grand tombé. Ca doit être… tellement… drôle.

Sky s’absorba dans une image mentale de la scène qui la fit sourire. Ces deux-là étaient frangins et plus elle voyait Bogdan, plus elle se disait que les repas de famille devait être relevés.

- T’as déjà été amoureux ? J’veux dire… vraiment !

Allez, bientôt on aborde la gloire et la beauté et on en aura fini avec les sujets qui passionnent les minettes de 17 ans. Courage.

J'éclate de rire.

"Ouais et bah tu sais quoi ? Je crois qu'il aurait tellement plus de succès que moi."

Six me tuerait si elle savait ce que je révèle à une inconnue.

"Jeune, Tibor n'a jamais eu conscience une seconde de toutes ces filles qui le voyaient. Il les faisait rire sans même le savoir. Il lui suffisait d'ouvrir la bouche ! Ce côté animal blessé, ça plaisait. C'est ce qui plaisait à Six, en tout cas. Ca et sa grande gueule. C'était lui qui avait toujours les bonnes idées, nous... On suivait. Je ne sais pas si ça a changé ou non, mais à ta façon d'en parler, je pense qu'il a toujours cette aura qui émane de lui et qui fait que même aujourd'hui, il me latterait l'égo dans un bar."

J'inspire profondément avec un sourire.

"La dernière fois que j'ai vu Tibor... C'est le jour où il est parti, tout seul, pour la grande aventure. La dernière image que j'en ai eue ?"

Mon sourire s'agrandit et je regarde Sky. Une véritable machine à potins.

"Il avait les lèvres vissées sur celles de Six. Je me tourne deux secondes et ils en profitent pour se bécoter. J'en étais presque jaloux !"

Je fronce les sourcils, vexé.

"Je n'ai jamais eu droit ne serait-ce qu'à une étreinte et elle... Elle me rafle la mise, sous le nez, sans scrupule ! Elle est douée..."

Jusque là, j'avais bien esquivé sa question. Parler des potins des autres, c'était pratique pour ne pas songer aux siens. Mon sourire s'efface en me disant que je dois bien lui répondre, je l'ai fait jusque là. Mais il demeure toutefois sur mes lèvres parce que ce n'est pas non plus un mauvais souvenir. cependant, c'est une question que je me pose depuis des années. Ai-je vraiment été amoureux un jour, ou était-ce une nouvelle histoire que je me racontais à moi-même ? Je vais pour ma réponse habituelle.

"Oui, une fois. C'était typiquement pas mon genre de fille, en plus... Et toi ?"

Je reporte mon regard dans le sien.

"Tu l'aimes, ton Garin ?"

Oh ca c’était une surprise alors. Quoique pas vraiment en fait. Elle avait bien noté la complicité qui unissait Six et Tibor.

- Il a toujours ce charisme oui, quelque chose d’attirant, je sais pas… insaisissable.

Elle tordit la bouche faisant danser la sucette entre ses lèvres qui s’étirèrent en un large sourire.

- Encore que techniquement lors de notre première rencontre, c’est plutôt moi qu’il a pas réussi à saisir. 2 fois, dit-elle en tendant son index et son majeur. La seconde fois j’ai même couru plus vite que lui.

Et sur le ton de la confidence elle ajouta

- … mais j’ai triché un peu, chut. Puis sur le ton de la conversation, enfin avec le recul je me dis quand même que ca avait du bien l’énerver !

Pour le coup, elle comprenait aussi pourquoi il avait été dans ce cyber avec elle. A l’époque elle n’avait pas même compris d’où il sortait et elle avait mal interprété sa présence. Aujourd’hui elle en savait plus et ce que Bogdan lui disait lui apportait même un éclairage nouveau.

- J’comprends mieux pourquoi il a répondu à l’appel de Six. Il a du être carrément surpris en fait de me voir débarquer la bouche en cœur. Sans savoir qui j’étais et ce que je foutais là alors que je venais pour Six aussi, dit-elle plongée dans ses pensées d’une voix un peu rêveuse. Elle en oublia Bogdan. Il pouvait pas rester loin d’elle si elle avait besoin d’aide c’est clair. Il était pas avec lui et moi j’ai cru que c’était son « sicario » comme une andouille.

Sky garda le silence en observant l’Océan. Si elle avait su les liens qui unissaient Tibor et Six, sans doute que les choses auraient été différentes. Surement. Elle se serait attelée à sauver le cul de Hyun oui mais… peut-être pas cela dit.
La jeune fille revint sur Bogdan et le regarda comme si elle sortait d’un songe. Elle lui tendit un sourire bienveillant.

- Te vexe pas t’en as eu d’autres des jolies filles.. ou mecs... entre les bras, j’suis sure. C’’est toi qui m’l’as dit en plus.

Qu’il ait pu tomber amoureux d’une fille qui n’était pas son genre ne l’étonna pas. L’amour c’était ca le plus magique. C’était en dehors de toutes vos bonnes résolutions et de tous vos critères. Ca emportait tout et vous laissait comme un con avec vos certitudes en cendres.

- Je l’aime oui « mon Garin ». Plus que ma vie. Plus que j’ai jamais aimé personne ! un truc de ouf, je sais, dit-elle en roulant des yeux.
J’te souhaiterais bien d’avoir aimé cette fille autant que ca mais j’suis pas sure que ce soit vraiment une bonne chose. Peut-être pas. J’sais jamais trop où sont les limites tu vois et quand j’aime je crois que c’est un peu pareil.

Elle attrapa le baton de sa sucette avant de l’observer.

- En plus j’suis une chanceuse c’est typiquement le genre de mec qui me tape dans l’œil. C’est aussi pour ca que j’ai grimpé sur sa moto ce jour là. Pas seulement parce que j’avais un vigile au cul !

A nouveau, j'éclate de rire.

"Définitivement pas le même Garin. Le mien avait HORREUR des motos. Mais genre, il s'énervait 'Comment on peut tenir sur deux roues quand on peut enfumer des bâtards de la route sur quatre ?!' Il avait une espèce de vieux tacot américain qu'il trimballait partout. C'était son bébé, il le chouchoutait comme personne. Un chrome à t'en faire cligner des paupières tellement ça t'éblouit !"

Je secoue la tête en riant, mon regard perdu comme le sien. Après une étude avec moi-même, même si je souris, c'est un peu de tristesse aussi, je crois.

"Ouah... Je serai presque véritablement jaloux que tu connaisses Tibor mieux que moi. Presque ! Je dois avouer... Qu'il me manque."

J'inspire profondément. C'est une vérité, comme d'autres depuis le début de cette conversation, qui me tire plus d'électricité dans le cerveau que j'aurais bien voulu le croire. L'absence de Tibor à notre retour au village m'avait frappé en pleine poitrine. Quand bien même ce n'était pas mon frère biologique, je n'avais pas pour autant tellement menti. Je l'avais toujours considéré comme mon frère. Je réalise qu'avoir été séparé de lui était la pire décision de ma vie à ce moment-là.

Je tourne la tête et je la dévisage alors qu'elle me parle du sien de Garin. Je lui souris doucement et je me rends compte que... Non. Je n'ai jamais aimé comme ça. Pas plus que ma vie. J'ai aimé, oui, mais je ne pense pas que les poètes romantiques auraient jugé mes sentiments de 'sains' ou de 'normaux', si tant est qu'on puisse voir ça ainsi. C'est une émotion si particulière. En tout cas, j'ai beau aimer Gen, je sais que ce n'est pas comme Magda. Et je sais que c'est incomparable avec Irina. Mais ai-je vraiment aimé cette dernière ? Je n'en suis même pas sûr. C'était quelque chose, ça c'est certain.

"Je vois totalement ce que tu veux dire. Un truc ouf, ouais."

C'est terrible de réaliser qu'on a peut-être jamais été réellement amoureux de sa vie... J'ai posé ma main sur sa tête pour lui ébouriffer doucement.

"T'es un sacré morceau, quand même ! Petite mais costaud, pas vrai ? Tu dois être suffisamment imposante pour que Tibor se souvienne de toi. Je me trompe ?"

"Sky !"

Je me retourne et voit Sunny, les bras croisés, qui attend. Je la vois presque battre du pied au sol d'impatience.

Sky repoussa gentiment la main de Bogdan avec un petit sourire en coin !

- Hey va pas niquer mon brushing ! et puis j’ai plus 10 ans, ca te viendrait pas à l’idée de faire ce genre de trucs à une étudiante, non ?

Elle haussa les sourcils.

- Si ? naaaan !

Après un long soupire elle ajouta très convaincue.

- Dans 6 mois j’ai le droit de vote, mon avis comptera autant que celui de n’importe qui. Autant dire pas du tout.

Elle ponctua son petit laïus d’un claquement de doigt puis répondit à sa question

- Si Tibor se souvient de moi, c’est uniquement parce que je suis à peu près certaine que y’a pas beaucoup de gonzesses qui lui en ont joué autant en si peu de temps. Pas parce que je suis exceptionnelle. Mais… merci du compliment !

Peut-être qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose de plus ou bien simplement qu’elle en avait fini, quoi qu’il en soit c’est Sunny qui interrompit leur bavardage.
Elle se retourna vers la psychologue qui semblait impatiente. Pourtant, même en repassant rapidement ses agissements de ces dernières heures, elle ne se souvenait pas avoir fait quoi que ce soit de répréhensible.

- Oui ?

Je souris de toute mes dents. Je ferais ça à n'importe qui de plus jeune et plus petit que moi. Mais au moins, elle pourrait voter. Ce n'est pas mon cas. Je n'ai ni puce ni passeport officiel. Je suis un clandestin, finalement. Mon sourire se fait plus attendri lorsqu'elle parle de Tibor. Quoiqu'elle ait fait, ça l'a marqué. Mais je me dis que je l'ai marqué également, d'une certaine manière, sinon il n'aurait pas utilisé mon nom. C'est rassurant, finalement.

"Ca va être l'heure de rentrer, maintenant."

Je n'ai pas le privilège d'un traitement aussi attentif. Non, j'ai toujours droit au regard qui tue. J'ignore comment Maze a réussi à se l'adoucir, mais moi, elle m'en veut toujours. Ou alors, elle se donne une contenance. Quoi qu'il en soit, je lui souris en levant une main pour la saluer, plus provocateur.

"Hey, Sun. Comment ça va ce soir ? Tu es magnifique dans cette lumière !"

"Oh, la ferme, Bogdan."

Je suis certain que je la vois rougir. Avec ou sans pouvoir, ce genre de technique marche sur une fille sur trois. Je regarde Sky avec un grand sourire.

"Elle est folle de moi, c'est sûr."

"Tu as fini de lui raconter tes salades ?"

"Tu sais quoi ?"

En haussant les sourcils, je passe un bras sur les épaules de Sky, plus malin qu'un singe. Et je prends un air scandalisé.

"Je suis outré que tu puisses penser une chose pareille. Je ne dis la vérité, que la vérité et rien que la vérité, madame le juge, je le jure !"

Et d'un coup, je lève ma main droite en lâchant l'épaule de Sky.

"Il faut lever la main pendant ton discours, idiot. Pas après."

Sunny secoue la tête en soupirant. Je crois qu'elle n'a pas envie de perdre de temps avec moi. Alors elle se tourne vers sa protégée.

"Ca va bientôt être l'heure du repas."

Et elle tourne les talons. Et moi je souris comme un con. J'adore l'embêter. Sunny fait partie de ces gens qui mordent à l'hameçon sans comprendre ce qui leur arrive.

Sky soupira. Par habitude plus que par protestation en fait. Quand vous avez été livrée à vous-même toute votre vie, passé vos deux dernières années dans la rue… les contraintes domestiques revêtaient une forme particulière de torture. C’était quelque chose de nouveau pour la donzelle que de se plier à ces règles qui lui étaient totalement inconnues. D’une certaine manière, qu’elle les accepte en soi était un énorme pas. De là à dire qu’elle le faisait avec obligeance fallait pas déconner non plus.
Elle afficha son plus beau sourire face à Sunny et hocha la tête aux propos de Bogdan. Elle aussi leva la main d’ailleurs. La gauche. La droite tenait la sucette.
Encore que la concernant, elle ne lui avait pas raconté de bobards. Juste quelques demi-vérités comme de coutume.
Une fois que la blonde eut tourné les talons, Sky s’écarta du jeune homme et haussa les épaules.

- J’suis de corvée de patates.

Pas vraiment de patates non. Juste qu’elle était préposée aux cuisines et devait participer à l’élaboration du repas et la préparation de la salle de repas.

- C’est la règle ici. Tout pensionnaire doit participer aux tâches collectives. C’est le prix à payer pour que je garde ma grande chambre rouge, lui dit-elle sur le ton de la confidence.

Elle s’éloigna puis se retourna. Marchant à reculons, elle mit un terme à leur échange

- Fais un bisou à Maze de ma part ! Et tiens-moi au courant pour ton truc sur la plage pour Halloween !

[HJ: OK pour moi]

Je lève une main pour la saluer alors qu'elle disparaît également.

"Je te tiens au courant, oui."

Je souris avant de mettre mes mains dans mes poches. Une seconde plus tard, je suis à nouveau face à l'océan et je soupire en retrouvant mon sérieux et le visage avec. Ca fait beaucoup d'informations d'un coup à encaisser et emmagasiner. Perdu dans mes pensées, je n'entends pas Sunny revenir dans mon dos.

"Je croyais que ton pouvoir, c'était de mentir."

Je ne me retourne pas.

"La première chose que Maze m'ait dite après les émeutes, c'est qu'il était temps que j'apprenne à contrôler mon pouvoir."

Et je ne réponds toujours rien.

"On dirait que c'est un conseil que tu pourrais bien utiliser avant de pouvoir revenir ici."

Finalement, je soupire et je la regarde. Elle essaye au moins de sourire. Je ne suis pas sûr qu'elle soit pro-moi, mais elle sait que Maze fait partie des "gentils", alors elle se doute que moi aussi. Finalement, j'acquiesce sans rien dire. Je lâche le muret et je tourne les talons. Je sais qu'elle a raison. Ce n'est pas la première fois que ça m'arrive mais jusque là, ce n'étaient que des doutes, des choses "bizarres", mais rien de plus. Cette fois, il n'y a pas de doute : ça vient de moi.

Sunny me laisse quitter le Casino sans rien ajouter. Elle n'a jamais été une mordue de l'Underground, je crois que ça lui fait peur. Ces gens, sous terre, armés... Matt est une exception, allez savoir pourquoi. Peut-être simplement parce qu'il est Positif. Il est né comme ça, il n'a pas eu besoin de se battre. Son combat est différent du nôtre, il est... plus proche d'elle que de nous, finalement. Je peux vivre avec ça.

Avant de quitter la terrasse, j'ai levé un oeil sur les fenêtres que je supposais être les chambres. Qui que fut Sky, elle était importante. Pour moi, pour l'Underground... Même pour Liberation et Megalopolis. Si Tibor la protège, je sais que ce n'est pas pour rien. Ni gratuit. Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe en ville... Mais je suis assez éveillé pour comprendre qu'il y a quelque chose.